Burkina Faso : dix choses à savoir sur David Kabré, nommé par Damiba à la tête des armées

Le président de la transition Paul-Henri Sandaogo Damiba a confié la réorganisation opérationnelle et le commandement de l’armée au colonel-major David Kabré. Une nomination sensible au moment où des pourparlers commencent avec des groupes jihadistes.

 
Mis à jour le 20 avril 2022 à 13:18

 

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Le colonel-major burkinabè David Kabré. © DR

 

 

1. Profil « apolitique »

Le colonel-major David Kabré a une longue carrière au sein de l’armée burkinabè dans laquelle il a démarré comme soldat de l’infanterie, en 1991. À 54 ans, ce natif de Tintilou, près de Tanghin-Dassouri, dans le centre du pays, a été nommé chef d’état-major général des armées par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, début février. Le président burkinabè, “tombeur” de Roch Marc Christian Kaboré, a choisi cet officier qui, s’il est réputé « homme de conviction » au sein de la grande muette, n’a aucune accointance politique connue.

2. Tandem

Dans la lutte qu’il devra mener face aux jihadistes dans un contexte particulièrement tendu pour le pays, le colonel-major devra former un tandem avec le lieutenant-colonel Yves Didier Bamouni, patron du tout nouveau centre de Commandement des opérations du théâtre national (COTN). Bamoumi, lui-même secondé par le lieutenant-colonel Roméo Djassanou Ouoba, a pour mission de « concevoir, organiser et soutenir les missions de sécurisation » sur l’ensemble du territoire national. Les prérogatives du COTN créé par décret signé de la main de Damiba en février dernier, couvre également la sécurisation des frontières terrestres et aériennes.

Selon la feuille de route fixée par le président burkinabè, le Commandement « exerce son autorité sur l’ensemble des Forces de défense et de sécurité (FDS) et des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP, supplétifs civils) ainsi que sur leurs moyens ». Son rayon d’action, particulièrement large, comprend en particulier la possibilité d’appliquer des mesures restreignant la liberté de déplacement et de circulation.

3. Main tendue

Un peu plus de deux mois après la nomination de Kabré, Paul-Henri Sandaogo Damiba a annoncé, le 1er avril, l’ouverture de pourparlers avec les groupes armés. Cette main tendue aux jihadistes, et en particulier aux plus jeunes des combattants qui ont rejoint leurs rangs – un mois après celle proposée par son homologue nigérien Mohamed Bazoum -, passe par la création de « comités locaux de dialogue pour la restauration de la paix ». Si les contours exacts de ces discussions ne sont pas encore connus avec précision, le nouveau chef d’état-major général des armées aura un rôle central à jouer quand viendra l’heure de la démobilisation des ex-combattants jihadistes.

4. Jihadistes ou bandits ?

Sur ce dossier complexe, il devra travailler en collaboration étroite avec Mahamadou Bonkoungou, nommé directeur de l’Agence nationale de renseignement (ANR) le 4 février dernier, mais aussi avec Yero Boly, plusieurs fois ministre dans différents gouvernements de l’ex-président Blaise Compaoré, à qui Damiba a confié le portefeuille du ministère de la Cohésion sociale et de la Réconciliation nationale. L’une des difficultés réside dans le fait de différencier les membres de groupes armés terroristes (État islamique, Ansarul al-Islam, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) des membres du grand banditisme.

5. Maintien de la paix

Le nouveau patron de l’armée burkinabè a une longue expérience du maintien de la paix sur des terrains difficiles. Avant d’être rappelé par Roch Marc Christian Kaboré, en novembre 2021, pour prendre la tête du Groupement central des armées (GCA) – plusieurs bataillons intervenant notamment dans le génie militaire et les transmissions – , David Kabré était à la tête de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca). Un poste qu’il a occupé pendant deux années, après avoir été commandant de la mission de la Cedeao en Guinée-Bissau (Ecomib). Dix ans plus tôt, en 2010, il avait déjà été chef des opérations de la force de l’Unamid au Darfour (mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine), alors en proie à un conflit aussi meurtrier qu’interminable.

6. Instructeur

À cette époque, il était également instructeur au centre de maintien de la paix du Mali, à Bamako, et participait à la formation des soldats burkinabè des contingents de maintien de la paix au sein de l’Africa Contingency Operations Training & Assistance (ACOTA). Ce programme d’assistance et de formation mis en place par les États-Unis à destination des armées africaines, « a formé et déployé environ un quart de million de soldats de la paix » entre 2003 et 2015, selon un document du département d’État américain.

7. Sportif

Avant de se voir décerner un diplôme d’état-major à Cotonou, au Bénin, et de décrocher son brevet d’études militaires supérieures à l’école de guerre d’Abuja au Nigeria, David Kabré avait suivi une formation d’éducateur sportif. Formé d’abord à Niamey, au Niger, où il a obtenu sont diplôme de professeur d’éducation physique et sportive en­ 1997, il a continuer à se former ensuite à Dakar, au Sénégal, où il a obtenu un diplôme d’inspecteur de la jeunesse et des sports en 2007.

Une compétence qu’il mettra à profit entre 2012 et 2014, lorsqu’il a été nommé directeur central des sports des forces armées nationales. Il est par ailleurs, depuis 2017, président de l’Organisation du sport militaire en Afrique.

8. Ancien ministre de la transition…

David Kabré fait une arrivée surprise sur le terrain politique en 2014. Au lendemain de l’insurrection populaire qui chasse Blaise Compaoré du pouvoir, il devient l’une des figures militaires de la transition. En novembre 2014, il est nommé ministre des Sports du gouvernement dirigé par le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, qui cumule le poste de Premier ministre avec celui de ministre de la Défense. Il côtoie alors, au sein de ce gouvernement déjà marqué par une forte présence d’hommes en uniformes, le colonel-major Boubacar Ba (Mines et Énergie) ou encore le colonel Auguste Denise Barry (Sécurité).

9. … et ex-proche de Zida

David Kabré a maintenu, après son passage au gouvernement, des relations étroites avec Yacouba Isaac Zida. « Ils étaient très proches durant la transition, en 2015, et le sont restés ensuite, même si les relations se sont distendues », affirme l’un de ses anciens collaborateurs.

Zida, qui vit en exil au Canada depuis 2016, a été radié des rangs de l’armée pour « désertion en temps de paix » et « insubordination » par Roch Marc Christian Kaboré. Candidat malheureux à la présidentielle de 2020, lors de laquelle il avait recueilli 1,53 % des voix, Yacouba Isaac Zida n’en avait pas moins annoncé, en mars 2021, son ralliement à la majorité de l’ancien président burkinabè.

10. Proche des jeunes officiers

« Fantassin pur et dur » à l’image du général Barthélemy Aimé Simporé, ministre de la Défense, ou encore du colonel-major Omer Bationo, ministre de la Sécurité, David Kabré est réputé proche des jeunes officiers et aurait une bonne réputation au sein de la troupe. « Il sait écouter et conseiller, assure un gradé. C’est un bon officier. Bien qu’il n’ait pas évolué sur le terrain, il est capable d’être efficace dans le management et la gestion des hommes. » Il bénéficie également d’une réputation d’intégrité, assure notre interlocuteur. « David Kabré ne profite pas des avantages qui doivent revenir aux plus jeunes et aux soldats. »

Il n’en reste pas moins que son profil interroge certains, en coulisses, à l’heure où l’ensemble du dispositif sécuritaire burkinabè entame une mue qui doit lui permettre de faire face à l’insécurité croissante.