L’Afrique endettée ? Une ode à la résilience, par Aurélie M’Bida

La dette extérieure totale des pays les plus pauvres a triplé en l’espace de dix ans. À qui la faute ?

Mis à jour le 9 janvier 2023 à 11:37
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Par Aurélie M'Bida

Rédactrice en chef adjointe Économie & Finance à Jeune Afrique.

 

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© JA / DR

Étranglés… C’est le mot qui vient à l’esprit à la lecture du dernier rapport sur la dette internationale publié par la Banque mondiale. Ce document recense, pêle-mêle, les pires ingrédients qui gâtent la vie des pays – pauvres, puisqu’il s’agit de ceux-là – déjà mis en grande difficulté par la pandémie de Covid-19, par l’inflation généralisée et par les risques de récession qui se profilent.

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Alors que le tsunami des dettes se propage, « les pays les plus pauvres éligibles aux financements de l’Association internationale de développement (IDA) » – filiale de l’institution de Bretton Woods dont les taux d’emprunt sont très réduits – consacrent désormais plus d’un dixième de leurs recettes d’exportation au service de leur dette extérieure à long terme. Un niveau inédit depuis 2000.

Facture plus lourde

La dette extérieure totale des 74 pays concernés, dont 39 africains, a triplé en l’espace de dix ans, pour atteindre 1000 milliards de dollars en 2021. À la fin de cette même année 2021, le montant que ces États devaient payer chaque année pour honorer leur dette s’élevait à 46,2 milliards de dollars, soit 1,8 % de leur revenu national brut (contre 0,7% en 2010). En 2022, ce niveau du service de la dette devrait dépasser 62 milliards. Là encore, un record depuis le début du siècle. L’alourdissement de cette facture n’est pas sans lien avec la hausse sensible des taux d’intérêt partout dans le monde et avec le ralentissement de la croissance.

À qui la faute ? Une question qui mérite d’être posée, mais dont la réponse est plus complexe à élucider que l’hypothèse de Riemann. En attendant, la nécessité de restructurer ces dettes se fait de plus en plus prégnante. La tâche ne sera pas aisée tant les cartes ont changé de main au cours de ces dernières années. Fini le temps où FMI, Banque mondiale et Club de Paris étaient à la manœuvre. La dette extérieure, en particulier celle des pays pauvres et émergents, est devenue polymorphe.

 

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Manifestation contre la hausse du coût de la vie, à Accra, le 5 novembre 2022. © Ernest Ankomah/Getty Images via AFP

 

 

De l’emprunt garanti par l’État à celui consenti par l’usurier aux conditions les plus léonines, chacun participe d’un tout, plus ou moins soutenable. À la fin de l’année dernière, 32% de la dette de ces pays fragilisés avait été contractée auprès de prêteurs européens et américains (via le Club de Paris). Or ils étaient majoritaires dix ans auparavant.

Durant la même période, près du quart de la dette publique de ces pays a été souscrite auprès de créanciers privés, versus 5 % en 2010. Quant aux créanciers publics, ils sont aujourd’hui dominants, Chine en tête – avec une part de 49 % dans les encours de dette bilatérale des pays pauvres en 2021 –, mais aussi Arabie saoudite ou Émirats arabes unis.

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Le séisme d’Haïti

Mise sur le banc des accusés dès les premières conséquences de la crise sanitaire, la Chine a annoncé, en septembre dernier, son intention d’effacer l’ardoise de 17 pays africains. Est-ce suffisant ? Pas vraiment, quand on regarde le Ghana, qui a frôlé le défaut de paiement et que le FMI soutient à grand-peine. De telles mesures s’apparentent à un cautère sur une jambe de bois. Dans l’intervalle, les pays doivent résister, continuer à produire de la valeur pour espérer atteindre un niveau de développement suffisant.

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C’est d’ailleurs l’aïeule de Michaëlle Jean, l’ancienne secrétaire générale de la Francophonie, qui définit le mieux la résilience dont les populations frappées inlassablement des pires maux peuvent faire preuve. « Toute épreuve [est] une occasion de renouer avec l’essentiel et d’apprendre de ce qui nous arrive pour mieux résister et revenir à la vie », racontait-elle en 2010, juste après le séisme qui a emporté des dizaines de milliers de vies et mis à terre les infrastructures d’Haïti.

Ce cataclysme a succédé à bien d’autres et a préludé à de nombreuses catastrophes climatiques, politiques, sécuritaires, sans parler des difficultés liées à une dette vieille de plus de deux cents ans, contractée auprès de la France et des États-Unis. Pourtant, le peuple résiste et vit. Gageons que le « club » des pays les plus pauvres du monde – qui, certes, ne sont pas tous confrontés aux mêmes obstacles –, saura goûter, en 2023, à la fameuse « résilience haïtienne ».