L'Église catholique et les défis de son temps au Mozambique


José Pampalk dans le webinaire de l’institut IESE à Maputo le 15.7.2021
Merci à l'IESE, au professeur Eric Morier-Genoud et au père Joâo de Deus Bukuru d'avoir rendu possible ce webinaire, si riche de sens et de promesses. Un merci spécial à tous les Pères Blancs qui en 1971 ont pris cette décision commune et en particulier aux prophètes défunts, toujours pas encore reconnus, le Superieur Général Père Theo van Asten et l'évêque Msgr. Manuel Vieira Pinto.

I. (Dans le passé - églises d'état et églises prophétiques)


L'ordre d'expulsion nous a été transmis le 25 mai 1971, avec l'obligation de prévenir les confrères des missions de brousse. Le 26 mai, j’ai fait en van les 500 km à Lundo et entre Tambara et Lundo j'ai fait une rencontre inoubliable avec une vieille inconnue : quand elle a entendu parler du motif de mon voyage, elle répondait: „il y a deux façons de se laver le visage : en le frottant avec les mains de haut en bas ou - de bas en haut, c'est-à-dire en ouvrant les yeux, comme je le ferai désormais !“Ce webinaire-ci est le moment de vérité, notre défi et notre kairós. Aujourd'hui est le grand jour pour faire ce que dit cette vieille dame : se frotter le visage de bas en haut, ouvrir les yeux et - sans accuser les autres - prendre sincèrement conscience du fait que nous parlons ici de différentes manières historiques de comprendre l'église.Même le Pape François a admis (lors de son 80ème anniversaire en décembre 2016) qu'il est confronté quotidiennement à ces mentalités opposées dans l'église
- une seule église, qui cherche à suivre les traces de Jésus de Nazareth et
- une autre église, attachée aux anciens rois de Constantinople, qui imite les princes féodaux qui monopolisent tout le pouvoir, se placent au-dessus du peuple et lui coupe la parole.Le défunt artiste Alberto Chissano a exprimé cette réalité avec la sculpture (photo !) intitulée "Qui me coupe les lèvres (qui me coupe la parole) ?". Le peuple Nyungwe exprime la même réalité avec le conte "les oiseaux et la tortue", (que je résume : en temps de famine, les oiseaux ont décidé de voler vers les montagnes et de demander de la nourriture à leurs proches. La tortue voulait partir avec eux, mais comme elle ne savait pas voler, elle demanda à chaque oiseau une plume pour se faire des ailes et pouvoir voler. Les proches des oiseaux leur ont généreusement apporté leur aide. Mais sur le vol de retour, la tortue réclama la présidence et toute la nourriture pour elle avec une telle obstination et intimidation, que finalement chaque oiseau lui arracha la plume qu'il avait empruntée, zash, la tortue tomba à terre et sa carapace se brisa...).Les arts plastiques et lyriques illustrent ainsi notre situation actuelle et montrent comment dans la manière du ‚leadersip‘, tant religieuse que politique, les eaux se divisent.

J'illustrerai ces différentes façons de voir par quelques exemples quotidiens de l'époque :

- En 1967, lors de l'ouverture du Centre de formation à Inhamizwa-Beira, nous avons cherché un nom pour le lieu et avons choisi "Nazareth", explicitement pour nous guider sur les traces de Jésus qui, dans l'Évangile de Luca 4:18, dit "l'Esprit m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, rendre la vue aux aveugles et la liberté aux opprimés".

- Mais en mai 1971, lorsque nous avons protesté contre le fait que l'église continue à s'allier aux injustices coloniales, le président de la Conférence épiscopale et évêque de Quelimane, Francisco Nunes Teixeira, a qualifié cette position de contraire à l'Evangile. Et le ministre des affaires étrangères du Portugal a traité notre Père Général Theo van Asten de rassiste, pour ne pas vouloir que les noirs deviennent des portugais, selon le Patronage Papal de 500 ans et le Concordat de 1940.

Combien l'Évangile a été chamboulé et instrumentalisé, j'ai découvert dans les expériences avec les évêques de cette époque :

- 1965 à Mutarara après le début de la guerre d'indépendance, l'évêque de Tete demand à la mission de Charre d’ouvrir une école à la frontière avec le Malawi. Peu après, notre catéchiste Francisco Siri a été arrêté par la PIDE. J'ai pris le train pour Tete et j'ai parlé à l'évêque Felix Niza Ribeiro pour faire libérer le catéchiste innocent. Au terme d'une conversation sérieuse et calme, il est apparu clairement : dans une situation aussi injuste, ne rien faire - cela signifierait que l'Église se place du côté de l'oppresseur. L'évêque a compris, mais il s'est mis à pleurer devant moi et - n'a rien fait.

En 1967, après la mort de Mgr Sebastiâo Resende, Mgr Manuel Ferreira Cabral est arrivé à Beira, sans connaître grand-chose de l'Afrique ni du Concile. J'ai eu l'occasion de le conduire de Chimoio à Beira et de lui parler pendant deux heures du plan de Nazareth visant à former des couples responsables de communautés chrétiennes. Quand, à la fin du voyage, le nouvel évêque est descendu de la voiture, il a répété son mythe du Luso-tropicalisme.

En 1969, lors d'une semaine pastorale à Maputo, alors que j'étais hébergé à l'archevêché, le vicaire général, le chanoine Nogueira, m'a dit que l'archevêque et le PIDE espionnaient les séminaristes de Namaacha, je cite littéralement "nous donnons à ces ânes de la paille à manger, jusqu'à ce qu'ils éclatent". Au cours des années suivantes, le même archevêque Custodio Alvim Pereira a nié à plusieurs reprises les massacres commis par les troupes coloniales, affirmant que les rapports de Mocumbura, Wiriyamu ou Inhaminga avaient été inventés par des missionnaires étrangers.

Tout ceci illustre la manière dominante de voir l'église à l'époque. Bien sûr, il y avait aussi d'autres façons de voir les choses, il fallait donc qu'il y ait un conflit. Parce qu'au lieu d'être un réseau de communautés inspirées et unies par l'Évangile et responsables du bien d'autrui, l'Église catholique est devenue l'Église de l'État, les évêques étant choisis et payés par le gouvernement, donc plus liés à lui qu'au peuple adulte mais opprimé, et soupçonnant les missionnaires d'être des traîtres, lorsqu'ils utilisaient les langues locales ou avaient l'audace de critiquer les injustices et de défendre les victimes.

Comme ces missions dépendaient du Secrétariat d'État du Vatican, qui avait une vision féodale similaire de l'Église et était liée au Concordat, toute protestation devait être adressée à la fois aux évêques et à la Curie Romaine, qui préférait le status quo et ne voulait pas agir malgré de nombreux avertissements - bien que Paul VI ait parlé du droit des peuples à l'autonomie. Finalement, le P.Theo van Asten, donne au Cardinal Villot un délai de trois mois et, comme rien ne se passe, il prend la décision historique du retrait des Pères Blancs et la publie le 15 mai 1971.

Dans la mentalité absolutiste évoquée plus haut, le cardinal Villot a pris cela comme une offense et a blâmé personnellement le père van Asten. Même en 1974, lorsqu'il a terminé sa fonction de supérieur et qu'il devait prendre la direction du nouveau secrétariat de liaison entre l'union des supérieurs généraux et la conférence panafricaine des évêques, la Curie s'y est opposée. Dans ses mémoires "le Maverick", le Père Theo van Asten dit avoir été rejeté par l'Eglise...

Il n’était par surprennant qu'après sa victoire, les mouvements de libération de l'Angola, du Mozambique et de la Guinée, aient adopté à l'égard de l'église une attitude correspondant à l'attitude non-évangélique - comme ils en avaient averti le Pape Paul dans une lettre en 1969...

Mais l'institution hiérarchique n'a jamais admis une erreur, ni reconnu avoir collaboré avec le colonialisme. Au Mozambique, aucun évêque ne s'est excusé de son silence, comme l'a fait l'archevêque du Cap, Stephen Brislin, 20 ans après la fin de l'apartheid. Si nos dirigeants n'ont pas le courage et la grandeur d'admettre leurs erreurs - n'est-ce pas au détriment de leur crédibilité ?

Lorsque Mgr Manuel Vieira Pinto a été expulsé de Nampula, 11 jours avant le 25 avril 1974 (putsch militaire), aucun autre évêque au Mozambique ni au Portugal n'a eu le courage de protester...

Lorsque des campagnes et des menaces ont été menées contre l'evêque Luiz Fernando de Pemba ces dernières années, quelle a été la voix d'un évêque en sa faveur ou pour le défendre ???

Et le Vatican ? Avant 1974 avait-il nommé un évêque africain? Mais après que les anciens évêques aient fui le pays, il y en avait soudainement une douzaine. Un grand progrès, oui, - mais cela ne sent pas l'opportunisme ! Le seul changement de couleur suffira-t-il à regagner la crédibilité aus yeux ouverts de la célèbre vieille dame de Tambara ?

Une femme chrétienne disait "le sanglier n'est pas dupe du son" et exigeait de l'église, de remplacer la vieille mentalité impériale-autocratique par une nouvelle mentalité et de se mettre franchement du côté du peuple souffrant injustement et engagé pour la justice, tant en 1971 comme en 2021.

II. Au présent : témoignage de laïcs relevant les nouveaux défis


Quel est le défi d'aujourd'hui ?
N'est-ce pas détecter et reconnaître l'influence continue des anciennes façons de voir (cf. message nostalgique d'une métropole lors de la consécration d'un évêque à Tete en 2019)? N'est-ce pas opter pour une nouvelle vision créative de l'Église, basée sur des communautés identifiées au bien du pays et responsables du développement commun, unissant leurs efforts avec un plein droit de parole et dépassant ainsi désespoir, peur, et surtout faim des uns et „cabritismo“-courruption des autres?

Vous avez été témoins en février de cette année 2021 de l'expulsion - "transfert" - de Mgr Luiz Fernando de Pemba vers le Brésil. Ceux qui devaient parler sont restés silencieux, mais une vingtaine d'organisations de la société civile ont exprimé publiquement leur solidarité...

Lorsque les Pères Blancs ont été expulsés en 1971, des prêtres et surtout les laïcs ont réagi en :

1) en assumant pleinement leur responsabilité d'être l'Église dans chaque lieu et

2) prennant courageusement conscience de leur mission prophétique, auparavant niée ou occultée.

Et vous-mêmes connaissez certainement dans toutes les paroisses des couples-témoins, je me réfère à certains, en particulier les catéchistes et les anciens des communautés de base, par exemple :

À Gorongosa : spécialement Celestino Sacaune ; à Murraça : Gonçalo Phumbe, Lucas Bizeque et Baptista Mavava ; José et Rosa Njinga à Inhaminga ; Joâo Sozinho et Maria Imaculada à Lundo et Marromeu ; à Dombe Sebastiâo et Matilde ; à Charre Francisco Siri, Mateus Tomucene et Beatriz ; à Inhangoma : Joaquim ; à Moatize Fortunato ; à Coalane : Maulana ; à Nauela : Manuel Pereira et Maria da Luz. ..

Et plus récemment : Cipriano, l'ancien de la communauté de Matibane à Nampula, tué pour sauver la secrétaire du village ou à Pemba Damiâo Tangassi l'enseignant de Matambalale, décapité en novembre 2020....

Ces personnages exemplaires démontrent qu'ils se sont identifiés à leur peuple et que ‚Justice et Paix‘ font partie et sont une tâche essentielle des églises, qui ne se limitent pas seulement à leurs affaires religieuses, sans les relier aux droits de l'homme.

En outre : les communautés de base ont servi de levain et ont dynamisé la société civile, encourageant les paysans dans les unions de district et de province, ou les femmes et les activists dans les quartiers et dans les municipalités, donnant soutien et courage aux journalistes...

III. L’Avenir : s'appuyer sur vos potentiels et sur la solidarité mondiale

D. Sebastiâo a écrit en 1958 la lettre pastorale "Le Mozambique à la croisée des chemins".

Cette année 2021 est le lieu et le moment où les chemins se croisent ! Nous sommes confrontés à une grande crise. Nous devons " choisir entre deux chemins " (photo ! livrets de la collection du CJPI de Beira 2017) et choisir entre deux mentalités !

Face à ce choix entre deux voies, nous ne sommes pas seuls ou isolés :

Le Pape François appelle à un processus synodal à travers le monde, en commençant maintenant dans chaque diocèse du pays jusqu'à arriver en l'an 2023 au synode épiscopal mondial : il dit ouvertement que le vieux centralisme hérité nous éloigne de l'Évangile, la vieille mentalité féodale-autocratique, sans participation authentique, s'oppose à notre coresponsabilité commune pour ce monde, le nôtre et celui de nos petits-enfants !

Permettez-moi "tutti fratelli", frères et sœurs, de vous souhaiter deux choses inébranlables:

(1) la fierté et la gratitude pour ce que vous avez déjà accompli et

(2) la confiance pour ce que vous allez encore réaliser ensemble !

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(PS : commentaires de l'auteur pendant le débat)

En temps de danger, on a tendance à se retirer dans une église spiritualiste qui ne pense qu'à survivre. Deuxièmement, les guerres, avec leurs conséquences néfastes, ont favorisé les aspects caritatifs, basés sur une puissante assistance sociale venant de l'extérieur, par le biais de Caritas international, tandis que la mission prophétique de l'église et l'autonomisation et la vitalité des organisations de la société civile ont été moins privilégiées et prises en charge.

(Cf. les conséquences désastreuses pour les dirigeants politiques, lorsque la Banque mondiale a imposé la privatisation d'entreprises d'État et a accordé à cette fin des crédits aux dirigeants.... )

L’œcuménisme chrétien trop faible, les anciens évêques considéraient les protestants comme une monnaie d'échange à entraver, à discriminer moins parce qu'ils étaient hérétiques que parce qu'ils étaient contraires aux intérêts de l'empire, parce qu'ils formaient des personnes responsables - donc suspectées de favoriser l'indépendance. Étant moins attachées à l'ère coloniale, ces églises n'avaient pas tant d'erreurs à reconnaître et ont vécu la transition politique avec plus d'autosuffisance.

Ainsi, ces églises non-catholiques ont eu une expérience différente, leur condition et leur langage étaient différents après l'indépendance, bien que l'idéologie et la rhétorique marxistes, sans faire de distinction, accusaient tout le monde, et pas seulement les catholiques, d'obcurantistes et de réactionnaires.

Mais une mentalité et une structure claires de solidarité entre les églises chrétiennes faisaient défaut dans les communautés et dans les élites des églises. Il ne s'agit pas encore d'une longue tradition. La souffrance actuelle de la population exige une collaboration sérieuse et pratique, d'abord entre les églises chrétiennes, ensuite avec les musulmans et toutes les religions (la guerre dans le Nord appelle d'urgence une nouvelle collaboration, initiée par l'evêque catholique de Pemba Luiz Fernando Lisboa et l'évêque anglican de Niassa, Ernesto Manuel).

 

José Pampalk (Vienne, Autriche)

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