En Algérie, les libertés comprimées

chronique
  • Jean-Christophe PloquinRédacteur en chef

L’élection présidentielle de 2024 provoque déjà de fortes crispations en Algérie. La récente condamnation du journaliste Ihsane El Kadi montre que le pouvoir veut empêcher toute forme de contestation. La France, qui prépare la visite du président Abdelmadjid Tebboune, doit plaider en faveur d’une démocratie réelle.

L'Hebdo Logo
  • La Croix 
  • .
En Algérie, les libertés comprimées
 
Jean-Christophe Ploquin.BRUNO LEVY POUR LA CROIX

Un esprit libre est en prison. Arrêté en décembre dernier, le journaliste Ihsane El Kadi a été condamné le 2 avril en première instance par un tribunal d’Alger à cinq ans de prison dont trois ferme. La justice lui reproche en substance d’avoir reçu de l’argent de l’étranger – venant de sa fille, vivant à Londres – « pour accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la stabilité ou à la sécurité de l’État ».

Si on prend le verdict au pied de la lettre, on comprend que la direction de médias indépendants est considérée comme une activité menaçant le pouvoir algérien. La somme d’environ 28 500 € visait en effet à soutenir l’activité d’Interface Médias, société regroupant le site Maghreb émergent et Radio M, dont le tribunal a ordonné la dissolution, plongeant dans l’angoisse ses 25 salariés.

La sentence frappe un homme de presse confirmé qui suscite l’admiration. Ihsane El Kadi est, depuis quarante-cinq ans, sur la brèche de l’information en Algérie. Son exigence professionnelle se double d’un engagement inlassable pour la liberté d’expression. Son goût pour débusquer les intrigues du pouvoir est doublé d’une attention constante aux aspirations du peuple, dans sa diversité. Après avoir ferraillé contre Abdelaziz Bouteflika, il a maintenu sa vigilance envers le nouveau président Abdelmadjid Tebboune, élu fin 2019.

Sa condamnation frappe un des derniers groupes de presse indépendant du pays. Elle ajoute un tour de vis contre les libertés. Depuis la fin du « Hirak », le mouvement de contestation pacifique qui mobilisa tous les secteurs de la société il y a quatre ans, les poursuites s’enchaînent contre les journalistes, activistes des droits de l’homme, travailleurs sociaux, syndicalistes. Le pouvoir veut éradiquer toute contestation d’ici à l’élection présidentielle de 2024. Nul n’est à l’abri. Trois ex-premiers ministres de Bouteflika sont derrière les barreaux après des procès pour corruption.

Cette stratégie de la main de fer confirme l’ancrage de l’Algérie dans un modèle politique autoritaire. Depuis l’indépendance, elle est dirigée par un système dont le noyau se niche au sein de l’armée (1). Cultivant l’opacité, il se juge seul capable de définir l’intérêt national et seul légitime pour décider de changements politiques, au gré des luttes de pouvoir et des contraintes socio-économiques. Ce monopole absolu ne rend pas la conduite de l’État efficace.

Alors que sa situation géographique en fait un acteur incontournable au Maghreb et au Sahel et que ses réserves d’hydrocarbures lui assurent des revenus considérables, l’Algérie piétine sur la voie du développement. Face au Maroc, qui bénéficie du soutien des États-Unis et d’Israël, elle s’adosse à Moscou – triste parrain – pour garantir sa sécurité. Elle souhaite aussi rejoindre les Brics, coalition constituée par le Brésil, la Russie, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud afin de peser face à « l’hégémonie occidentale ».

Pour la France, qui prépare une visite d’État d’Abdelmadjid Tebboune le mois prochain, la relation reste extrêmement complexe. La promotion des valeurs démocratiques ne saurait, quoi qu’il en soit, être oubliée. Il est probable que, de sa prison, Ihsane El Kadi ne pourra pas suivre l’événement. On préférerait qu’il soit dans son bureau, à commenter avec toute son expertise ce nouvel acte diplomatique.

(1) Lire L’énigme algérienne, de Xavier Driencourt, éditions de l’Observatoire, 256 p., 21 €