Alger accuse le Maroc d’avoir « assassiné » trois civils algériens

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 3 novembre 2021 à 19:49
 


Depuis un an et l’opération de Guerguerate, les relations entre les deux voisins connaissent un fort regain de tension. © RYAD KRAMDI/AFP


Les tambours de la guerre résonnent entre l’Algérie et le Maroc. Après une année émaillée de déclarations incendiaires de part et d’autre, Alger accuse Rabat d’avoir bombardé, le 1er novembre, trois camions civils algériens.

La présidence algérienne a, via un communiqué, dénoncé ce 3 novembre « l’assassinat de trois ressortissants algériens », victimes, selon elle, d’un bombardement, le 1er novembre, « alors qu’ils faisaient la liaison Nouakchott-Ouargla » à bord de leurs camions.

« Plusieurs facteurs désignent les forces d’occupation marocaines au Sahara occidental comme ayant commis avec un armement sophistiqué ce lâche assassinat à travers cette nouvelle manifestation d’agressivité brutale qui est caractéristique d’une politique connue d’expansion territoriale et de terreur », indique le communiqué d’El Mouradia.

L’événement a d’abord été rapporté le 2 novembre par le site très suivi menadefense.net du journaliste algérien Akram Kharief. « L’incident a eu lieu entre Aïn Bentili et Bir Lahlou [soit dans la zone contrôlée par le Polisario, NDLR] par où passe la route entre l’Algérie et la Mauritanie », explique l’article de menadefense.

LES RELATIONS ENTRE LES DEUX VOISINS CONNAISSENT UN FORT REGAIN DE TENSION DEPUIS UN AN

Selon le journaliste, contacté par JA, les trois camions revenaient de Nouakchott (Mauritanie) où ils ont livré des cargaisons de ciment avant de prendre le chemin du retour, à vide. En fait de route, il s’agit plutôt d’une piste non asphaltée.

Potentiel casus belli

Akram Kharief soutient que les plaques des trois camions sont bien algériennes, que l’un des véhicules est tombé en panne, forçant les deux autres à s’arrêter à leur tour pour lui prêter assistance. Ce serait à ce moment, aux alentours de 13h00, le 1er novembre, que les camions auraient été pris pour cible, causant la mort des routiers, tous trois algériens – l’un est originaire de Laghouat, les deux autres de Ouargla.

« Les deux camions étaient à l’arrêt lorsqu’ils ont été touchés par des tirs d’artillerie provenant du mur de séparation marocain se trouvant à plus de 25 kilomètres des lieux », affirme l’article de notre confrère. Qui hésite sur le type d’armement employé – artillerie, chasseur Mirage, F-16 ou drone Hermes.

Des organes proches du Polisario, qui ont publié des vidéos non authentifiées de camions calcinés, affirment, quant à eux, que l’attaque aurait eu lieu sur le sol mauritanien. Une information rapidement démentie par l’état-major mauritanien : « Afin d’éclairer l’opinion publique et de corriger les informations diffusées, la direction de la communication et des relations publiques de l’état-major général des armées dément toute attaque à l’intérieur du territoire national. »

La Mauritanie conteste donc le lieu de l’attaque, mais pas l’attaque elle-même. Contactées par nos soins, les autorités mauritaniennes n’ont pas souhaité en dire plus. Pour l’instant, Rabat n’a pas officiellement réagi à ce communiqué de presse. L’Agence France Presse (AFP) rapporte les propos d’une source marocaine informée, qui dément les accusations « gratuites » de la présidence algérienne : « Si l’Algérie veut la guerre, le Maroc n’en veut pas. Le Maroc ne sera jamais entraîné dans une spirale de violence et de déstabilisation régionale. Si l’Algérie souhaite entraîner la région dans la guerre, à coups de provocations et de menaces, le Maroc ne suivra pas. Le Maroc n’a jamais ciblé et ne ciblera jamais des citoyens algériens, quelles que soient les circonstances et les provocations. »

Accusations répétées

Contacté par JA, un ex-membre du Polisario estime qu’il « y a beaucoup trop d’informations contradictoires en circulation » à ce stade et avance l’hypothèse de « camions incendiés volontairement ».

Ce n’est pas la première fois que le Royaume fait face à de telles accusations. Le 19 août, le Polisario affirmait que l’armée marocaine avait « lancé des raids sur des civils sahraouis non armés en territoires sahraouis libérés ».

Des bombardements qui auraient visé un camion et un véhicule utilitaire. Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes avaient partagé les photos et les vidéos d’un camion en feu dans le désert. À l’époque, un ancien membre du Polisario avait émis l’hypothèse que l’organisation sahraouie était elle-même à l’origine de l’incendie pour terroriser les populations maintenues dans les camps et attiser les tensions avec le Maroc.

Les relations entre les deux voisins connaissent un fort regain de tension depuis un an, et l’opération de Guerguerate menée par l’armée marocaine en novembre 2020 contre des éléments du Polisario qui bloquaient le point de passage entre le Maroc et la Mauritanie.

LA PRÉSIDENCE ALGÉRIENNE ASSURE QUE « L’ASSASSINAT NE RESTERA PAS IMPUNI »

La reconnaissance américaine, un mois plus tard, de la marocanité du Sahara, l’établissement de relations diplomatiques entre le Royaume et Israël ou encore l’affaire Pegasus ont provoqué tout au long de l’année passes d’armes et déclarations incendiaires entre les responsables des deux pays, jusqu’au rappel de l’ambassadeur algérien à Rabat le 18 juillet.

Risques « sérieux » d’escalade

« Nous sommes face à une situation de guerre et il faut reconnaître que les risques d’escalade sont sérieux », a déclaré l’envoyé spécial algérien pour le Maghreb et le Sahara occidental, Amar Belani, le 22 octobre.

La présidence algérienne, qui évoque une enquête sur cet « acte ignoble en vue d’élucider les circonstances », semble déjà convaincue de la culpabilité marocaine et promet que « l’assassinat [des trois chauffeurs routiers, NDLR] ne restera pas impuni ».

Les deux voisins ont déjà connu un conflit ouvert sur la question du Sahara lors de la Guerre des Sables (entre 1963 et 1964). En vigueur depuis 1991, le cessez-le-feu entre le Royaume et le Polisario a pris fin après l’opération de Guerguerate, la presse proche du groupe indépendantiste rapportant chaque semaine des attaques contre le mur de défense marocain, sans que leur véracité soit formellement établie.