Sahara occidental : « De Dakhla à Tindouf, comment je suis devenu séparatiste »

Ancien haut responsable du Polisario, Hadj Ahmed Barikallah a rompu avec le front séparatiste et fondé le Mouvement sahraoui pour la paix. Il a raconté à JA son parcours et les dessous de l’organisation. Dans cette première partie, il évoque ses années de jeunesse.

 
Mis à jour le 28 novembre 2022 à 16:12
 
Sahara

 

 

Des enfants sahraouis brandissent des drapeaux du Polisario, dans un camp de réfugiés près de la frontière algérienne. Photo d’archive datant de 1977. © Photo by AFP

 

LA FACE CACHÉE DU POLISARIO (1/3) – L’homme que nous recevons au siège de Jeune Afrique, à Paris, en ce matin d’automne, est un opposant pas comme les autres : à la différence des nombreux autres Sahraouis qui ont quitté les camps de Tindouf, base arrière de la République arabe sahraouie démocratique autoproclamée (RASD), Hadj Ahmed Barikallah ne s’est pas installé au Maroc, mais en Espagne, dans les Asturies. Un choix qui reflète sa volonté de se positionner comme une alternative politique crédible au Front Polisario, que cet ancien ministre de la RASD estime « gangrené par la corruption et voué à disparaître, au même titre que l’IRA en Irlande ». Ce qui l’a poussé à fonder, en avril 2020, le Mouvement sahraoui pour la paix (MSP).

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Face à « la stagnation persistante », au « manque de perspectives » et au « bellicisme » des dirigeants du Polisario, le mouvement de Hadj Ahmed propose une « voie de sortie pacifiste ». Ses adhérents, issus de la diaspora sahraouie ou anciens membres du Front ayant quitté l’organisation en raison de conflits internes, œuvrent à une « solution de compromis viable et durable au problème du Sahara occidental ». Contrairement au Polisario, le MSP soutient ouvertement le plan d’autonomie marocain, dont il voudrait « négocier les termes », sans pour autant rallier le royaume comme d’autres ont pu le faire. Une nouvelle ligne politique soutenue par des personnalités politiques de haut rang, comme l’ex-chef du gouvernement espagnol Jose Luis Zapatero, et visant à trouver une solution de compromis à un conflit qui dure depuis plus de quarante ans.

Cette démarche, à l’opposé de ce que prônent les dirigeants du Polisario, est évidemment perçue comme un acte de haute trahison. Ce qui a fait passer Hadj Ahmed Barikallah du statut de haut cadre de la RASD à celui de persona non grata et de félon. De Villa Cisneros à Madrid, en passant par Tindouf, Caracas, Alger et quelques autres lieux, portrait-itinéraire d’un nationaliste sahraoui devenu opposant.

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Hadj Ahmed Barikallah est né en 1957 à Villa Cisneros (aujourd’hui Dakhla), bourgade de la côte atlantique de quelques milliers d’habitants – alors siège du gouvernement de la province sahraouie espagnole du Rio de Oro. Son père, membre de la tribu des Ouled Garaa, est officier dans l’armée espagnole. Sa mère, fille de notable, est issue de la tribu guerrière des Ouled Delim – considérée à l’époque comme alliée de l’occupant espagnol. Elle est la cousine d’Ahmedou Ould Souilem (ancien haut responsable du Polisario devenu ambassadeur du Maroc en Espagne en 2010 après avoir quitté les rangs de la RASD).

Arrivée à Tindouf

Après une jeunesse sans histoire, passée à l’ombre de son grand frère et mentor, futur représentant de la RASD auprès de l’ONU, Ahmed Boukhari, il déménage au début de l’année 1975 avec sa famille en Mauritanie, puis aux îles Canaries. « Nous sommes partis de Dakhla car il régnait alors un climat d’instabilité et de peur. Mon frère, qui était étudiant en droit à Madrid, s’était vu retirer sa bourse car il se réunissait avec d’autres étudiants pour parler de tout cela. Et toutes sortes de rumeurs circulaient sur notre devenir si la région passait sous drapeau marocain », se souvient celui qui était alors lycéen.

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Quelques mois après les accords tripartites de Madrid, le 14 novembre 1975, signés entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie sous la pression directe de la Marche verte, la famille embarque en 1977 à bord d’un vol pour Madrid, puis Alger et enfin Tindouf, sur proposition du fils aîné, désormais en contact avec les Sahraouis originaires de Nouakchott et de Tan-Tan, pères fondateurs du Polisario. Destination les camps, dans l’Ouest algérien, où la République sahraouie autoproclamée a pris ses quartiers.

S’ensuivent alors pour Hadj Ahmed Barikallah, comme pour tous les jeunes Sahraouis arrivés dans les camps nichés dans le désert algérien, six mois d’entraînement militaire. Des oripeaux révolutionnaires qui en ont séduit beaucoup, portés et financés par un Mouammar Kadhafi anti-Hassan II et une Algérie en quête de leadership régional.

Choc thermique et environnemental

Mais Hadj Ahmed déchante rapidement : « Passé l’engouement romantique des premières semaines, je retiens de cette période avant tout un choc, à la fois thermique et environnemental. Après le confort et la qualité de vie que nous avions à Dakhla et plus tard à Las Palmas, nous devions faire face, dans les camps, à des conditions de vie très dures : le climat est très aride avec des températures extrêmes qui dépassent souvent les 50°C à l’ombre le jour et qui peuvent descendre en dessous de zéro la nuit, des tempêtes de sable, des habitations très sommaires – tentes ou constructions en terre d’adobe avec des toits le plus souvent en tôle – pas d’eau courante, de l’électricité par intermittence, et encore moins de distractions… Le tout dans une ambiance de guerre où régulièrement des amis trouvaient la mort sur le champ de bataille. »

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Le jeune homme, qui avait dû abandonner ses projets d’études, est affecté en 1978 au « pôle médias » du Polisario, désireux de s’adjoindre des supports pour diffuser ses informations et ses idées. Après un stage de formation d’un an au Département d’orientation révolutionnaire (DOR) du Cuba de Fidel Castro, un des grands soutiens du front séparatiste, il devient journaliste, puis responsable des programmes en espagnol à Radio Sahara, diffusée dans la région des camps, ainsi qu’en Algérie et en Espagne, et travaille au journal Sahara libre. Le système médiatique du Polisario, Hadj Ahmed le connaît bien, il en est même une des principales chevilles ouvrières. Une fonction qui lui a permis de tisser un large réseau au Maghreb, mais aussi en Europe, en Espagne tout particulièrement, et dans plusieurs pays d’Amérique latine.