Côte d’Ivoire : les dessous de la renationalisation de Petroci

Si les gisements pétroliers identifiés en Côte d’Ivoire promettent de nouvelles ressources pour l’État, l’heure est encore aux négociations avec les nombreux partenaires impliqués. Dans ce contexte, la transformation de Petroci en entreprise publique à 100 % est supposée faciliter les choses.

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 6 juin 2022 à 11:12
 

 

Plateforme de production gazière et pétrolière Foxtrot, au large d’Abidjan. © Nabil Zorcot

La Société nationale des opérations pétrolières de Côte d’Ivoire (Petroci) entre dans une nouvelle ère. Initialement société à participation financière publique, Petroci est devenue une entreprise publique à 100 %. Un changement intervenu dans un contexte où la société commençait à multiplier les partenariats et censé lui donner les outils nécessaires à son développement. Cette modification de statut permet désormais de protéger la compagnie contre d’éventuelles procédures judiciaires ou arbitrales abusives. Cela empêchera des saisies d’actifs lorsque l’entreprise perdra une action en justice, conformément au traité uniforme de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada), qui régit le climat des affaires dans les pays francophones africains.

Le changement de statut de Petroci était demandé par la direction du groupe, incarnée par son directeur général, Vamissa Bamba, et doit lui donner les coudées franches dans les négociations avec les groupes pétroliers. En particulier avec le groupe italien ENI, l’un des partenaires les plus importants, avec qui les relations sont parfois difficiles. En septembre 2021, c’est le pétrolier italien qui découvrait à Baleine l’un des plus gros gisements pétrolier et gazier du pays. Les premières estimations évoquaient une réserve de 2 milliards de barils de pétrole brut et de 2,4 milliards de pieds cubes de gaz naturel. Pas de quoi faire de la Côte d’Ivoire un géant pétrolier, mais largement suffisant pour approvisionner les centrales électriques du pays en gaz naturel.

Premiers barils dès le premier semestre de 2023

Dans le cadre de son joint-venture avec ENI, Petroci possédait 10 % sur le permis CI-101, sur le site duquel la découverte a été faite. Quelques mois après la mise au jour du site, le 29 décembre 2021, une fois le décret d’autorisation d’exploitation exclusif du gisement signé par le président Alassane Ouattara, Vamissa Bamba écrivait à Sergio Laura, le directeur général de la filiale locale d’ENI, pour négocier une augmentation des parts de l’entreprise publique dans le bloc. Petroci souhaitait porter ses parts à 17 %. Une opération inédite : habituellement, Petroci n’a droit qu’à 15 % sur chaque bloc dont il n’est pas l’opérateur? « C’est une clause prévue par le contrat de partage de production », confie une source au quartier général d’ENI à Milan. Désormais, ENI possède donc 83 % des parts du CI-101, et Petroci a porté ses parts à 17 %.

Le plan de développement du gisement prévoit pour cette année le forage de trois puits, ce qui constitue la première phase. Les premiers barils devraient sortir au premier semestre de 2023 avec une production de 12 000 barils/jour de pétrole brut et de 17,5 millions de pieds cubes/jour de gaz naturel associé. La deuxième phase de développement concernera une soixantaine de puits pour un investissement d’environ 11 milliards de dollars et un débit projeté entre 75 000 et 100 000 barils/jour de pétrole brut et à 140 millions de pieds cubes/jour de gaz naturel. Le gisement est censé tourner à plein régime à partir de 2026, générant des ressources qui alimenteront directement les caisses de l’État.

Cette découverte majeure impacte la nouvelle stratégie globale de Petroci qui, depuis quelques années, avait décidé de se recentrer sur son cœur d’activité : l’exploration et la production. Une décision faisant suite à des tentatives plus anciennes de diversification dans l’amont et l’aval de la filière. Petroci avait scellé un partenariat avec le nigérian MRS pour créer une entreprise commune, Corlay, qui avait repris le réseau de distribution de l’américain Chevron. Cette expérience a tourné court, minée par des divergences entre les partenaires.

Multiplication des partenariats

Dans sa nouvelle stratégie, Petroci multiplie les alliances. L’entreprise a noué un partenariat avec le nigérian Sahara Energy pour créer la société Sapet. Ce joint-venture, détenu à 65 % par Sahara et à 35 % par Petroci, développera et exploitera une sphère de stockage de gaz de pétrole liquéfié d’une capacité annuelle de 12 000 tonnes pour un investissement de 36,6 millions d’euros. L’entreprise a cédé depuis 2018 son réseau de distribution au trader Trafigura à travers la création d’une entreprise commune, Puma Energy Côte d’Ivoire (PECI), dont Petroci détient 20 %. Un an plus tard, la situation financière s’est dégradée, avec des fonds propres négatifs liés aux difficultés commerciales du réseau de distribution des stations-service. L’appel d’offres concernant la cession de son activité gaz est en cours.

Ce recentrage sur son cœur de métier est un virage important pour la compagnie publique. Mais la nouvelle direction envisage de se renforcer dans l’aval, et Petroci prévoit de s’y déployer, avec notamment la construction d’un nouveau quai d’appontement dans le port d’Abidjan pour lequel le financement doit toutefois encore être trouvé. Si l’entreprise a une santé financière relativement saine, avec un chiffre d’affaires de 268,9 milliards de F CFA (409 millions d’euros environ) pour un résultat net de 9,5 milliards de F CFA, les comptes ne sont pas assez solides. Un litige sur le bloc 50, au sultanat d’Oman, lui a ainsi fait perdre 11,9 milliards de F CFA.

Un autre partenariat avec le pétrolier Vitol, portant sur l’exploration du bloc offshore 508, lui a aussi coûté environ 11,4 milliards de F CFA. Ce bloc a finalement été restitué à l’État ivoirien, mais l’ensemble des pertes dans l’exploration était estimé à plus de 50 milliards de F CFA à la fin de 2020. « Nous sommes conscients de cette dépréciation. Nous nous attellerons à consolider les comptes. Nous sommes sur plusieurs blocs pétroliers », confie une source à la direction de Petroci.