Le pape à la Curie : « Notre premier grand problème est de trop nous fier à nous-mêmes »

Analyse 

Lors de ses traditionnels vœux de Noël à la Curie romaine, le pape François a mis en garde, jeudi 22 décembre, contre toute tentation de se présenter comme des « victimes traitées injustement par l’autorité constituée », répondant indirectement aux critiques sur ses modes de décision.

  • Loup Besmond de Senneville (à Rome), 
Le pape à la Curie : « Notre premier grand problème est de trop nous fier à nous-mêmes »
 
Le pape François lors de l’audience au Vatican mercredi 21 décembre 2022.ALBERTO PIZZOLI/AFP

Depuis le début du pontificat, ce discours est toujours attendu avec une forme d’anxiété par la Curie romaine. Le pape, qui avait, dès son arrivée, fustigé les « maladies » de son administration curiale, en a cette fois invité les membres à la « conversion », jamais terminée. Jeudi 22 décembre, lors de ses traditionnels vœux de Noël à la Curie, le pape a ainsi une nouvelle fois mis en garde ceux qui l’écoutaient contre la tentation de ne jamais se remettre en cause.

« L’une des vertus les plus utiles à pratiquer est celle de la vigilance », a expliqué le pape. Une vigilance contre le mal venant de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur même de la « maison » que constitue aux yeux du pape la Curie romaine. Au début de son discours, d’une vingtaine de minutes, il avait ainsi demandé à ceux qui travaillent pour lui de ne pas sombrer, sans le citer explicitement, dans le péché d’orgueil.

« Nous ne devons pas nous fier à nous-mêmes, mais seulement au Seigneur »

« Notre premier grand problème est de trop nous fier à nous-mêmes, à nos stratégies, à nos programmes », a ainsi souligné François. « Nous ne devons pas nous fier à nous-mêmes, mais seulement au Seigneur », a-t-il poursuivi. Un élément également très présent dans la réforme de la Curie, dont la nouvelle constitution est entrée en vigueur en juin, mais qui est encore loin d’être mise en œuvre dans les dicastères.

La Curie, a indiqué François, ne doit pas, comme l’abbesse de Port-Royal et ses moniales au XVIIe siècle, faire preuve de « jansénisme ». « D’elle et de ses moniales, on disait : “Pures comme des anges, orgueilleuses comme des démons.” Elles avaient chassé le démon, mais il était revenu sept fois plus fort et, sous le couvert de l’austérité et de la rigueur, il avait apporté la rigidité et la présomption d’être meilleures que les autres », a commenté le pape.

Contre les « bavardages » et les rumeurs

Cette présomption d’être « meilleur » se nourrit aussi lorsque l’on est convaincu d’être « victimes, traitées injustement par l’autorité constituée et, en définitive, par Dieu lui-même », a ajouté François. Avant de poursuivre : « Et combien de fois cela arrive. Ici, dans cette maison. »

Cette fois encore, il a fustigé les « bavardages » et les rumeurs, où ils représentent souvent – dans une Curie où le silence est une règle d’or – une manière pour les plus critiques de faire savoir ce qu’ils pensent.

« Nous pouvons nous demander : quelle amertume y a-t-il dans notre cœur ? Qu’est-ce qui la nourrit ? Quelle est la source de l’indignation qui, très souvent, crée une distance entre nous et alimente la colère et le ressentiment ? Pourquoi la médisance, dans toutes ses déclinaisons, devient-elle le seul moyen que nous avons pour parler de la réalité ? », a interrogé François.

La bienveillance contre les secrets d’alcôves

Aux rumeurs et aux secrets d’alcôve, le pape a opposé l’exigence de la « bienveillance »« La bienveillance, c’est toujours choisir la modalité du bien pour entrer en relation entre nous, a développé François. Il n’y a pas que la violence des armes, il y a la violence verbale, la violence psychologique, la violence de l’abus de pouvoir, la violence cachée des bavardages, qui font tant de mal et détruisent tant. »

À travers ces mots, François a en réalité répondu directement aux critiques qui le visent depuis plusieurs mois, certains n’hésitant plus à parler, à Rome, de « tournant autoritaire », songeant en particulier à la récente mise au pas de Caritas Internationalis, mais aussi de l’Ordre de Malte ou de la réforme imposée de l’Opus Dei.

Dans ces trois cas, pour des raisons très différentes, le pape a imposé au cours des derniers mois de profondes réformes internes. Des décisions souvent vécues de l’intérieur comme un « coup de poing sur la table » papal, mais répondant à de réels blocages, humains ou institutionnels.

« Pardonnez-moi, frères et sœurs, si parfois je dis des choses qui peuvent sembler dures et fortes, a insisté le pape. Ce n’est pas parce que je ne crois pas à la valeur de la douceur et de la tendresse, mais parce qu’il est bon de réserver les caresses aux personnes fatiguées et opprimées. »