Diversification des exportations : « Pour devenir plus compétitive, l’Afrique doit se focaliser sur la valeur ajoutée »

Les pays africains sont encore trop dépendants des exportations de produits de base issus des industries extractive et agricole. Dans son dernier rapport, la Cnuced détaille de quelle manière de nouvelles politiques peuvent permettre d’accélérer la diversification des économies.

Mis à jour le 19 juillet 2022 à 13:08
 

 

Conteneurs de marchandises entreposés au port en eau profonde de Kribi, au Cameroun, le 15 mars 2022. © Jean-Pierre Kepseu/XINHUA/REA

 

L’arrêt en 2020 de l’économie mondiale à cause de la pandémie du Covid-19 – qui sévit encore – et les difficultés d’approvisionnement déclenchées par l’invasion russe en Ukraine l’ont déjà confirmé. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) le rappelle dans son dernier rapport, publié le 14 juillet, sur le développement économique en Afrique : pour mieux résister aux chocs économiques globaux, les pays africains doivent diversifier leurs exportations. Encore aujourd’hui, 45 des 54 pays du continent restent dépendants des exportations de produits de base dans les secteurs agricole et extractif.

« Cette concentration des exportations autour d’un petit nombre de produits de base peut être source d’instabilité sur le plan macroéconomique, notamment dans des périodes marquées par une grande volatilité des prix et par des chocs mondiaux », insistent les auteurs du rapport. La Cnuced livre ainsi dans ce document ses indications sur la manière dont les pays africains peuvent montrer davantage de résilience et affirmer leur souveraineté grâce à une plus grande diversification des exportations. Pour l’organisation onusienne, les États du continent doivent d’abord mettre en place des politiques adaptées,  en stimulant les exportations de services à forte valeur ajoutée – comme par l’exploitation du secteur des fintech – puis en élargissant l’accès aux financements des entreprises privées, qui sont pour 90 % d’entre elles des PME.

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« La dépendance vis-à-vis des exportations de produits de base a laissé les économies africaines vulnérables aux chocs mondiaux et a entravé le développement inclusif pendant trop longtemps », a déclaré la secrétaire générale de la Cnuced, la Costaricienne Rebeca Grynspan. Pour Jeune Afrique, Habiba Ben Barka, économiste et cheffe du secteur Afrique à la Cnuced, revient sur les points les plus marquants du rapport.

Jeune Afrique : Quels sont les freins encore existants à la diversification des exportations africaines ?

Habiba Ben Barka : On peut citer le manque de connexions entre les différents secteurs économiques, le manque d’accès aux financements, le manque de politiques publiques adéquates, de même que des capacités de productions réduites. Dans le rapport, notre analyse nous a également permis de démontrer qu’une meilleure utilisation des services permettrait d’ajouter de la valeur à leurs produits pour les rendre plus compétitifs. Toutes les chaînes de valeur sont à revoir pour transformer les infrastructures, augmenter les capacités de production, développer la formation pour recruter la main-d’œuvre qui permettra la création de produits intermédiaires.

Au cours de la période étudiée, certains pays africains ont pu diversifier leurs exportations mais seul neuf ont pu réduire la concentration de leurs exportations. L’augmentation du nombre de produits exportés ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu diversification vers des produits de plus grande valeur, plus sophistiqués, indiquant un changement structurel et des capacités de production plus élevées.

Avec quels types de services à forte valeur ajoutée l’Afrique pourrait-elle devenir plus compétitive ?

Selon la classification de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il y a deux types de services, ceux des secteurs traditionnels comme ceux des transports ou du tourisme, et les services à haute valeur ajoutée, les prestations intellectuelles. Malheureusement, en Afrique, on produit peu ce deuxième type de service. L’offre de services à 80 % reste dominée par le secteur traditionnel.

LA FINTECH PEUT AMÉLIORER LES CANAUX DE CRÉDIT TRADITIONNELS ET AIDER À COMBLER L’ÉNORME DÉFICIT DE FINANCEMENT

Dans notre rapport, nous mettons donc l’accent sur le besoin de diversifier les exportations vers des produits plus sophistiqués, à plus haute valeur ajoutée et donc plus compétitifs autant sur le marché continental que global. La contribution des services dans la sophistication des produits, la digitalisation des processus de transformation peut efficacement contribuer à la compétitivité des entreprises tournées vers l’exportation. Par exemple, en fournissant des services aux entreprises, les technologies de l’information et des communications (TIC) facilitent leur accès à de nouveaux marchés avec des produits nouveaux ou existants.

Ces deux dernières années, les entrepreneurs ont dû s’adapter pour faire face aux mesures restrictives de circulation et les confinements liés à la pandémie. Le secteur de la fintech a explosé sur le continent, notamment dans le mobile money. En conséquence, pour bénéficier de ces changements et capter des financements, les PME africaines doivent investir dans ces nouvelles technologies.

Concernant les financements, vous rappelez que l’Afrique aurait besoin de 416 milliards de dollars d’investissements. De quelle manière devrait être répartie cette somme ?

En Afrique, les PME représentent environ 90 % des entreprises et emploient environ 60 % de la main-d’œuvre. Cela représente 50 millions de PME formelles qui ont un besoin de combler un déficit de financement de 416 milliards de dollars chaque année, selon IFC (Société financière internationale).

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La finance est encore dominée par le secteur bancaire, qui n’arrive pas à répondre à la demande. Malheureusement pour le PME, l’accès à des financements adaptés à leur structure et à des taux abordables reste limité. Se tourner vers les nouvelles technologies va permettre aux PME et aux start-up d’attirer des financements provenant de fonds d’investissement en capital-risque et de business angels, permettant ainsi de diminuer les risques évalués par les banques. La fintech peut améliorer les canaux de crédit traditionnels et aider à combler l’énorme déficit de financement, sous réserve de meilleures politiques mises en place par les gouvernements pour mieux exploiter son pouvoir.

Dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Maroc, Maurice, le Cap-Vert et la Namibie, grâce à un environnement des affaires modernisé, les PME ont davantage accès au financement. Les mécanismes de réduction des risques pour le financement des PME mis en place par le gouvernement sud-africain en témoigne également. De même, les avancées significatives sur le plan des services bancaires mobiles et des prêts sur le marché ont grandement contribué à la croissance des PME au Ghana, au Kenya, au Rwanda et en Tanzanie.