Viva Tech : malgré son retard, l’Afrique francophone s’affirme

Avec les Africa Tech Awards, le salon dédié aux start-up et à l’innovation technologique valorise les initiatives du continent. Encore peu développées, les jeunes pousses francophones cherchent à rivaliser avec leurs consœurs anglophones.

Mis à jour le 20 juin 2022 à 21:43
 

 

Tamsir Ousmane Traoré présente sa start-up Logidoo au salon Viva Technology, avec des responsables de la délégation sénégalaise. © DR

 

« Les gros capitaux en Afrique, investissez dans les start-up ! » Makhtar Diop, directeur général de l’IFC, la filiale de la Banque mondiale spécialisée dans le financement du secteur privé, a donné le ton à l’occasion de l’ouverture de la première cérémonie des Africa Tech Awards du salon Viva Technology, qui s’est tenu à Paris du 15 au 18 juin.

Organisés en partenariat avec l’IFC, les Africa Tech Awards récompensent les jeunes pousses africaines évoluant dans les domaines de la Climate Tech, de la Healthtech et de la Fintech, et qui ont un impact réel sur le développement du continent. Chacun des trois gagnants bénéficie d’une visibilité accrue et d’un accès aux réseaux du salon Viva Technology – créé en 2016 par le groupe Les Echos et Publicis – et à ceux de l’IFC, avec notamment des rencontres individuelles avec des dirigeants et des cadres supérieurs de l’industrie technologique. Objectif : promouvoir les écosystèmes d’innovation et créer des opportunités pour les entrepreneurs sur les marchés internationaux. Et ce sont les start-up égyptienne Cheefa (Healthtech), sud-africaine Click2Sure (Fintech) et kényane WEEE (Climate tech) qui ont remporté le graal.

Les « Big 4 » de la tech

Une tiercé gagnant qui n’a rien de surprenant puisque les 45 nominés sélectionnés par le jury concentraient presque exclusivement des solutions développées par des entrepreneurs des « Big 4 » de la tech : l’Égypte, le Nigeria, le Kenya et l’Afrique du Sud. Pour cette première édition, Africa Tech n’a donc pas fait le choix d’une large représentation de la diversité du continent. Mettant de côté les start-up d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, elle s’est surtout focalisée sur les pays qui captent les plus importants flux d‘investissements en capital-risque. Selon les données de The state of tech in Africa (Partech, 2021), ces quatre géants de l’économie africaine ont capté environ 62 % de ces investissements entre 2014 et 2019.

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Comment l’Afrique francophone, encore peu attractive, peut-elle rattraper son retard ? « Si l’environnement n’est pas sain, on ne pourra pas développer le secteur », déclare à Jeune Afrique Mamadou Ndiaye, responsable de la formation et du renforcement des capacités à la Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (DER), au Sénégal. Au salon Viva Tech, il fait partie d’une délégation sénégalaise constituée de son organisme et de Lions Tech, le label fédérant les acteurs clés de l’entreprenariat dans le pays et une dizaine de start-up. Créer un environnement favorable aux affaires, et donc aux intérêts des capitaux privés, c’est justement la mission que s’est donnée le gouvernement sénégalais ces dernières années. Il y a quatre ans, aucun fonds étatique n’était dédié au financement des start-up, aucune règlementation spécifique n’existait et les investisseurs en capital-risque étaient peu présents.

Potentiel d’expansion

Aujourd’hui, le Sénégal est le deuxième pays africain à avoir voté un Start-up Act (après la Tunisie) et le premier pays francophone d’Afrique subsaharienne à voir émerger une licorne sur son territoire, avec Wave, qui a récemment levé 200 millions de dollars (environ 190,5 millions d’euros). Désormais, l’État consacre 25 millions de dollars à la tech, principalement pour du financement early stage (en phase d’amorçage). Des mécanismes de co-financement Europe-Afrique voient le jour, comme le programme Lions Tech Invest, un Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) constitué avec l’ambassade de France, en collaboration avec Proparco et BPI France. Enfin, plusieurs programmes d’accélération ont aussi été mis en place (Asip, Fabrique des champions, Orange Fab…)

« Les investisseurs s’intéressent de plus en plus au marché africain francophone, notamment aux start-up ayant un potentiel d’expansion régionale ou sous-régionale », explique Mamadou Ndiaye. Pour lui, une volonté politique forte est nécessaire pour positionner l’innovation comme vecteur de développement économique.

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Également présent au salon Viva Tech, avec la délégation de la République démocratique du Congo, Désiré Cashmir Kolongele Eberande, ministre du Numérique de la RDC, partage le même constat.

« L’État veut essayer d’attirer des investisseurs privés, mais pour cela, le climat des affaires doit être facilité. Nous avons modernisé notre arsenal administratif et l’avons rendu plus simple », affirme-t-il à Jeune Afrique. De fait, il y a trois mois, la RDC a adopté un projet de loi portant la création d’un cadre juridique spécifique aux start-up. « Viva Tech est une vitrine qui nous permet de présenter nos solutions locales à vocation internationale. En parallèle, nous profitons de cette tribune pour que nos entrepreneurs puissent avoir une vision élargie du développement de la tech », ajoute le ministre.

Levées de fonds et prises de risque

Du côté des entrepreneurs africains, la question d’un accès plus aisé aux financements se pose avec acuité. Le Sénégalais Souleymane Gning, fondateur & CEO d’Assuraf, solution de services d’assurance, a commencé sur fonds propres avant d’obtenir par la suite l’appui de la DER. Pour l’ancien d’HEC passé par Cisco Systems, « lever de l’argent, c’est un boulot à temps plein, je suis seul et je suis dans l’opérationnel. C’est ma principale difficulté ». Pour lui, le manque d’intérêt envers les pays francophones s’explique d’abord par une différence culturelle : les Anglo-Saxons sont plus sûrs d’eux alors que dans la culture francophone, il existe une « aversion à l’égard du risque ». Par ailleurs, l’intérêt pour les Big 4 [Nigeria, Égypte, Afrique du Sud, Kenya] s’explique par le fait que ce sont de grosses économies. « Et puis ce sont des pays anglophones et le venture capital est très anglo-saxon, il y a forcément cette aisance et cette appartenance culturelle qui fait qu’on va d’abord parler aux anglophones », estime l’entrepreneur.

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Dans un autre domaine, le Sénégalais Tamsir Ousmane Traoré, qui dit être « né dans la logistique », a vite appris à identifier les problématiques de son secteur grâce à son expérience dans l’entreprise familiale. Pour réduire les temps de transit lors d’envois de colis, sa start-up Logidoo crée désormais des corridors en coordonnant des transporteurs entre des pays connectés, la première liaison reliant le Sénégal au Maroc, son principal partenaire commercial. Aux levées de fonds, l’entrepreneur a préféré dans un premier temps l’option « bootstrapping », qui vise à construire le succès sur des fonds et des revenus propres. « Nos plus grosses difficultés étaient au niveau légal. Les réglementions sont différentes dans chaque pays, les procédures aussi. Mais on a réussi à réduire les coûts de transit de 30 %, donc 30 % de moins sur le coût du produit final ; avec la Zeclaf on passera à plus de 50 % », affirme-t-il. Avec la clôture de son premier tour de table, dont il n’a pas souhaité communiquer le montant, le patron de Logidoo affirme vouloir viser les 13 pays de la zone Uemoa.

Et bien qu’il partage la vision de beaucoup sur la « culture entrepreneuriale anglo-saxonne » favorisant la captation des capitaux privés, il croit en l’émulation qui se développe ces dernières années dans la tech ouest-africaine : « Il ne faut pas voir le verre à moitié vide. Fondamentalement, il y a encore de gros efforts à faire, mais il y a eu des avancées et l’engouement est là ! »