Jean-Pierre Langellier: «L'héritage politique de Léopold Sédar Senghor est très positif»

L'ancien président sénégalais Léopold Sédar Senghor s'est éteint il y a vingt ans. « Président- poète », Léopold Sédar Senghor est un personnage à plusieurs vies : profondément ancré dans ses racines sénégalaises du Sine Saloum, Senghor fut aussi une figure intellectuelle de premier rang: agrégé de grammaire, membre de l'Académie française, chantre de la « négritude »... Sur le plan politique, Senghor a été le premier président du Sénégal indépendant. Ancien journaliste du quotidien français Le Monde, Jean Pierre Langellier signe une biographie de Léopold Sédar Senghor aux éditions Perrin, qui revient sur ce riche parcours. Il est l'invité de Bineta Diagne. 

RFI : Vous parlez énormément dans votre livre Léopold Sédar Senghor, ce professeur devenu chef d’État. Vous dites en même temps que c’était un « éternel pédagogue ». Comment est-ce que vous décririez la méthode qu’il a pu employer pour diriger le Sénégal à cette époque-là ?

Jean-Pierre Langellier : Lorsqu’il était jeune, il critiquait Descartes. Mais en fait, une fois qu’il est président, c’est un homme très rationnel, très organisé. Il va même jusqu’à créer un Bureau d’organisation et de méthodes [BOM créé en 1968]. Et tous ceux qui peuvent témoigner encore de Senghor aujourd’hui, comme par exemple Moustapha Niasse [Premier ministre en 1983, entre 2000 et 2001-Président depuis 2012 l’Assemblée nationale], disent que c’était l’école avec lui. Il avait un souci de transmission énorme. Vous savez qu’il allait jusqu’à parfois utiliser un tableau noir en Conseil des ministres. Puis, il était très pédagogue et très sourcilleux sur des choses qui lui tenaient à cœur : la grammaire, l’orthographe, n’hésitant pas à donner un coup de fil à un journaliste s’il y avait une erreur dans un article du Soleil.

Sur le plan politique, Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia qui était président du Conseil du Sénégal ont tenté au lendemain de l’indépendance une transformation non violente du Sénégal que vous décrivez comme étant sur la voie du « socialisme ouvert, non doctrinaire et humaniste ». Quel héritage reste-t-il aujourd’hui de ces principes ?

Cela ne s’est pas bien passé. Il faut juste rappeler qu’il y a eu un divorce entre les deux hommes. Il y avait plein de raisons, notamment institutionnelles. Le fait qu’il y avait deux hommes au sommet, c’est toujours difficile. Mais l’héritage de Senghor en politique est très positif, dans la mesure où il a laissé la démocratie, il a laissé le pluralisme. L’alternance au pouvoir, si rare en Afrique, c’est devenu tout à fait naturel au Sénégal. Et les successeurs de Senghor n’ont plus osé contester cet héritage. Et puis, la recherche quand même du compromis. Puis, moi je trouve, surtout, l’art de gouverner qui était exemplaire.

Beaucoup applaudissent le fait que Léopold Sédar Senghor a quitté, de manière volontaire, le pouvoir en 1980. Mais le climat politique était pourtant très tendu avec beaucoup d’opposants qui ont été mis en prison. Comment peut-on expliquer le fait que cet intellectuel ait fait preuve d’aussi peu « d’ouverture » finalement sur le plan politique ?

Il faut probablement faire une différence entre le début de règne où il y a eu un régime très autoritaire pour les 10-12 premières années disons. Et puis, à partir de la libération de Dia en 1972, il n’avait pas envie de laisser ce genre de régime à son successeur, et à ce moment-là, a aménagé une démocratisation progressive avec un multipartisme progressif. Théoriquement, les choses étaient interdites. Mais, en fait, elles ne l’étaient pas. Il y avait des dizaines de petits journaux qui fleurissaient. Il y avait le cadre officiel de quatre partis, mais en fait, il y en avait plein d’autres, il y avait du mouvement. Et ceux-là, on ne mettait pas leur leader en prison. Donc, ça dépend de l’époque. Il y a eu une époque très dure, vous avez raison. Et ensuite, cela a changé.

Un mot sur l’image laissée par Léopold Sédar Senghor. En France, il était vraiment un francophile convaincu, un membre de l’Académie française, vous l’avez dit dans votre livre. Ancien prisonnier de guerre (soldat colonial, il est capturé par les Allemands et reste prisonnier de 1940 et 1942). Comment expliquer l’absence des autorités françaises au moment de ses obsèques en 2001 ?

Elle est inexplicable et inadmissible, honteuse.  En fait, l’une des explications données notamment par Erik Orsenna avec le recul, c’est que [Jacques] Chirac et [Lionel] Jospin, président et Premier ministre de l’époque, ne voulaient pas donner l’impression néocoloniale en allant aux obsèques de [Léopold Sédar] Senghor. C’était évidemment aberrant. Quelques mois après, en 2002, la promotion de l’ENA à laquelle appartenait Emmanuel Macron s’est auto-baptisée Senghor, un peu comme une sorte de pied de nez et de critique envers la classe politique.

► À écouter aussi : Reportage France : Les 20 ans de la mort de Léopold Sédar Senghor