Côte d’Ivoire : six ans après Grand-Bassam, la menace terroriste plus forte que jamais

L’attentat commis dans la cité balnéaire ivoirienne a constitué un tournant pour la lutte contre le terrorisme dans le pays. Le procès en cours rappelle que le risque d’attaques jihadistes est toujours très présent.

 
Mis à jour le 8 décembre 2022 à 12:21
 
 

 armee

 

Sur la place Jean-Paul-II, lors de la célébration du 62e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, à Yamoussoukro, le 7 août 2022. © SIA KAMBOU/AFP

 

 

Les plages de la station balnéaire de Grand-Bassam n’ont pas grand-chose en commun avec les pistes rocailleuses du nord-est de la Côte d’Ivoire. Elles partagent toutefois la sombre caractéristique d’avoir été le théâtre des deux grands attentats jihadistes qui ont frappé le pays.

Le 13 mars 2016, à la mi-journée, trois hommes armés débarquent sur la plage de Bassam. Ils feront 22 morts et 33 blessés, principalement des civils. Un peu plus de quatre ans après, dans la nuit du 10 au 11 juin 2020, une quarantaine de personnes prennent pour cible le village de Kafolo, situé à 200 kilomètres au nord de Korhogo, à la frontière avec le Burkina Faso. Tirés de leur sommeil, les éléments du détachement de l’armée sont totalement pris par surprise. Quatorze d’entre eux perdront la vie.  

Mode opératoire, identité des assaillants, profil des victimes… La première attaque menée sur le sol ivoirien est différente de la première à avoir frappé le Nord à bien des égards. L’attentat de Grand-Bassam, dont le procès s’est ouvert le 30 novembre à Abidjan, a permis de faire émerger un acteur majeur de la lutte contre le terrorisme en Côte d’Ivoire, le général Ousmane Yeo.

À LIRECôte d’Ivoire – procès des attentats de Bassam : « C’est épouvantable, on a tiré sur des gens qui venaient passer une belle journée »

Au moment des faits, il préside la cellule spéciale d’enquête sur les crimes de la crise postélectorale et va devenir « Monsieur Antiterrorisme ». En août 2021, Alassane Ouattara le nomme à la tête du Centre de renseignement opérationnel antiterroriste (CROAT), une structure placée sous la tutelle du chef de l’État. Composée de cinq cellules chargées du recueil et de l’analyse des renseignements, de l’appui technologique, de la coopération internationale et, surtout, des opérations, elle vient remplacer le Centre de renseignement antiterroriste (CRAT) qui était logé à la Direction des services extérieurs (DSE) de la présidence et qui, comme son acronyme l’indique, n’était pas doté d’une cellule opérationnelle. 

Relais familiaux

Depuis l’attentat de Grand-Bassam, la menace jihadiste a nettement évolué. Bassam avait été pris pour cible par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Le groupe qui avait mené l’action était lié à celui ayant commis l’attaque contre le café Cappuccino et l’hôtel Splendid, à Ouagadougou, qui avait fait 30 morts en janvier 2016. Les hommes qui ont fondu sur Kafolo, eux, sont liés à la katiba Macina, du Malien Amadou Koufa, filiale du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) d’Iyad Ag Ghaly, et à la faction burkinabè Ansarul Islam. Une sorte de franchise de la katiba Macina.

Cette faction est menée par un homme, Sidibé Abdramani, plus connu sous l’alias « Hamza ». Son groupe est aujourd’hui composé d’une petite centaine de combattants disséminés dans le sud-est du Burkina, le long de la frontière ivoirienne. Il bénéficie également de relais, notamment familiaux, des deux côtés de la frontière.  

À LIRESahel : entre Iyad Ag Ghali et Abu al-Bara al-Sahraoui, la guerre des (chefs) jihadistes

L’attaque contre Kafolo a fait l’effet d’une piqûre de rappel aux autorités ivoiriennes. Car les efforts importants déployés pour mener à bien l’enquête sur l’attentat de Grand-Bassam avaient laissé la place à un relâchement coupable. « Il y a eu une vraie prise de conscience et la fin d’un tabou, celui de l’expansion de l’islam radical en Côte d’Ivoire. Désormais, la riposte s’effectue sur deux axes : la prévention contre l’extrémisme religieux et la lutte contre le terrorisme », explique une source sécuritaire française. 

Après Kafolo, plusieurs autres attaques ont eu lieu courant 2021. Ce même village a été une nouvelle fois pris pour cible le 29 mars. Un élément des forces spéciales, un membre du bataillon de chasseurs-parachutistes et un civil seront tués, cinq militaires blessés. Un gendarme sera également assassiné le même soir, entre deux et trois heures du matin, dans l’attaque, par le même groupe, d’un poste mixte de l’armée et de la gendarmerie dans la sous-préfecture de Tehini, une petite ville située au nord du parc national de la Comoé, à l’est de Kafolo.

Le 7 juin 2021, les jihadistes ont frappé à Tougbo, dans le département de Bouna. Enfin, en octobre de la même année, des éléments de l’armée motorisés déployés à Téhini ont mis en déroute des hommes en armes en reconnaissance. Deux militaires ont néanmoins été blessés. Enfin, début février 2022, un engin explosif improvisé (IED) a été découvert sur l’axe Téhini-Koïnta, toujours près du parc de la Comoé.

Dans le Nord-Est, un répit relatif

Le nord-est de la Côte d’Ivoire observe depuis un certain répit. « Si les groupes armés jihadistes ont démontré leur volonté de s’étendre en direction des pays côtiers, notre pays peut encore être considéré comme une zone de repli et d’approvisionnement plus qu’une cible directe. Mais pour combien de temps ? » interroge un haut-gradé ivoirien.

« La Côte d’Ivoire a procédé à une réorganisation de sa carte militaire, elle dispose désormais d’un maillage plus important dans le Nord », assure le chercheur Lassina Diarra. Des groupes tactiques interarmées (GTA) ont notamment été disposés le long de la frontière avec le Burkina Faso, dans les localités de Doropo, Bolé, Téhini ou Tougbo.  

À LIRECôte d’Ivoire : comment les jihadistes tentent de s’implanter dans le Nord

Toujours selon Lassina Diarra, au-delà de l’aspect sécuritaire, « les jihadistes tentent de jouer sur les dynamiques sociales et ethniques. Ils cherchent à attiser les tensions communautaires. Ils diversifient leurs sources de financement, via l’élevage et l’exploitation de l’or, appuient sur le sentiment de marginalisation et d’injustice des populations peules » présentes sur le territoire ivoirien ou de part et d’autre de la frontière avec le Burkina. Vivant principalement de l’élevage, ces dernières se sentent régulièrement lésées dans le règlement des conflits qui les opposent aux planteurs, mécontents de voir leurs cultures piétinées par le bétail ou leurs points d’eau utilisés. 

Les forces de sécurité procèdent aussi régulièrement à des arrestations groupées, qui ont tout de véritables rafles, visant exclusivement cette communauté. Il y a un mois, une vingtaine d’éleveurs revenant de l’inhumation de l’un des leurs au cimetière de Doropo ont été brièvement arrêtés. Une poignée a été interrogée « pour les besoins de l’enquête », avant d’être relâchée. Cette situation fait écho à celle observée au Mali et au Burkina Faso il y a quelques années. « Les arrestations arbitraires sont moins nombreuses », affirme tout de même une source sécuritaire française.  

Plusieurs incursions

Malgré le calme apparent, « les jihadistes maintiennent la pression. Il n’y a pas d’attaque à l’heure actuelle, mais quelques incursions », poursuit Lassina Diarra, qui a mené plusieurs études de terrain dans la zone. Mi-2022, les services de renseignement ivoiriens ont été informés qu’une poignée de combattants de nationalité guinéenne avaient regagné leur pays après avoir été formés plusieurs mois durant au Mali, dans la zone de Sikasso. « La question est de savoir s’ils comptaient se rendre ensuite au Sénégal ou en Côte d’Ivoire », souligne un militaire ivoirien.  

À LIRECôte d’Ivoire : la menace terroriste fragilise les relations intercommunautaires

Plus récemment, fin septembre, l’armée burkinabè a alerté la Côte d’Ivoire au sujet d’une possible menace sur son sol. Selon les informations émanant de Ouagadougou, un membre d’un groupe jihadiste dirigé par le fameux Hamza aurait confié à l’un de ses contacts que des combattants ghanéens et ivoiriens avaient été préparés en territoire burkinabè à participer à des attaques contre leurs pays respectifs. « Ces combattants sont prêts à commencer leurs actions, mais, pour l’heure, ils attendent le mot d’ordre de la hiérarchie terroriste », concluait le message d’alerte de l’armée burkinabè. 

En état d’alerte

Est-ce la raison pour laquelle l’armée ivoirienne a été mise en alerte sur l’ensemble du territoire entre le 22 et le 30 novembre, selon une note interne largement diffusée sur les réseaux sociaux ? Outre les craintes venues du Burkina Faso, les services de renseignement ont eu écho de l’arrivée de combattants et de matériels, acheminés depuis le Mali, près de sa frontière avec le Burkina. 

Si les autorités ivoiriennes ont cette fois été informées par leurs homologues burkinabè, la coopération entre les deux pays a sérieusement pâti du dernier changement de régime. Arrivé au pouvoir après un coup d’État mené en janvier, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a fait place début octobre au capitaine Ibrahim Traoré.

Les échanges sont en revanche inexistants avec son autre voisin, le Mali, tant les relations entre Abidjan et Bamako sont exécrables depuis l’arrestation le 10 juillet, dans la capitale malienne, de quarante-neuf soldats ivoiriens (dont trois ont depuis été libérés)