À Jérusalem, l’unité des Églises pour défendre la présence chrétienne

Reportage 

Deux adolescents soupçonnés d’avoir profané plusieurs dizaines de tombes d’un cimetière chrétien de Jérusalem ont été arrêtés, vendredi 6 janvier. Les chrétiens continuent de dénoncer plus largement une atmosphère d’insécurité et misent sur une plus grande unité pour faire entendre leur voix.

  • Nicolas Rouger, à Tel-Aviv (Israël), 
À Jérusalem, l’unité des Églises pour défendre la présence chrétienne
 
L’archevêque et gardien du cimetière protestant, Hosam Naoum, inspecte des tombes vandalisées sur le Mont Sion, le 4 janvier 2023.AHMAD GHARABLI/AFP

Mercredi 4 janvier à Jérusalem. L’archevêque anglican Hosam Naoum caresse avec tristesse des pierres tombales brisées dans le cimetière protestant du mont Sion. Il est venu pour témoigner de sa solidarité après la profanation de 30 tombes, le jour de l’An.

La nouvelle et les images des caméras de vidéosurveillance se sont répandues sur les réseaux sociaux. On y voit deux suspects s’adonnant à leur triste besogne – ils portent, tous les deux, la tenue traditionnelle des juifs orthodoxes sionistes. Il n’aura fallu que quelques jours à la police de Jérusalem pour les identifier et les appréhender. Une bonne surprise pour les communautés chrétiennes de la Ville sainte, et surtout celle sur le mont Sion, qui font régulièrement l’objet de harcèlement de la part d’extrémistes.

Des attaques et brimades régulières

Elles ne sont jamais d’une grande ampleur mais contribuent à créer une atmosphère d’insécurité. Sur le mont Sion, en particulier, où chrétienté et judaïsme cohabitent difficilement. Les attaques contre les frères bénédictins de l’abbaye de la Dormition, les brimades envers des prêtres par des jeunes juifs au sang chaud, les entrées par effraction dans une église orthodoxe sont monnaie courante. Et restent la plupart du temps sans réponse. « Même si la police sait très bien qui sont les auteurs… », regrette amèrement le gardien d’un des cimetières.

La rapidité de ces arrestations est sans doute liée à la sévérité du crime, aux preuves disponibles, mais aussi à la médiatisation de ces actes à travers le monde. Cela pourrait être en partie dû aux actions de la campagne collective lancée par les responsables des Églises de Terre sainte en 2021, spécifiquement pour sonner l’alarme sur une présence chrétienne en danger dans la Ville sainte. Cette unité est rare sur une Terre sainte bigarrée où les rivalités entre confessions chrétiennes sombrent parfois dans le tragi-comique.

Si les moyens mis à disposition de cette campagne ne sont pas colossaux – elle repose sur le travail de bénévoles –, elle semble toutefois avoir réussi à mettre les autorités israéliennes au pied du mur. Dimanche 8 janvier, ce n’est pas l’archevêque anglican mais le patriarche grec-orthodoxe, moteur de l’effort collectif, que le commissaire de la police de Jérusalem est allé voir pour annoncer l’arrestation. Les photos de leur conversation ont immédiatement été relayées par la diplomatie israélienne.

« La liberté de religion doit être sauvegardée »

« La politique de l’État d’Israël est très claire, depuis sa fondation en 1948 : la liberté de religion doit être sauvegardée », souligne Tania Berg-Refaeli, directrice du département des religions au ministère des affaires étrangères israélien. Elle insiste sur la bonne santé de la communauté chrétienne en Israël et l’ouverture des institutions d’État aux responsables religieux : « Ils peuvent avoir accès à tous les niveaux du pouvoir et ce dialogue est constant. »

De fait, la campagne des Églises chrétiennes, et ses différents acteurs, ne désavouent pas l’autorité de l’État d’Israël. Au contraire, c’est en partenaires qu’ils veulent rappeler aux autorités leurs obligations. Le message est clair et se veut neutre : les institutions chrétiennes reconnaissent les autorités israéliennes mais demandent que leur liberté de culte et leur présence dans le berceau de la religion chrétienne soient sauvegardées.

Craintes pour l’avenir

Cette affaire souligne une dichotomie complexe : certes l’existence des institutions chrétiennes, vieilles de centaines d’années, n’est pas menacée. C’est plutôt l’avenir des « pierres vivantes », la communauté chrétienne elle-même, qui inquiète. À Jérusalem, elle n’a pas grandi depuis les années 1920 en raison de l’émigration, alors que les populations juives et musulmanes ont décuplé.

Et si les arrestations des jeunes qui ont vandalisé des tombes ont été bien accueillies, des questions demeurent. Deux jours avant la profanation, des policiers ont aussi accompagné les membres de la Fondation de la Cité de David (Elad en hébreu) afin de prendre possession d’un terrain voisin de l’antique piscine de Siloé. La vente de ce terrain par le patriarcat orthodoxe, et l’expropriation de la famille palestinienne qui y habite, au profit d’Elad est contestée, faisant partie d’une affaire de corruption liée au précédent patriarche.

Pour les chrétiens locaux, c’est un nouvel épisode d’un processus de « judaïsation » – renforcement de la présence juive – de la ville, en partie responsable de leur exode. Et il pourrait s’alourdir sous le nouveau gouvernement israélien qui fait la part belle à l’extrême droite. « Nous craignons que les attaques augmentent, les crachats et les confrontations, assure l’archevêque anglican Hosam Naoum. Nous craignons plus de haine, plus de ségrégations, et c’est cela qui me rend le plus triste pour l’avenir de Jérusalem. »

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Les chrétiens de Jérusalem

Une population chrétienne qui stagne. Il y a environ 16 000 chrétiens à Jérusalem, autant qu’en 1922, selon les recensements officiels. Alors que les chrétiens représentaient un cinquième de la population, ils ne pèsent plus que pour 2 %.

En Israël, la loi et les institutions protègent la liberté de culte. Seule une minorité d’extrémistes expriment des sentiments antichrétiens.

En décembre 2021, à l’initiative du patriarche grec-orthodoxe Theophilos III, 13 Églises chrétiennes de Terre sainte ont appelé à la mise en place d’un statut particulier protégeant le quartier chrétien de la Vieille Ville de Jérusalem des « agressions physiques et verbales » par des groupes radicaux.