Orthodoxie et catholicisme, deux modèles d’Église ?

 
Chronique
  • Isabelle De Gaulmynrédactrice en chef

Jugeant l’Église catholique trop centralisée le pape François a lancé une réforme pour donner plus de pouvoir aux évêques locaux. L’exemple orthodoxe, où chaque patriarche jouit d’une indépendance totale, montre que le risque de voir se constituer des Églises nationales, voire nationalistes, n’est pas mince.

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Orthodoxie et catholicisme, deux modèles d’Église ?
 
Isabelle de Gaulmyn.BRUNO LEVY

Le Vatican vient de publier une nouvelle constitution. L’objectif : réformer la gouvernance au sein de l’Église catholique. Principale nouveauté, des pouvoirs plus importants reconnus aux évêques et aux conférences épiscopales de chaque pays, par rapport à Rome. C’était d’ailleurs la demande qui avait surgi au moment de l’élection du pape François : les 5 000 évêques « de terrain » n’en pouvaient plus d’un exercice du pouvoir romain hypercentralisé, et d’une Curie qui ne laissait guère de marge de manœuvre, faisant d’eux des sortes de hauts fonctionnaires aux ordres du pape.

→ RELIRE. Réforme de la Curie, une nouvelle conception du pouvoir ?

Lointaine héritière de l’Empire romain, l’Église catholique a toujours été organisée autour de la suprématie de Rome et de son évêque – le pape –, qui joue un rôle prééminent. « Roma locuta, causa finita », dit-on en bon catholique : « Rome a tranché, la cause est entendue. »

Rééquilibrer les pouvoirs

La difficulté, apparue au tournant de ce siècle, c’est que ce qui pouvait convenir pour une Église essentiellement européenne ne l’était plus pour une Église mondialisée de plus de 1,2 milliard de pratiquants. On n’est pas catholique de la même manière en Pologne, au Brésil, au Vietnam ou au Congo… Et tout ne peut pas se décider à Rome.

La nouvelle constitution s’efforce donc de rééquilibrer les pouvoirs au profit des conférences des évêques de chaque pays, la Curie romaine ayant désormais pour mission de se mettre à leur service, et non l’inverse… Une décentralisation qui devrait permettre, souligne Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président des évêques de France, dans un entretien avec La Croix, de mieux prendre en compte « la dimension régionale ».

→ ANALYSE. Les conférences épiscopales, interlocuteurs privilégiés pour la Curie

Mais jusqu’où aller dans cette décentralisation ? Comment s’assurer que chaque pays ne construise pas progressivement sa propre Église, de manière autonome ? Avec la montée des nationalismes au XIXe siècle, le catholicisme s’est gardé de trop favoriser le cadre étatique, pour éviter que l’Église ne soit instrumentalisée ou prise en otage par le politique.

Les limites du modèle orthodoxe

L’exemple orthodoxe actuel montre que cette crainte n’est pas vaine. L’orthodoxie, contrairement au catholicisme, est basée sur l’autocéphalie : chaque Église a son propre patriarche, élu localement, qui jouit d’une indépendance totale, sur le plan juridique comme sur le plan spirituel, par rapport à une quelconque autorité. Il n’existe pas de pape au-dessus d’eux. On ne retrouve pas l’organisation pyramidale du catholicisme.

Ce modèle orthodoxe favorise une forme de « synodalité », c’est-à-dire de discussions entre les patriarches, et de pluralisme. Mais on en voit aussi les limites : ce que l’orthodoxie a elle-même appelé le « phylétisme », et qu’elle considère d’ailleurs comme une hérésie, c’est-à-dire la confusion entre le territoire, où est l’Église, et la nation. Car la prise en compte des intérêts nationaux ou ethniques dans les questions d’Église ouvre la porte à une instrumentalisation de la religion comme arme politique.

C’est exactement ce qui se passe actuellement avec le Patriarcat de Moscou, qui a adopté de manière caricaturale les arguments bellicistes de Vladimir Poutine, dont il épouse totalement la ligne. Avec le risque de l’explosion de l’orthodoxie : les positions de Kirill, alignées sur Poutine, sont rejetées par les autres Patriarcats d’Europe de l’Est, et fragmentent durablement l’unité entre « frères orthodoxes ».

→ TRIBUNE. « Kirill va briser l’unité orthodoxe »

Dans le catholicisme, le risque est moindre. Il n’empêche : on a vu des Églises s’enfermer dans les logiques purement nationales. En France, nous avons connu par le passé une tentation gallicane, qui a conduit à confondre christianisme et nationalisme. Le centralisme romain a ses inconvénients. Mais il permet aussi de porter le regard au-delà de nos frontières pour une Église qui se veut catholique, c’est-à-dire universelle…