Ouattara, Gbagbo, Bédié : et s’ils nous surprenaient ? par Marwane Ben Yahmed

Les trois monstres sacrés de la politique ivoirienne vont-ils renoncer à jouer le match retour en 2025 ? On se prend à rêver…

Mis à jour le 25 juillet 2022 à 15:15
 
Marwane Ben Yahmed
 

Par Marwane Ben Yahmed

Directeur de publication de Jeune Afrique.

 

 

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© De g. à dr. : Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, à Abidjan, le 14 juillet 2022.

 

Abidjan, jeudi 14 juillet, en fin d’après-midi. Sur le perron du petit palais de la Présidence, le protocole est sur le qui-vive. Pour la première fois depuis la fin de 2010, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié ont rendez-vous pour une rencontre au sommet. Une rencontre historique selon la plupart des observateurs et des médias locaux, minutieusement préparée par les états-majors respectifs des trois monstres sacrés de la politique ivoirienne.

Décrispation

L’atmosphère est particulièrement détendue. Le chef de l’État et les deux anciens présidents se donnent l’accolade, sourient, se tiennent par la main comme d’anciens copains d’école qui ne se sont pas vus depuis des lustres et prennent plaisir à se retrouver pour évoquer le bon vieux temps. « La rencontre de ce jour a été une rencontre de retrouvailles destinée à renouer le contact et à échanger dans la vérité sur toutes les grandes questions. Le président de la République et ses deux prédécesseurs ont exprimé leur volonté de faire de ce premier rendez-vous un levier de décrispation du climat politique et social en Côte d’Ivoire », a expliqué le benjamin, Laurent Gbagbo, au sortir de leur entrevue, qui a duré plus d’une heure et au cours de laquelle les sujets de la cherté de la vie, des grands chantiers en cours ou des conséquences de la guerre en Ukraine ont été abordés.

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« Les uns et les autres considèrent qu’il s’agit d’une réunion extraordinaire. Mais on doit considérer qu’elle est ordinaire et qu’elle se répétera régulièrement. À chaque fois que mes prédécesseurs auront le temps de reprendre ces échanges, je ferai appel à eux pour recueillir leurs avis et recommandations. Ce sera une bonne chose pour la nation de les entendre et de les écouter, [en raison de] leur connaissance du pays, [de] leur expérience et [du] poids politique qu’ils représentent », a ajouté Alassane Ouattara.

Éléphants et fourmis

Qu’il est loin le temps de la guerre, des crises postélectorales, des parties de poker menteur, des tensions et des menaces de coups d’État ! L’heure est à l’apaisement et au mantra en vigueur depuis plus d’une décennie : la réconciliation. Mieux, les o­uailles, mais aussi les concurrents de nos trois ténors, n’ont plus aucune raison de plastronner ni de s’écharper. Leurs désaccords ou leur entente dictent depuis près de trente ans le climat politique national. Quand les éléphants ne se battent plus, les fourmis cessent de mourir…

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On ne peut que se féliciter de cette initiative et de la décrispation qui en découle. Attention cependant, ce n’est qu’un premier pas tant les sujets de contentieux sont nombreux et restent sur la table : amnistie de prisonniers, retour des exilés, réforme de la Commission électorale nationale indépendante, découpage électoral, recouvrement des avantages liés au statut d’ancien chef de l’État de Laurent Gbagbo ou au statut d’un certain nombre de ses proches… Espérons que les fruits passent la promesse des fleurs.

Renouvellement générationnel

Si l’heure n’est plus à l’inquiétude, du moins en attendant les élections locales de 2023, il n’est pas interdit de rêver et d’attendre davantage de Ouattara, Bédié et Gbagbo, qui auront respectivement 83, 91 et 80 ans à l’orée de la prochaine présidentielle, à la fin de 2025. Soyons fous : ils pourraient tous trois, à l’occasion d’une prochaine réunion tripartite, nous annoncer de concert qu’ils renoncent définitivement à « jouer le match retour », donc à concourir.

Ils désigneraient chacun celui ou celle appelé à reprendre le flambeau au sein de leur formation, quitte à ce qu’eux-mêmes en conservent les rênes dans un premier temps. Vœu pieux ? Ce serait en tout cas un geste symbolique fort et inédit, qui concrétiserait leur volonté de réconciliation et démontrerait qu’ils se préoccupent davantage de l’avenir du pays que de régler leurs comptes personnels. Cela illustrerait, surtout, le renouvellement générationnel tant attendu des Ivoiriens. À condition qu’ils prennent ensemble cette décision et la mettent en pratique concomitamment. C’est, après tout, le sens de leur histoire commune : leur affrontement accapare la scène politique ivoirienne depuis si longtemps qu’ils ne peuvent la quitter sans crainte que tous les trois en même temps.