Côte d’Ivoire : faux départ pour le dialogue politique

7 janvier 2022 à 17:55

Mis à jour le 7 janvier 2022 à 17:58
 


Le Premier ministre Patrick Achi lors du dialogue politique, le 16 décembre 2021, à Abidjan. © Primature de CI

 

Théoriquement relancé par le Premier ministre Patrick Achi le 16 décembre, le dialogue est au point mort. Des dossiers judiciaires qui incriminent l’opposition sont venus raviver les tensions entre le parti au pouvoir et ses adversaires politiques.

« Le RHDP [Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix] constate que le PDCI-RDA [Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain] et le PPA-CI [Parti des peuples africains en Côte d’Ivoire] veulent se servir de ce dialogue politique pour s’assurer une immunité juridictionnelle et une impunité, sans toutefois reconnaître leurs forfaits. »

Les mots sont de Kobenan Kouassi Adjoumani, le porte-parole du RHDP, au pouvoir, qui s’est chargé d’organiser la riposte face à l’opposition. « Au demeurant, le dialogue n’est à cet égard nullement constitutif d’une occasion d’exonérer a priori des hommes politiques des actes justiciables qui leur sont opposés », ajoute-t-il.

Pascal Affi N’Guessan, Guillaume Soro et Simone Gbagbo

Ce jeudi 6 janvier, le ton est grave et les mots durs du porte-parole du RHDP sont une réponse au PDCI d’Henri Konan Bédié et au PPA-CI de Laurent Gbagbo. Dans un communiqué conjoint rendu public quelques jours plus tôt, le 5 janvier, les formations des deux anciens présidents s’interrogeaient sur « la sincérité du dialogue politique relancé par le gouvernement ».

Depuis la multiplication de gestes d’apaisement et le lancement du dialogue mi-décembre, le climat politique s’était relativement apaisé. Mais la publication d’un rapport d’enquête sur les crimes commis lors de la présidentielle de 2020 qui met en cause les principaux leaders de l’opposition a ravivé les tensions. Publié le 27 décembre par le procureur près le tribunal de grande instance d’Abidjan, Richard Adou, le dossier d’une soixantaine de pages estime que l’appel au boycott et à la désobéissance civile lancé par Henri Konan Bédié a été « l’un des déclencheurs » de la crise qui a fait officiellement 85 morts et plus de 500 blessés.

Plusieurs autres personnalités, comme Pascal Affi N’Guessan, à la tête du Front populaire ivoirien (FPI), Guillaume Soro, l’ex-président de l’Assemblée nationale, ou encore Simone Gbagbo, l’ex-première dame, y sont citées. Autant d’accusations qui pourraient provoquer des poursuites. Richard Adou a souligné que l’immunité présidentielle était, dans ce cas précis, inopérante.

« Paranoïa politique »

En réaction, le PDCI et le PPA-CI ont dénoncé, dans une déclaration commune, de « graves accusations, assorties de menaces de poursuites judiciaires, contre des dirigeants des partis d’opposition » de la part du procureur de la République. « Il importe de signaler que la conférence de presse du procureur a curieusement coïncidé avec la nouvelle date butoir de dépôt des termes de référence [pour le dialogue politique] », écrivent-ils dans leur message rendu public par Justin Katinan Koné, porte-parole du PPA-CI, et Soumaïla Kouassi Bredoumy, pour le PDCI, dénonçant un premier report du dialogue, du 17 au 27 décembre.

« Nous considérons que cette sortie du RHDP ne constitue pas une réponse aux inquiétudes que nous avons soulevées », insiste un cadre du PPA-CI. « Nous ne demandons pas l’impunité. Nous soulevons des interrogations qui nous semblent légitimes. La coïncidence entre la date initialement prévue pour la reprise du dialogue et la sortie du procureur est troublante », ajoute-t-il.

Du côté du pouvoir, on insiste sur l’indépendance de la justice et on qualifie les inquiétudes de l’opposition de « procès d’intention » et de « paranoïa politique ». « Le dialogue politique ne saurait être une entrave au fonctionnement normal de la justice », assène Kobenan Kouassi Adjoumani.

Pour le RHDP, la séquence lancée le 16 décembre s’inscrit dans la continuité des actions initiées par les deux précédents Premiers ministres, Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko, avant leurs décès, et souligne les avancées enregistrées : les amnisties, les libérations de prisonniers, le retour d’exilés et les rencontres entre Alassane Ouattara et ses prédécesseurs.

Dossiers sensibles

Selon le politologue et essayiste Geoffroy-Julien Kouao, les deux parties ont chacune des arguments. « D’une part, la réaction de l’opposition est légitime car même s’il y a séparation des pouvoirs, le parquet est sous la hiérarchie du ministère de la Justice. La sortie du procureur pourrait fragiliser le statut pénal des participants au dialogue et la sérénité ne sera pas au rendez-vous. De l’autre, le RHDP n’a pas non plus tort car le dialogue politique ne saurait justifier l’impunité. Comment concilier le dialogue et la nécessité de rendre justice ? Cette situation aura indéniablement un impact sur les discussions », analyse-t-il.

Le dialogue politique, pour lequel aucune date de reprise n’a été fixé, est censé mettre sur la table des sujets sensibles. L’organisation de la présidentielle de 2025, la libération des prisonniers civils et militaires chère à Laurent Gbagbo mais aussi le retour de Guillaume Soro et de Charles Blé Goudé pourraient y être discutés.