Bénin-Côte d’Ivoire : les dessous du bras de fer à l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle 

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 22 octobre 2021 à 14:13

 

Shadiya Alimatou Assouman, ministre béninoise du Commerce et de l’Industrie, et présidente de l’OAPI. © World Trade Organization/Creative Commons

Le directeur général de l’OAPI a été suspendu par la présidente de l’organisation, la ministre béninoise du Commerce, occasionnant une crise interne sans précédent. Voici les détails de ce dossier suivi de près par les présidents Alassane Ouattara et Patrice Talon. 

Depuis plusieurs semaines, le climat est délétère au sein de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) qui, basée à Yaoundé, regroupe 17 États africains. Le 15 octobre, Shadiya Alimatou Assouman, la ministre béninoise du Commerce et de l’Industrie qui préside l’instance, a suspendu de ses fonctions le directeur général, l’Ivoirien Denis Loukou Bohoussou. Si le conflit couvait depuis plusieurs mois, le climat s’est brusquement envenimé au cours du mois de septembre.

Le 4 septembre, Shadiya Alimatou Assouman demande à Denis Loukou Bohoussou de passer un appel d’offres, en vue de la désignation d’un cabinet d’audit international. Objectif : mener une enquête sur l’OAPI. Elle soupçonne la direction, et plus précisément ce dernier, de mauvaise gestion. La ministre a dans le viseur, entre autres, les conditions d’un placement de 2 milliards de francs CFA réalisé par l’organisation sous forme de dépôt à terme auprès de la Banque atlantique du Cameroun.

Procédure d’urgence

Elle souligne que cet établissement bancaire détenu par l’Ivoirien Bernard Koné Dossongui a été épinglé un mois plus tôt par la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac).

Dans sa requête du 24 septembre, la ministre béninoise réclame donc le recours à une procédure d’urgence, qui permet d’attribuer un marché en quarante-huit heures – au lieu de quarante-cinq jours. Le 15 octobre, Shadiya Alimatou Assouman suspend Denis Loukou Bohoussou, justifiant sa décision par le fait qu’il aurait refusé de se soumettre à cette demande. Elle charge dans la foulée le directeur adjoint Jean-Baptiste Noël Wago, d’assurer son intérim.

Plusieurs mesures de rétorsion sont prises à l’encontre du directeur évincé qui, à cette date, se trouvait en déplacement à Libreville : interdiction d’accès au siège – avec un déploiement des forces de l’ordre camerounaises pour faire exécuter cette décision –, suspension de ses accès internet, fermeture de son mail professionnel et résiliation de son abonnement téléphonique. Dans un courrier daté du 5 octobre et dont Jeune Afrique a obtenu une copie, Denis Loukou Bohoussou dément formellement avoir refusé de se soumettre à l’audit. Il assure au contraire avoir souhaité respecter la réglementation en la matière.

Critiques

Sa suspension a suscité de nombreuses critiques au sein de l’organisation et, dans cet imbroglio diplomatique, Cotonou semble isolé. Car si l’OAPI comprend 17 pays (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée-Équatoriale, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, Togo, Sénégal), les trois principaux contributeurs sont le Cameroun, le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Et à Yaoundé comme à Abidjan, où le président Alassane Ouattara suit le dossier avec attention, les autorités ont pris fait et cause pour Denis Loukou Bohoussou.

Dans un courrier daté du 15 octobre, Gabriel Dodo Ndoké, le ministre camerounais des Mines et de l’Industrie, a ainsi réclamé la tenue « de toute urgence » d’une session extraordinaire du Conseil d’administration de l’OAPI. Dans un second courrier, adressé cinq jours plus tard à Jean-Baptiste Noël Wago, il écrit que la nomination de ce dernier, ainsi que la révocation de Denis Loukou Bohoussou de son poste de directeur général, n’ont pour l’heure pas été formellement reconnus par Yaoundé, qui dit en attendre la notification.

Si Shadiya Alimatou Assouman a refusé de répondre à nos sollicitations et assure qu’il n’y a « aucun conflit », l’un de ses homologues au gouvernement béninois reconnaît au contraire l’existence de « fortes tensions ». Cette même source estime en outre que Denis Loukou Bohoussou a volontairement fait trainer le dossier. Le mandat de la présidente de l’OAPI se termine en effet fin décembre 2021 et elle sera remplacée dans ses fonctions par le ministre burkinabè du Commerce, Harouna Kaboré. 

La prochaine session ordinaire du Conseil d’administration de l’instance intergouvernementale doit se tenir le 10 décembre à Cotonou.