En Algérie, Tebboune maintient le pouvoir d’achat sous perfusion

En annonçant des largesses aux petites bourses du secteur public, le pouvoir entend tenir ses promesses électorales et calmer la grogne sociale. Mais gare au risque d’inflation.

Mis à jour le 27 décembre 2022 à 15:39
 
 
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Le chef de l’État algérien Abdelmadjid Tebboune lors d’une conférence de presse au palais d’El-Mouradia, le 17 novembre 2022, à Alger. © PRESIDENCY OF ALGERIA/HANDOUT/ANADOLU AGENCY via AFP.

 

C’est le cadeau de fin d’année du président Abdelmadjid Tebboune à certaines catégories sociales dont le pouvoir d’achat est bien entamé par la crise économique que connaît l’Algérie depuis quelques années déjà. Le chef de l’État a décidé, lors de la réunion du Conseil des ministres qui s’est tenue le 25 décembre, de procéder à la revalorisation de salaires, de pensions de retraite et de l’allocation chômage à partir de janvier 2023.

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Concrètement, quelque 2,8 millions fonctionnaires doivent voir leur rémunération augmenter de 47 % d’ici à 2024, soit une hausse de salaire estimée entre 4 500 et 8 500 dinars (entre 31 et 58 euros) par mois, selon les catégories. Quant à l’allocation chômage, elle doit passer de 13 000 à 15 000 dinars par mois.

Pour ce qui est des petites retraites, elles connaîtront une hausse de 5 000 dinars. Le seuil minimum est ainsi fixé à 15 000 dinars mensuels pour ceux qui percevaient moins de 10 000 dinars par mois et à 20 000 dinars pour ceux qui touchaient jusqu’ici une retraite de 15 000 dinars.

Spirale inflationniste

Ces annonces s’inscrivent dans la droite ligne de l’engagement pris par Tebboune lors de la campagne pour la présidentielle du 12 décembre 2019 d’améliorer les conditions de vie des petites bourses algériennes. Lors d’un entretien télévisé diffusé il y a quelques jours, le 22 décembre, le chef de l’État a ainsi confirmé la politique engagée. « Nous sommes à la quatrième phase du processus d’augmentation des salaires et nous continuerons à les élever de manière à assurer une vie décente [aux citoyens] », a-t-il affirmé.

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Ce qui soulève toutefois une question : ces augmentations ne risquent-elles pas de provoquer une spirale inflationniste ? En 2022, le taux d’inflation a atteint 9,4 %, selon le Fonds monétaire international (FMI), soit son niveau le plus élevé sur les 25 dernières années, quand bien même la loi de finances 2023 table sur un taux maîtrisé durant les trois prochaines années (5,1 % en 2023, 4,5 % en 2024 et 4 % en 2025).

La menace semble prise au sérieux par le chef de l’État, qui a convenu lors de sa prestation télévisée de la nécessité d’accompagner le processus d’augmentation de salaires d’« un contrôle des prix » et d’un « renforcement de la production ».

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Cette crainte est partagée par Brahim Guendouzi, professeur d’économie à l’université de Tizi Ouzou. « Il faut faire très attention au risque d’emballement des prix susceptible de faire tomber l’économie dans une spirale inflationniste difficilement maîtrisable et pouvant menacer les équilibres économiques et sociaux », pointe-t-il.

Dépendance au cours du pétrole

L’économiste souligne néanmoins que « la loi de finances pour 2023 est calculée sur un prix de référence du baril de pétrole de 60 dollars alors que le prix de marché avoisine aujourd’hui les 100 dollars ». Ainsi, estime-t-il, « l’écart entre les deux permettra d’alimenter le Fonds de régulation des recettes (FRR) qui pourra servir à financer l’énorme déficit budgétaire ».

Autrement dit, les pouvoirs publics disposent d’un levier pour, sinon enrayer la dynamique inflationniste, du moins y faire face. Au-delà des augmentations salariales, le vrai enjeu est, selon Guendouzi, « d’arriver à réaliser une croissance vigoureuse porteuse de création d’emplois et de relance de la consommation », d’autant que « l’économie algérienne n’est pas à l’abri d’un retournement du marché pétrolier international ».

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M’hamed Hamidouche, expert en économie auprès d’institutions internationales, se montre lui plus optimiste, pariant sur un scénario différent de celui de 2008. À cette époque, les augmentations salariales octroyées aux fonctionnaires n’avaient pas été immédiatement perçues mais versées un an après leur annonce avec un rappel d’une année et demie. Cela avait engendré « la circulation d’une quantité importante de monnaie, provoquant une inflation galopante ».

Ici, « les augmentations doivent être perçues dès janvier 2023, et l’inflation ne devrait se ressentir que dans plusieurs mois et de façon plus diffuse », expose le spécialiste.

Le secteur productif, grand oublié

Selon Hamidouche, le gouvernement a changé de modèle, souhaitant actionner le levier de la consommation plutôt que celui de la dépense publique comme c’était le cas par le passé. Les hausses de salaires doivent ainsi « se traduire par une augmentation de la consommation des ménages, qui doit générer une hausse du chiffre d’affaires des entreprises, alimentant la fiscalité et l’investissement avec, in fine, des gains d’emplois ».

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« Avec ce modèle, on peut espérer une croissance de plus de 5 %, supérieure aux prévisions de moins de 3 % de la loi de finances 2023 ou encore des institutions monétaires internationales comme le FMI et la Banque mondiale », assure-t-il.

Certains observateurs sont plus réservés, pointant des failles dans le dispositif. Habib Si Ali, expert consultant en droit du travail et ressources humaines, déplore l’existence d’« oubliés de ces augmentations », à savoir les travailleurs du secteur productif privé et de celui public. « Ces derniers doivent attendre, le ministre du Travail renvoyant à la négociation collective pour toute décision d’augmentation des salaires pour cette catégorie, détaille-t-il. Or, la négociation collective n’est pas obligatoire dans le droit algérien. De plus, les discussions de la fameuse tripartite gouvernement-UGTA [Union générale des travailleurs algériens]-patronat sont gelées depuis 2017. »