Sénégal : qui est La Casamançaise, concurrente de Kirène sur le marché de l’eau minérale ?

En à peine six ans, la marque née en Casamance a réussi à s’imposer sur le marché local de l’eau en bouteille. Jusqu’à rattraper le leader ?

Par  - à Dakar
Mis à jour le 12 mai 2022 à 16:05
 


La Casamançaise, au Sénégal, et Maurice Sara, à gauche, en bleu marine. © La Casamançaise

 

On les trouve côte à côte dans presque toutes les épiceries et les supermarchés du Sénégal. Les bouteilles d’eau minérale de la marque Kirène, leader du marché, implanté au Sénégal depuis 2001, et celles de La Casamançaise, au logo bleu éclatant sur fond vert, numéro 2 d’un secteur estimé à environ 250 millions de litres d’eau par an.

En moins de six ans d’existence, la société d’embouteillage casamançaise (Sodeca) s’est taillée une solide place de dauphin dans un marché pourtant encombré (on recense une vingtaine de marques d’eau minérale dans le pays). Présente dans plus de 90 % des points de vente du pays, la marque se targue de représenter aujourd’hui près de 40 % des parts d’un marché longtemps confisqué par Kirène (nom commercial de Siagro, détenu par les frères Farès, l’une des premières fortunes du Sénégal).

Tout en refusant de se montrer plus précis quant aux chiffres, Maurice Sara, 55 ans, unique actionnaire de la marque lancée en juillet 2016, ne compte pas s’arrêter là. « Nous avons l’objectif d’être leader de l’eau dans les deux prochaines années », indique-t-il depuis la terrasse de l’hôtel Pullman, à Dakar, où le chef d’entreprise aux multiples activités a donné rendez-vous à Jeune Afrique. L’occasion de revenir sur le chemin parcouru.

Une lourde logistique

C’est dans le giron de l’activité de son père, Nemer Sara, premier distributeur dans le pays de la Société des brasseries de l’Ouest-africain (Soboa), que Maurice Sara a l’idée « de mettre en place une minérale dans une région, la Casamance, qui faisait souvent face à des ruptures ».

« J’ai fait une étude sur dix-sept points d’eau dans toute la Casamance, et il y en a un qui est sorti différemment. L’eau y était extrêmement faible en minéraux, avec 24 mg de résidus à sec, elle était semblable à de l’eau de pluie, ce qui est quelque chose de très rare », explique le natif de Dakar, Libanais d’origine, arrivé à Ziguinchor à l’âge de cinq mois. À l’époque, Maurice Sara – passé par l’Idrac, une école de commerce à Montpellier – dirige déjà plusieurs entreprises casamançaises dans les secteurs de la distribution alimentaire, du forage, du transport et de la promotion immobilière.

En 2009, le chef d’entreprise achète le terrain qui lui permettra d’exploiter l’or bleu, au cœur du village de Boucotte, en Basse-Casamance, à une vingtaine de kilomètres de la frontière bissau-guinéenne. Mais le projet est suspendu à la suite du décès de son père. La construction de l’usine démarrera finalement en 2014, après deux années de prospection.

Les ingrédients qui feront le succès de la marque d’eau minérale, le chef d’entreprise les a déjà en tête : la qualité de l’eau, « bonne et douce, même à température ambiante » et « le terme de référence », soit l’image d’une Casamance verte, naturelle, à l’identité forte, dotée de produits prisés dans tout le pays. Quelques années plus tard, le footballeur star Sadio Mané, originaire d’un village du nord de la région, deviendra d’ailleurs l’égérie de la marque.

LA MARQUE S’EST DÉVELOPPÉE DANS LES QUATORZE RÉGIONS DU PAYS, ON A UNE CROISSANCE DE 30 À 40 % PAR AN

Les deux premières années d’activité sont toutefois éprouvantes. « On a eu des problèmes techniques, d’approvisionnement… Si la position géographique de l’usine nous différencie de nos concurrents, elle nous éloigne aussi de nos zones de vente. Nous sommes localisés à 500 km de Dakar, l’enveloppe financière destinée au transport est énorme. On a aussi eu du mal à démarcher des grossistes », relate Maurice Sara, pour qui l’année 2018 marque un tournant. On a équipé nos commerciaux en véhicules, on a formé nos propres grossistes, la marque s’est développée dans les quatorze régions du pays. On a réussi à devenir le challenger dans le marché de l’eau minérale au Sénégal. Depuis cette date, on a une croissance de 30 à 40 % par an. »

« 70 % des ventes » concentrées à Dakar

La Sodeca représente aujourd’hui quelque 228 emplois directs. La majorité d’entre eux – des locaux – travaillent à l’usine de Boucotte. Il y a un an, Maurice Sara a réuni les bureaux de la direction (600 m2) et lieu de stockage de l’entreprise (2 700 m2) dans une plateforme louée au quartier Hann Maristes, à Dakar. « Nous livrons les acteurs de la grande distribution et les petites supérettes des pétroliers en direct, indique-t-il. Environ 70 % de notre volume de vente est concentré sur Dakar et sa banlieue. » Le groupe s’appuie sur une flotte de 45 camions qui quadrillent le pays.

« En 2018, nous avions entre 17 et 20 % de parts de marché, en 2021, autour de 30 %. À présent, nous représentons 37 à 38 %, estime Maurice Sara. On a tout le temps été en cavale pour avoir une unité de production capable de suivre les commandes. Je n’imaginais pas qu’on allait grossir aussi vite en aussi peu de temps. Notre réussite amène une preuve qu’on peut monter de l’industrie ailleurs que dans la région de Dakar, et notamment en Casamance, qui d’un point de vue économique, était une zone de conflit. » L’avenir, Maurice Sara l’envisage sereinement. Mais qu’en est-il du groupe Kirène ?

Vingt ans d’existence de Kirène

Le leader du secteur ne joue pas dans la même catégorie. Si l’eau minérale reste son activité historique (50 % de son chiffre d’affaires – dont le montant exact ne nous a pas été dévoilé), Kirène produit également des jus de fruits dont le marque phare est Présséa (30 %), du lait UHT sous la marque française Candia (10 %) et des boissons gazeuses en partenariat avec PepsiCo depuis l’été 2020 (10 %).

Le groupe Siagro emploie directement 400 personnes et s’appuie sur une flotte d’une centaine de camions, toutes activités confondues. Son chiffre d’affaires est en progression de 10 à 15 % chaque année (en englobant les différentes activités du groupe), selon l’entreprise.

« Avant les arrivées de La Casamançaise et de Séo (numéro 3 du secteur de l’eau, apparu en 2018), nous avions une position particulièrement dominante sur le marché de l’eau », indique Alexandre Alcantara, DG du groupe depuis 2001, rencontré au siège de Dakar-Plateau. L’homme évalue toutefois la part de son concurrent direct sur le marché entre 20 à 30 %. Les deux groupes s’affrontent notamment sur le bidon de 10 litres d’eau – vendu 1 000 F CFA l’unité – qui représente la moitié de l’activité du marché.

CE QUI FAIT NOTRE FORCE, C’EST NOTRE HISTOIRE, KIRÈNE EST UNE DES MARQUES PRÉFÉRÉES DU SÉNÉGAL

« Ce qui fait notre force, c’est notre histoire. Cela fait plus de vingt ans que nous sommes présents. Kirène est une des marques préférées du Sénégal. Au Magal, par exemple, nous donnons chaque année l’équivalent d’une vingtaine de semi-remorques d’eau », se félicite Alexandre Alcantara, qui entend bien maintenir le leadership de la marque.

Le groupe a réussi à attirer des géants de la boisson comme Pepsi grâce, notamment, à sa « puissance de frappe », comme le souligne le directeur général, qui peut compter sur une équipe marketing d’une quinzaine de personnes – et d’une filiale commune avec Orange qui permet au groupe de capitaliser sur l’impressionnant maillage de l’opérateur téléphonique à travers le pays.

Si Maurice Sara n’entend pas contester la force de son grand rival, le dirigeant de Sodeca indique avoir investi 4 milliards de F CFA (soit plus de 6 millions d’euros) dans son entreprise depuis ses débuts (en comptant la construction du site, les réinvestissements et les crédits), et il voit une marge de progression pour sa marque. « Notre outil de production actuel permet encore de prendre 20 % du marché en plus. Et à terme, devenir le leader de l’eau. » En attendant, La Casamançaise devrait se décliner en eau gazeuse d’ici à quelques mois.