Qu’avez-vous (encore) contre le franc CFA ?

La discipline imposée par la monnaie commune et son arrimage à une devise solide ont amorti les chocs qui ont ébranlé d’autres économies africaines. N’est-ce pas précisément son rôle ?

Mis à jour le 2 décembre 2022 à 14:38
 
 
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Par Joël Té-Léssia Assoko

 

Les autorités économiques et monétaires françaises auraient pu nous épargner l’incongru moment d’autosatisfaction enduré à la mi-novembre, à la sortie du dernier rapport économique et financier sur la coopération avec les zones monétaires africaines. « Imaginez si le Mali ou le Burkina Faso, en proie à des crises politiques et sécuritaires successives, avaient leur propre monnaie. Celles-ci s’effondreraient face aux devises internationales, avec comme conséquence la “dollarisation” des économies », ont-elles indiqué à Jeune Afrique.

Est-il sage de relancer le débat sur le franc CFA, alors que l’habituel chœur dénonçant la « servitude monétaire » semble dépassé par les événements ? Peut-être.

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Interventions désespérées

Depuis le début de l’année, le cédi a cédé 57% face au dollar américain, contre 8,6% pour le franc CFA. À Accra, l’inflation a atteint 37,2% en septembre, soit quatre fois la limite souhaitée par les autorités monétaires. Et cela malgré les interventions désespérées de la Banque du Ghana, qui a relevé son taux directeur de onze points depuis un an.

Le Nigeria s’en sort mieux, si l’on peut dire, avec une inflation de « seulement » 20,8%, deux fois à peine la limite supérieure souhaitée par la CBN. Entre-temps, elle reste en-dessous de 8% dans la zone Uemoa, et de 4,1% dans la Cemac, selon la BCEAO. Les contempteurs du franc CFA souhaitent-ils pour ces pays le sort du Ghana ? « Ils diront que les chiffres publiés ne sont pas vrais et que la population ghanéenne vit bien. J’ai déjà entendu cela », regrette un financier abidjanais.

À LIREEt si on ouvrait un vrai débat sur le franc CFA ?

La France peut se défendre – ou s’enfoncer  toute seule quand il s’agit de ses relations avec ses anciennes colonies. Mais demeure la réalité qu’il n’y a ni miracle ni malédiction en matière de politique économique. Hormis pour ceux qui persistent à croire que les décisions prises par les États africains n’ont aucune conséquence, que catastrophes et réussites interviennent comme surviennent des « cas de force majeure », des « actes de Dieu ». Entendez : des décisions des Occidentaux.

Il se dit que les déboires d’Accra ont été exacerbés par les agences de notation occidentales. Des financiers africains pourtant bien informés adhèrent à la thèse selon laquelle une application irraisonnée des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) explique la dégradation de la notation du pays, qui aurait par ricochet aggravé la dépréciation du cédi, l’inflation et le malheur des populations locales.

Quel carcan monétaire ?

Personne n’a obligé le gouvernement d’Accra à accroître sa dette extérieure à 82% du PIB en 2021, quand Abidjan maintenait ce ratio autour de 51%, en-dessous de la limite de 70% imposée par le « carcan monétaire », c’est-à-dire les critères de convergence économique de la zone Uemoa.

Pense-t-on vraiment que les autorités ivoiriennes n’auraient pas souhaité obtenir plus de financements ? Et qui a bien pu « contraindre » le gouvernement du président Nana Akufo-Addo de recourir à des endettements de court terme aussi onéreux ? Ils sont estimés à plus de 16% de la dette externe, soit quatre fois le niveau observé en Côte d’Ivoire et plus de cinq fois celui du Cameroun.

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La dette à court terme comprend toutes les dettes dont l'échéance initiale est d'un an et moins et les intérêts en retard sur la dette à long terme. © Banque mondiale

Qui peut croire que c’est l’expertise économique des impayables autorités militaires de Bamako qui a convaincu le marché régional de prêter 12 milliards de F CFA (18,2 millions d’euros) au Mali au début de novembre, au taux extraordinaire de 6,6 % pour une maturité de sept ans ?

C’est à peine 1 point de plus que le taux exigé par les investisseurs pour la Côte d’Ivoire, dont l’économie et la qualité de la gouvernance sont d’un tout autre calibre. Et ce alors que la dette ghanéenne d’une maturité similaire atteint un taux d’intérêt de 40%. CQFD.