Au Burkina Faso, la colère et la détresse des femmes de Djibo 

Reportage 

Des témoignages font état de la mort de plusieurs enfants dénutris dans cette ville sahélienne assiégée par les groupes armés et coupée du reste du pays. Malgré les chocs qu’elles subissent, les femmes se mobilisent pour être ravitaillées d’urgence.

  • Ludivine Laniepce, correspondance à Ouagadougou (Burkina Faso), 
Au Burkina Faso, la colère et la détresse des femmes de Djibo
 
En mai, des femmes transportent de l’eau dans Djibo, dans le nord du Burkina Faso, alors que la ville est encerclée par des groupes terroristes depuis février.SAM MEDNICK/AP

Les femmes « se sont levées ». Dimanche 2 octobre, une centaine d’entre elles ont manifesté à Djibo, dans le nord du Burkina Faso, pour faire entendre leur colère et leur détresse. Dans leurs mains, des calebasses, des spatules en bois et des bidons vides brandis en l’air. Des symboles du foyer burkinabé qui signifient aujourd’hui qu’il n’y a plus rien à manger dans ce chef-lieu de la province du Soum.

« Nos enfants meurent de faim ! Il faut que vous agissiez, sinon il se peut que demain nous mourions tous », s’est exclamée l’une des manifestantes, réunies devant l’hôtel de ville, aux autorités. « Dimanche, huit enfants sont morts de faim, rapporte Idrissa Badini, porte-parole du cadre de concertation des organisations de la société civile de Djibo. Les choses ne font qu’empirer. Il y a un manque cruel de nourriture et de médicaments. Et quand vous voyez les enfants mourir, vous savez qu’en réalité vous êtes le prochain. »

Des feuilles d’arbre bouillies et un peu de seul pour nourriture

Environ 300 000 personnes se trouvent piégées dans cette ville encerclée par les groupes armés terroristes depuis février. Comme dans des dizaines d’autres villes du Burkina Faso, faute de ravitaillement suffisant, la vie y est devenue un véritable enfer. « Il y avait l’insécurité depuis longtemps à Djibo, mais deux choses nous aidaient à tenir : le marché au bétail chaque mercredi (un des plus importants du Sahel central, NDLR) grâce auquel chacun pouvait nourrir sa famille pour la semaine, et le fait de pouvoir prendre la route jusqu’à Ouagadougou sans être attaqué par les terroristes. Ces choses n’existent plus aujourd’hui », explique Aïda (1), une habitante de Djibo.

La pression des groupes armés terroristes a contraint quelque 224 000 personnes des localités environnantes à venir trouver refuge dans les quartiers du centre de la ville, s’ajoutant aux 60 000 Djibolais déjà présents. « On a vu tous les stocks s’épuiser : les animaux, le marché, les boutiques, l’essence… Aujourd’hui, il n’y a même plus un biscuit à donner à un enfant », déplore Aïda. En guise de nourriture, des feuilles d’arbre bouillies et un peu de sel, autrefois mélangés à du couscous, des oignons et de la viande sautée.

Seule une poignée de convois de ravitaillement escortés par l’armée est parvenue à entrer à Djibo depuis février. Lundi 26 septembre, l’attaque de l’un d’entre eux, escorté par l’armée, à une vingtaine de kilomètres de Djibo a plongé les femmes dans un désespoir qui semble sans fin.

« Trop de sang a coulé sur cette route »

« Chaque famille de Djibo a perdu au moins un des siens dans cette attaque, un mari, un frère, un cousin ou un enfant. Et avec ces vivres, nous aurions pu tenir au moins trois mois, estime Aïda. À la place, cela n’a été que des pleurs. Trop de sang a coulé sur cette route. » Des vivres qui se paient également de plus en plus cher, entre spéculation et augmentation des coûts d’acheminement des marchandises. « Les commerçants ont fait exploser les prix », regrette Aïda.

À la faim s’ajoute « l’angoisse » liée « aux bruits de tirs quotidiens », souffle la Djibolaise, trahissant la présence des groupes armés terroristes à seulement quelques kilomètres de la ville. « Les femmes sont en train de vivre des choses qu’elles n’oublieront jamais, reconnaît un médecin de Djibo. Elles ont une capacité à surmonter les chocs avec une force extraordinaire. Mais c’est aussi un traumatisme, certaines ont et auront besoin d’une prise en charge psychologique. »

Quant aux hommes, « ils ont démissionné dans toutes les villes du Sahel ! », fustige Salimata, femme « leader » de premier plan dans cette région. « Les femmes restent sur place et prennent leurs responsabilités. Pendant ce temps, les hommes fuient, certains allant même jusqu’à se déguiser en femme dans les transports collectifs pour ne pas être pris pour cible par les hommes armés ! »

Mercredi 5 octobre, des femmes se sont rassemblées à Djibo, les plus âgées assises sur des nattes, les plus jeunes debout portant leur enfant au dos, dans l’attente de l’arrivée de deux hélicoptères des Nations unies. À leur bord, 5 tonnes de vivres.

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Une crise humanitaire d’ampleur

Au 30 avril, 1 520 012 personnes déplacées internes ont été enregistrées au Burkina Faso, note le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

59,13 % de ces personnes déplacées sont des enfants. 708 341 élèves sont affectés par la fermeture de 4 258 écoles, selon l’OCHA.

L’Unicef estime que 700 000 enfants souffrent de malnutrition aiguë ; plus de 179 000 enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère, qui peut être fatale si elle n’est pas traitée.

Cinq provinces du Burkina Faso ont atteint des niveaux d’urgence d’insécurité alimentaire et s’approchent du seuil de déclaration officielle de la famine.

(1) Le prénom a été changé.