« Une histoire des noirs d’Europe », la riche influence de l’Afrique
Par les récits de vie mêlés de figures afro-européennes, l’historienne Olivette Otele donne à voir la complexité des relations entre les continents africain et européen depuis plus de deux mille ans.
Une histoire des noirs d’Europe
De l’Antiquité à nos jours
d’Olivette Otele
Traduit de l’anglais par Guillaume Cingal, Albin Michel, 304 p., 22,90 €
Non, l’histoire des personnes d’origine africaine en Europe ne commence pas au XVe siècle avec la traite négrière et non, la discrimination raciale n’est pas une fatalité mais le fruit d’une construction politique. C’est, en substance, deux des enseignements majeurs de la foisonnante Histoire des noirs d’Europe écrite par Olivette Otele, paru en 2020 en Grande-Bretagne et dont Albin Michel livre la traduction ce printemps. Le titre original de l’ouvrage, African Europeans : An Untold History – « Afro-Européens, une histoire passée sous silence » – livre bien des enseignements sur la démarche et l’ambition de l’historienne, ainsi résumées par ailleurs : « L’Afrique a marqué l’Europe de son empreinte par ses matières premières, ses objets, ses plantes, mais l’héritage le plus marquant et le plus durable, ce sont les femmes et les hommes. »
D’Alexandre de Médicis au boxeur Battling Siki, de Saint Maurice à l’universitaire Juan Latino, d’Alexandre Pouchkine à Lilian Thuram… Au travers de trajectoires singulières et édifiantes, la spécialiste de l’histoire coloniale y retrace la présence africaine – qu’elle soit de nature commerciale, culturelle, intellectuelle, politique - sur le continent européen, depuis plus de deux mille ans. Et affirme, preuves à l’appui, qu’elle est bien plus ancienne, riche et conciliatrice que ce que donne à voir la simple grille de lecture fournie par l’histoire coloniale : « Il ne s’agit donc pas seulement de l’Afrique mais de l’influence que l’Afrique a exercée à l’étranger pendant deux millénaires. Il s’agit de l’influence d’un continent sur les sociétés qui l’ont colonisé et qui ont utilisé ses ressources et ses habitants afin de s’enrichir », promet-elle.
Déconstruction des formes d’oppression contemporaines
En racontant la façon dont se sont construites les relations entre l’Afrique et l’Europe au fil des lieux et des époques, Otele illustre admirablement la façon dont l’altérité a pu conduire à la stigmatisation, l’instrumentalisation du corps de l’Autre, et a contribué à la racialisation des échanges – et, in fine, au racisme. Sans se départir de sa rigueur scientifique, l’universitaire ne dissimule jamais son projet de déconstruction des formes d’oppression contemporaines, angles morts des moteurs fondateurs de nos démocraties européennes que constituent les droits humains et la citoyenneté.
Mettant en lumière cette altérité féconde en même temps que funeste, la chercheuse d’origine camerounaise, qui fut la première femme noire à occuper une chaire d’histoire au Royaume-Uni, donne à voir ces histoires « trop longtemps passées sous silence ». Elle les met en regard les unes des autres, mêlant avec bonheur les histoires singulières et les représentations collectives - « Les Européens d’origine africaine vivant en Europe sont au carrefour de plusieurs identités qui se croisent. »
Par cette facilité de lecture qu’elle offre de nos passés communs, elle propose aussi un salutaire changement de point de vue et permet aux Européens, venus d’Afrique ou pas, de retrouver leur entièreté et leur intégrité. Car « il s’agit avant tout de célébrer plusieurs siècles d’histoires - des histoires africaines, européennes et mondiales-, de collaboration, de migrations, de résistance et de créativité. »