Au Maroc, les discrètes « églises de maison » font vivre un christianisme de migration 

Reportage 

Depuis une vingtaine d’années, des petites communautés évangéliques se sont créées au Maroc grâce à l’installation d’Africains subsahariens. Faute d’autres lieux de culte, elles se réunissent dans des appartements ou des maisons. L’institut œcuménique de théologie Al-Mowafaqa forme gratuitement certains de leurs responsables.

  • Rémy Pigaglio (à Rabat), 

 

Au Maroc, les discrètes « églises de maison » font vivre un christianisme de migration
 
Le pasteur camerounais Didier Ndjikap officie dans l’église Elohim dans un immeuble du quartier populaire de Yacoub-Al-Mansour, à Rabat, le 3 avril 2018.MALIK NEJMI/VU

La salle commence à peine à se remplir que les premières notes de synthétiseur s’élèvent. Sur la trentaine de chaises en plastique, les fidèles sont en tenues du dimanche. Femmes en robes colorées, hommes en chemise. « Alleluia ! Tu es présent ! », lance Yannick Backala au micro pour commencer la prière. Originaire du Congo-Brazzaville, il accueille les fidèles qui arrivent et dont les prières s’élèvent dans ce modeste décor.

Les fidèles n’oublient pas le Maroc qui les accueille. « Tu vas prier pour ses habitants, qu’ils soient chrétiens ou non ! Que ce royaume soit béni ! Béni soit aussi le roi de ce pays ! », lance Yannick Backala, toujours en rythme et en musique.

Au dernier étage d’un banal immeuble

De l’extérieur, rien ne révèle la présence de l’Église Elohim au dernier étage de cet immeuble banal du quartier populaire de Yacoub-Al-Mansour, à Rabat. Dirigés par le pasteur camerounais Didier Ndjikap, ses fidèles sont tous originaires d’Afrique subsaharienne. « Cela fait deux ans que j’y viens », raconte Didier Komol, 33 ans, lui aussi originaire du Cameroun. « Je l’ai choisie car c’est une Église du Réveil (un courant évangélique, NDLR). J’ai constaté que l’Esprit de Dieu était avec nous. Je sens sa présence et, à la fin du culte, je suis tranquille. »

L’Église Elohim est l’une de ces dizaines, voire centaines, d’« églises de maison » évangéliques apparues au Maroc ces vingt dernières années. À mesure que le Maroc accueillait des étudiants, des travailleurs ou des migrants d’Afrique subsaharienne, elles se sont implantées dans les quartiers populaires des grandes villes marocaines. Leur développement a été favorisé par les vagues de régularisation des années 2010, après une période de dure répression des sans-papiers.

Globalement tolérées

Elles s’ajoutent aux Églises « historiques », présentes depuis le protectorat et reconnues par le roi : l’Église anglicane, l’Église évangélique au Maroc (autrefois majoritairement composée de protestants réformés) et l’Église catholique. « Beaucoup trouvent que ces Églises officielles ont une hiérarchie un peu trop stricte et qu’il est difficile de s’y faire une place », explique le pasteur Jean Masembila, originaire du Congo-Kinshasa. Leurs édifices, situés dans les centres-villes, sont aussi difficiles d’accès en raison du coût du transport pour des fidèles souvent en situation très précaire.

Dans ces églises informelles, les fidèles sont marqués par l’expérience du racisme et de l’exode, qui s’accompagne souvent de drames. « Ils y créent une véritable théologie de la migration », décrit Sophie Bava, anthropologue (1). À ses yeux, « ce christianisme par le bas est un vecteur d’intégration. Mais il peut s’accompagner d’effets pervers ». Certains pasteurs tiennent parfois des discours radicaux, notamment vis-à-vis de l’islam.

« Prévenir les discours intolérants »

Pour répondre à cet enjeu, l’institut œcuménique Al-Mowafaqa, fondé à Rabat en 2012 par l’Église catholique et l’Église évangélique au Maroc pour former leurs propres responsables, a créé la Forem, la « formation des responsables des églises de maison ». « Les cours abordent des questions théologiques, mais aussi des aspects de sociologie, notamment sur la société marocaine, décrit Jean Koulagna, pasteur et directeur de l’institut Al-Mowafaqa. L’un des objectifs est de prévenir les discours intolérants. »

Près de 150 responsables d’églises de maison ont été formés, gratuitement, depuis sa création, à Rabat et à Casablanca. Si les églises de maison ne sont pas reconnues, elles sont globalement tolérées, tout en restant discrètes. Au Maroc, où l’islam est la religion officielle et les Marocains dans leur grande majorité musulmans, la liberté religieuse n’est pas garantie. La Constitution reconnaît seulement la liberté de culte. « Les églises de maison sont un peu dispersées, constate Jean Masembila, qui est devenu l’un des encadrants de la Forem. La formation nous pousse à dialoguer et nous nous mettons ainsi en quête de l’Église universelle comme corps du Christ. »

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Un institut de théologie ancré dans le dialogue

Fondé à Rabat en 2012 par l’Église catholique et l’Église évangélique au Maroc (EEAM), l’institut œcuménique Al-Mowafaqa répond à leurs besoins de formation et de dialogue œcuménique, interreligieux et interculturel.

Les cours sont assurés par des professeurs-visiteurs d’Afrique et d’Europe, auxquels s’ajoutent des universitaires marocains.

Le conseil d’administration est coprésidé par l’archevêque de Rabat, Mgr Cristobal Lopez Romero, et la présidente de l’EEAM, la pasteure Karen Thomas Smith.

Deux institutions sont partenaires : le Theologicum de l’Institut catholique de Paris et la faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg.

(1) Coautrice avec Bernard Coyault et Malik Nejmi de Dieu va ouvrir la mer. Christianismes africains au Maroc, Kulte Éditions, 2022.