Burkina Faso : le capitaine Traoré s’attaque à la réforme de l’armée

Il a pris le pouvoir en promettant de gagner la guerre contre les groupes terroristes. Depuis, le nouveau président de la transition burkinabè multiplie les annonces fortes, tant sur le fond que sur la forme.

Mis à jour le 22 novembre 2022 à 10:50

 
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Cérémonie de décoration de soldats lors du 62e anniversaire de la création de l’armée burkinabè, à Ouagadougou, le 1er novembre 2022. © Martin Demay / AFP

 

« L’armée a été infiltrée et chacun agit en fonction de certains [intérêts] politiques. À un moment donné, on a eu espoir que ça va (sic) cesser, notamment avec les événements du 24 janvier [le coup d’État contre Roch Marc Christian Kaboré, NDLR], et ça n’a pas cessé. » Le 11 novembre dernier, les mots d’Ibrahim Traoré lors d’une rencontre avec des responsables politiques et des leaders de la société civile ne sont pas passés inaperçus. 

Arrivé au pouvoir depuis moins de deux mois, par un putsch contre son prédécesseur, Paul-Henri Sandaogo Damiba, le jeune capitaine de 34 ans n’a pas épargné ses frères d’armes, leur faisant porter une partie de la responsabilité de la situation sécuritaire sur un territoire « presque perdu », a-t-il affirmé. Et d’évoquer des rivalités dans l’armée. Selon lui, les « officiers » basés « à Ouagadougou » sont responsables de semer la division alors que, dans les combats, les soldats sont « unis ».

Comme son prédécesseur, « IB », tel qu’il est surnommé, s’est arrogé le pouvoir avec une promesse centrale : celle de battre les jihadistes. Damiba a échoué à tenir parole et a été renversé huit mois seulement après son putsch. Conscient de l’épée de Damoclès qui pèse sur sa tête, Traoré fera-t-il mieux ?

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Hommes de confiance

Le soldat a en tout cas décider de réformer l’armée tous azimuts. Après avoir annoncé des recrutements de militaires et celui de 50 000 Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), il a lancé le 14 novembre la création de six bataillons d’intervention rapide (BIR). Basés dans la garnison de Ouagadougou de façon transitoire, les BIR « peuvent être déployés en fonction des nécessités opérationnelles sur toutes l’étendue du territoire national ». Ces unités réactives et polyvalentes ont pour mission « d’intervenir, le plus vite possible et le plus avant face à toute menace ».

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C’est à des hommes de confiance qu’Ibrahim Traoré a tenu à confier ces bataillons spéciaux. À la tête du 4e, il a par exemple nommé le capitaine Farouk Azaria Sorgho, qui fut le porte-parole de la junte lors de sa prise de pouvoir, aux premiers jours d’octobre. « Tous ceux qu’il nomme étaient sur le terrain avec lui. Ce ne sont pas des bureaucrates », analyse Aly Nana, coordonnateur national du Mouvement pour la résistance populaire (MRP), une structure qui regroupe plusieurs centaines de VDP.

Conséquence directe de cette politique, la plupart des nouveaux cadres sont très jeunes, trentenaires. Ce qui n’est pas sans risque, analyse Arouna Louré, ex-député de l’Assemblée législative de transition (ALT). « Nommer des capitaines à des rôles de commandants de régions militaires est soit très courageux soit suicidaire », estime-t-il.  « Ces postes sont traditionnellement dévolus à des colonels ou à des officiers généraux. Le fait de les écarter est un signe de rupture entre les générations. »

« Restez debout »

Enfin, le 11 novembre dernier, le président de la transition, son Premier ministre, Kyélem de Tambèla Apollinaire Joachimson, et son ministre de la Défense, le colonel-major Kassoum Coulibaly, ont signé un décret rattachant le Commandement des opérations du théâtre national (COTN) à l’état-major général des armées.

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Créé en début février 2022 par Damiba et dirigé par l’un de ses proches, Yves Didier Bamouni, le COTN avait d’emblée été très critiqué pour être devenu un ministère de la Défense-bis et concentrer tous les pouvoirs. Grâce à sa réforme, Traoré entend rendre à l’état-major la place qui lui revient et ramener la concorde dans les troupes.

L’objectif est clair : prendre le dessus sur les jihadistes, comme il l’a réaffirmé, le 5 novembre dernier, devant les soldats du 14e régiment interarmes de Djibo. « Restez débout. Aucunement, nous ne devons laisser tomber ce pays. Armez-vous de courage pour ce qui va commencer bientôt », lançait-t-il à l’adresse de ceux qui venaient d’être attaqués par des terroristes, dix jours plus tôt, et à qui il avait réservé sa première visite de président.