Sahara : la solitude de Staffan de Mistura

Alors que la crise régionale a pris une nouvelle ampleur ces derniers mois, l’émissaire onusien dispose d’une marge de manœuvre extrêmement réduite, comme en témoigne son actuelle tournée.

Par  - à Casablanca
Mis à jour le 7 septembre 2022 à 12:00

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Staffan de Mistura (à g.) avec Brahim Ghali, le chef du Polisario, à Tindouf, le 4 septembre 2022. © AFP

 

« Une tournée pour rien », « une visite pour justifier l’existence même d’un envoyé spécial des Nations unies pour le Sahara ». Les commentaires qui accompagnent la nouvelle tournée, entamée en juillet, de l’émissaire onusien Staffan de Mistura, nommé en novembre 2021, témoignent des difficultés du diplomate.

Le 3 septembre, il s’est rendu dans les camps de Tindouf, avant de faire escale deux jours plus tard à Alger. La dernière étape de son périple ne sera autre que Nouakchott, en Mauritanie, à partir du 10 septembre. Fait assez rare pour être signalé, le Maroc, le Polisario et l’Algérie s’accordent au moins sur un point : cette visite onusienne n’aura aucun impact sur la résolution du conflit au Sahara.

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« La méthode de l’ONU est toujours la même, rien n’a changé, l’émissaire rencontre toujours les mêmes personnes, qui répètent toutes la même chose. Alors qu’il est clair que nous ne sommes absolument pas dans un contexte de médiation », affirme un ex-membre du Polisario.

Liberté de mouvement réduite ?

Staffan de Mistura et l’ONU semblent même agacer au plus haut point chacune des parties. Du 4 au 8 juillet, le médiateur italo-suédois avait débuté sa deuxième tournée dans la région par Rabat, et un entretien avec le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita. Son agenda prévoyait notamment une visite à Laâyoune, la ville la plus importante du Sahara administrée par le royaume, finalement annulée à la dernière minute sans la moindre explication.

Depuis, les langues se sont déliées et il semblerait que l’idée d’une escale à Laâyoune ait déplu à la fois au Maroc et à l’Algérie. Sur place, Staffan de Mistura avait prévu de rencontrer un certain nombre d’indépendantistes sahraouis, ce qui a irrité Rabat.

Tandis qu’Alger a considéré que cette visite à Laâyoune aurait traduit un parti pris de l’organisation internationale en faveur du Maroc. Au cours d’un point presse organisé le 5 juillet, Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’ONU, a assuré que Staffan de Mistura « n’a pas perdu sa liberté de mouvement ».

Voire ! D’ordinaire, l’émissaire onusien effectue ses voyages à bord d’un avion affrété par l’Espagne. Ce 5 septembre, alors qu’il devait rallier Alger depuis les camps de Tindouf, les autorités algériennes ont fait pression sur le diplomate pour qu’il prenne un vol régulier de la compagnie Air Algérie.

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Motif invoqué ? « L’envoyé spécial de l’ONU ne doit pas avoir de dette envers un pays qui a renié sa position de neutralité traditionnelle », selon une source algérienne citée dans un média espagnol, en référence au récent soutien de Madrid au plan d’autonomie pour le Sahara proposé par le Maroc en 2007.

Chacun campe sur ses positions

Ce n’est pas la seule déconvenue pour Staffan de Mistura. Alors qu’il a passé le week-end dernier dans les camps de Tindouf pour aller à la rencontre des dirigeants du Polisario, dont le président de la RASD, Brahim Ghali, l’agence de presse officielle du mouvement séparatiste s’est fendue d’un communiqué très sévère à l’égard des Nations unies qui se serait « dérobées devant leurs responsabilités pendant trente ans ».

À Alger, quelques jours plus tard, Staffan de Mistura s’est à nouveau heurté au rejet par les autorités algériennes du format des « tables rondes » préconisé par l’ONU et censé réunir le Maroc, le Polisario, l’Algérie et la Mauritanie afin de négocier la résolution du conflit au Sahara. Le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra appelle toujours à des « négociations directes entre le Maroc et le Polisario », ce que Rabat refuse catégoriquement. Chacun campe ainsi sur ses positions.

À la fin de cette tournée, Staffan de Mistura doit remettre un rapport concernant la situation sur le terrain au Conseil de sécurité au cours de la seconde quinzaine du mois d’octobre, quelques jours avant le vote sur la prolongation du mandat de la Minurso.

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Mais la balle est dans le camp des deux rivaux du Maghreb : le Maroc et l’Algérie, qui ont rompu toute relation depuis plus d’un an et dont la guerre larvée empoisonne l’ensemble du Maghreb.

Doucement mais sûrement, les poids lourds de l’ONU se rallient à la position marocaine. Dans son discours du 20 août dernier, le roi Mohammed VI l’a clairement signifié : le Sahara est « le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international ».

Dans un rapport publié en mars, le think tank European Council On Foreign Relations affirme que le contexte international devrait même pousser le Polisario à revoir ses revendications « à la baisse », « l’indépendance » n’étant pas jugée comme une « option réaliste » ou « réalisable » par les responsables européens.