Dettes africaines : nouvelles charges contre les agences de notation

« L’Afrique est-elle vraiment malade de sa dette ? » (2/5). Les leaders mondiaux de la notation financière sont à nouveau confrontés à une salve de critiques portées par une soixantaine d’acteurs du développement. Explications et éléments de réponse des institutions mises en cause.

Mis à jour le 12 mai 2022 à 18:40
 

 

Montage JA

 

« Une analyse détaillée a montré que 61 des 154 États souverains notés ont été déclassés par au moins une des trois grandes agences de notation pendant la pandémie de Covid-19. Les pays en développement ont été [affectés] par la quasi-totalité des dégradations de notes souveraines, l’attribution de perspectives négatives et les révisions de notes », relève le Rapport 2022 sur le financement du développement durable, publié le 12 avril.

Réalisé par une soixantaine d’institutions multilatérales, parmi lesquelles le FMI et la Banque mondiale mais également le Comité de Bâle sur la supervision bancaire, l’Association internationale des régulateurs de l’assurance et le Conseil de stabilité financière, ce rapport consacre un long développement – largement passé inaperçu – à l’impact jugé préjudiciable des décisions des agences de notation.

Sévérité partielle

L’étude fait notamment le parallèle entre la sévérité de Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings, leaders mondiaux de la notation financière, vis-à-vis des pays du Sud et leur relative mansuétude à l’égard des nations riches.

« Les pays développés, qui ont connu une augmentation de leur dette et un ralentissement économique beaucoup plus importants, ont largement échappé aux dégradations, ce qui renforce leur accès à un financement de marché abondant et abordable », poursuivent les auteurs du rapport, qui insistent sur « l’importance de méthodologies transparentes afin de ne pas miner la confiance dans les notations ».

 

Évolution des notations souveraines dans le temps, par groupe de pays 2019-2021 © ONU, calculs réalisés à partir des données de l’agence Moody’s.

 

Évolution des notations souveraines dans le temps, par groupe de pays 2019-2021 © ONU, calculs réalisés à partir des données de l’agence Moody’s.

 

« Toutes les décisions de Fitch en matière de notation souveraine sont prises uniquement sur la base de critères de notation cohérents au niveau mondial et accessibles au public », répond un porte-parole de l’agence basée à New York, interrogé par Jeune Afrique.

Ce dernier insiste par ailleurs sur la transparence des prises de décisions. « Les facteurs de notation et les sensibilités sont clairement identifiés dans nos commentaires publics. Les décisions de notation sont fondées sur une analyse indépendante, solide, transparente et rapide », insiste le représentant de Fitch Ratings.

LES PAYS DÉVELOPPÉS ONT UNE PLUS GRANDE TOLÉRANCE À L’ÉGARD DE LA DETTE

Sur l’écart de notation entre les pays développés et ceux du monde en développement ou émergent, notre interlocuteur rappelle que les premiers disposent entre autres « de revenus élevés, de normes de gouvernance solides, d’économies diversifiées, de marchés de capitaux locaux profonds », ainsi que « de réserves de change et d’une dette largement libellée dans leur propre monnaie ». D’où leur « grande tolérance à l’égard de la dette et des coûts d’emprunt plus faibles que les économies qui ne présentent pas ces fondamentaux de crédit ».

Contactée par Jeune Afrique, Standard & Poor’s a indiqué ne pas pouvoir immédiatement répondre à nos sollicitations. Moody’s, qui a récemment pris le contrôle de l’agence de notation panafricaine Global Credit Ratings (GCR), n’y a pas répondu.

Suspension du service de la dette

La nouvelle édition du rapport sur  le financement du développement durable, réalisé sous la supervision de l’ONU, revient à la charge quant à l’attitude des agences de notation au sujet de l’Initiative de suspension du service de la dette (« Debt Service Suspension Initiative » – DSSI). Dès la mi-2020, l’ONU avait véhémentement contesté la « mise sous surveillance » des notations de plusieurs pays africains, dont le Sénégal et le Cameroun, en amont de leur participation à ce programme avec les prêteurs publics. Moody’s avait estimé que participer à la DSSI « augmente le risque que les créanciers du secteur privé subissent des pertes ».

DAVANTAGE DE DIALOGUE ENTRE PAYS ET AGENCES AURAIT PU CONTRIBUER À ÉVITER CERTAINS MALENTENDUS

« Fitch n’a déclassé aucun pays pour sa participation à la DSSI, et nous avons régulièrement expliqué notre approche dans nos publications et lors de discussions dans un certain nombre de forums », répond le porte-parole de l’agence. De son côté, l’étude relève cependant que « certains pays en développement, notamment ceux présentant des risques élevés de surendettement, ont été dissuadés d’adhérer au programme par crainte que leur participation ne déclenche des abaissements de leur notation ».

« Davantage de dialogue aurait pu contribuer à éviter de tels malentendus, tant de la part des pays que des agences de notation. Une structure ou un cadre permanent et formel pour faciliter la poursuite du dialogue pourrait être envisagé », complètent les auteurs du rapport. Pour ces derniers, « l’allègement de la dette du secteur public peut contribuer à renforcer le bilan des pays et leur capacité à rembourser l’ensemble de leur dette à moyen terme ».

Quelle prise en compte du facteur climatique ?

Une nouvelle série d’arguments est portée contre les agences internationales dans le rapport d’avril au sujet de leur prise en compte inadaptée du changement climatique. S’ils reconnaissent que ces institutions d’analyse financière « intègrent déjà le risque climatique dans leurs notations », les auteurs de l’étude prêchent pour que « les efforts d’un pays pour investir dans les Objectifs de développement, notamment dans la résilience et l’adaptation au climat » soient pris en compte « favorablement dans les notations », de la même façon que « les dépenses d’investissement ».

NOUS NOUS ATTENDONS À CE QUE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE DÉCLENCHE DAVANTAGE DE CHANGEMENTS DE NOTATION

« Idéalement, les méthodes de notation devraient intégrer des facteurs à plus long terme, tels que les risques et les améliorations environnementales et sociales », recommandent-ils, ce qui permettrait de « saisir les effets positifs des investissements dans la résilience climatique et environnementale ».

Fitch Ratings insiste sur sa prise en compte du changement climatique dans ses notations souveraines, « comme l’agence le fait pour tous les facteurs qu’elle juge pertinents et importants pour la solvabilité ». Elle reconnaît toutefois que les notations « accordent généralement plus de poids aux développements actuels qu’aux projections incertaines à long terme ». Selon son représentant, Fitch s’attend cependant à « ce que le changement climatique déclenche davantage de changements de notation à mesure que les effets deviennent plus clairs, plus proches et plus importants ».