Jacques Gaillot, « l’évêque rebelle »

Celui qui fut évêque d’Évreux pendant treize ans, avant d’être démis en 1995 par Jean-Paul II devenant alors l’évêque du diocèse disparu de Partenia, est mort mercredi 12 avril à 87 ans. Son éviction avait ému toute une frange de l’Église.

  • Claire Lesegretain (avec Héloïse de Neuville et Malo Tresca), 

 

Jacques Gaillot, « l’évêque rebelle »
 
Jacques Gaillot (au centre) lors d’une action en faveur de la régularisation de sans-papiers, à Lille (Nord), en 2013.BERTRAND GUAY/AFP

Son nom restera à jamais associé au choc que suscita son départ. Mgr Jacques Gaillot, l’ancien évêque d’Évreux (Eure) démis de sa charge épiscopale en janvier 1995 par Jean-Paul II, est mort mercredi après-midi, à l’âge de 87 ans, des suites d’un cancer. « Au-delà de certaines prises de position qui ont pu diviser, nous nous rappelons qu’il a surtout gardé le souci des plus pauvres et des périphéries », a réagi la Conférence des évêques de France (CEF), avec laquelle il fut, des années durant, en conflit ouvert.

« On dépeint souvent Jacques Gaillot comme un rebelle et un contestataire, mais au départ c’est un catholique tout à fait classique », retrace le journaliste Michel Cool, qui l’a bien connu. De fait, ce n’est qu’en devenant évêque d’Évreux, en 1982, que Mgr Gaillot a commencé à faire parler de lui. Né en 1935 à Saint-Dizier (Haute-Marne), dans «un milieu conservateur de droite », selon sa propre description, il avait décidé très jeune de devenir prêtre. Après son service militaire en Algérie (1957-1959) qui le marqua profondément – « l’excès de violence m’a poussé à la non-violence » – et une licence de théologie à Rome, il est ordonné prêtre en 1961 pour le diocèse de Langres (Haute-Marne). Il devient directeur de séminaire puis vicaire général du diocèse.

Dès 1983, Jacques Gaillot vote contre le texte « trop prudent » des évêques sur le nucléaire et prend la défense d’un objecteur de conscience. Les années suivantes, il défend des positions publiquement contraires à celles de l’Église : il salue le film de Martin Scorsese La Dernière Tentation du Christ (1988) qui fait scandale, se prononce pour l’usage du préservatif contre le sida… « J’essaie d’être un évêque à la manière de saint Paul, qui aimait annoncer l’Évangile aux païens », se justifie-t-il.

En 1994, des émissions de France 2 puis d’Arte propulsent à nouveau « l’enfant terrible d’Évreux » sous les feux des médias et lui valent d’être convoqué le 12 janvier 1995 à Rome. Selon son récit, le cardinal Gantin, préfet de la Congrégation pour les évêques, lui aurait demandé de présenter sa démission écrite, ce qu’il refusa. Il sera alors « transféré » évêque de Partenia, un diocèse fantôme sans églises ni catholiques depuis des siècles, en Algérie. « Cette sanction peut paraître disproportionnée aujourd’hui, mais il faut bien la resituer dans le contexte très tendu dans lequel Jean-Paul II veillait à limiter à la fois l’influence du gauchisme et des intégristes », relève Michel Cool.

Cette décision, perçue comme unilatérale et brutale, suscite une forte émotion en France, « notamment dans la frange gauche du catholicisme, pour qui il représentait le symbole d’une Église humaniste et ouverte », se souvient encore Michel Cool. 20 000 fidèles viendront à sa dernière messe à la cathédrale d’Évreux, le 22 janvier 1995. Près de 40 000 lettres de protestation seront reçues à la nonciature, sans parler d’une campagne de soutien qui donnera lieu à la publication de deux ouvrages.

« L’affaire Gaillot » devient le symbole d’un malaise profond qui s’aggrave quand il rejette les missions que la CEF lui propose pour lui trouver un statut. L’évêque rebelle préfère poursuivre son combat pour les droits des exclus. Avec Albert Jacquard et Léon Schwartzenberg, il fonde l’association Droits devant ! pour aider les sans-papiers et les Roms. Soutenu par l’abbé Pierre, il vivra lui-même un an au milieu de 300 démunis dans un squat parisien.

Défenseur de la cause palestinienne, il dénonce les ventes d’armes, embarque sur un bateau de Greenpeace, visite des prisonniers tel Yvan Colonna… Il est aussi sollicité pour bénir des couples de divorcés remariés ou de personnes homosexuelles. Critiqué au début des années 2000 pour sa mauvaise gestion du cas d’un prêtre pédophile canadien, Denis Vadeboncœur, accueilli dans le diocèse d’Évreux et laissé en paroisse au contact d’enfants, il reconnaît son erreur, déclarant : « Àl’époque, j’accueillais celui qu’on me demandait de prendre. »

Invité par des médias, il apparaissait toujours placide, affirmant n’avoir « aucune amertume » à l’égard de sa hiérarchie. «Je ne suis pas fait pour les honneurs ; je suis toujours du côté des humbles, répétait-il. La force d’une Église, ce sont ses liens avec les exclus. » Des propos qui pouvaient rappeler ceux du pape François invitant à « aller aux périphéries ». Mgr Gaillot lui avait d’ailleurs écrit en 2015 et, quelques semaines plus tard, le pape l’invitait au Vatican. Une rencontre perçue alors comme une reconnaissance, mais pas comme une réhabilitation.