BAMAKO (Tradition orale des Tarawete recueillie en fin mars 1975 à Falajé et adaptée en vers français par Baabilen Kulubali) Ecoutez, bonnes gens qui aimez les histoires ! Ceci n'est pas un conte, un récit illusoire. Il transpire le vrai. Tel je l’ai entendu, Tel je vous le transmets, et si je l’ai rendu Sans en rien oublier, gardez-en l’héritage ! Au temps de mon enfance à Siranindourou, Quand mon père en était le grand chef de village, Un vieux Traoré, chaque année, peu ou prou, A ses lointains parents venait rendre visite, Apportant en cadeau du sel et du tabac. Il arrivait tout droit de Sanankoroba, Berceau de la famille où nos cousins habitent. Notre ancêtre, dit-il, s'appelait Tyènnégé, Nkalanin Tyènnégé. Il défricha la brousse A Sanankoroba, A lui se sont ligués Quelques Kouloubaly. Leur alliance fut douce Comme celle d'enfants issus de même mère. De sorte qu’entre nous on ne se marie pas... Le village grandit et se développa, Tandis que Tyènnégé devenait vieux grand-père. Un de ses petits-fils, grand amateur de chasse Sillonnait le pays, en quête de gibier. Traversant le Niger (sans se faire mouiller) De rocher en rocher, quand les eaux se font basses. On appelait ce gué du nom de «Bamako», Ce qui veut signifier « la rivière aux crocos ». Notre chasseur tuait tant et si bien Que la viande à porter dépassa la mesure Et s’en vint contrarier les travaux de culture. Il resta seul, lui et ses chiens Quand les Kouloubali, eux aussi, se lassèrent « La chasse est ta passion, constatèrent ses frères. Installe donc ta case au bord du « bamako ». Tu vendras ton gibier en ce point de passage A qui veut traverser la rivière aux crocos. » Le chasseur reconnut que l’avis était sage Et fixa son hameau à l'endroit suggéré. Un pasteur souraka qui parcourait les rives Vint l’y trouver, de même qu’un Nyaré. Ils ont sympathisé de manière si vive Qu'ils se sont implantés auprès du Traoré. Les trois chefs de famille étaient comme des frères. C'était de vrais amis qui ne se cachaient rien. Installé le premier, Traoré, chef de terre, Présidait les palabres, réglant tout avec soin. Le Nyaré et le Maure, en voyant leur entente Et l’intérêt du lieu, ont dit au Traoré : «Demandons aux devins ce qui peut procurer Le succès au hameau de manière éclatante. » «J’y pensais, répond-il. Le projet n'est pas vain. Et puisqu'on est d'accord, voici ce qu’on va faire. Je vais vous envoyer chacun chez un devin. Moi-même m’en irai chez un autre compère ! » Tous les trois sont partis, chacun de son côté. Et tous trois devins, sans s'être concertés, Ont rendu leur oracle. Il était similaire ! Le Maure et le Nyaré, de retour au village, Rejoignent Traoré, saluent comme d'usage. Le chasseur dit alors : «Vous avez eu à coeur Mes intérêts. Aussi, dans cette grave affaire, Je vais parler d'abord... Pour assurer grandeur Et gloire au hameau, voici ce qu’il faut faire, M'a bien dit le devin. En serez-vous capables ? Si oui, le hameau grandira De manière incroyable Et tout le monde en parlera. Qu’un vendredi matin, sur le lieu de l’offrande, Une vierge dépose un petit balai neuf, Un couteau neuf, Dans une calebasse neuve et grande. Une fois présentée à Dieu votre demande, Egorgez la fillette avec le coutelas. Versez son sang dans cette calebasse, Trempez-y le balai, emportez-la. Parcourez Ie pays, dévorez les espaces, Aussi loin que le sang aspergera la terre, La ville s’étendra… » Pendant tout ce rapport Le maure et le Nyaré bouche bée demeurèrent, Car tout ce qu’ils avaient à dévoiler encor, Traoré l'avait détaillé Sans en rien oublier… Quand chacun eut parlé, aucune dissonance ! L'oracle des devins avait même exigence ! Alors Traoré dit : « Le vrai est préférable ! Le succès du hameau n'est pas à négliger, Mais que j’offre ma fille à Dieu pour l’égorger, Je n'en suis pas capable.» Le maure aussi de s'écrier : « Jamais ! Que prospère ou non le village, La mort de mon enfant n’en sera pas le gage ! » Nyaré, déterminé, reste seul et promet : «Je vais donner ma fille en sacrifice. Mais dans ce cas, prospérité ou non, La gestion du hameau reviendra à mon nom. » Tous les deux acceptèrent en disant : «C’est justice ! » Car là où ils étaient, ils vivaient dans l’aisance Et chacun y trouvait son profit (Dieu merci !) L’accord conclu, arriva l’échéance. Tout était prêt : balai, couteau, la fille aussi. Un vendredi matin, avant que le jour brille, Nyaré invoqua Dieu et sacrifia sa fille. Le sang versé emplit la calebasse Qu'il confia au chasseur en lui disant : «Le plus loin que tu peux, les endroits où tu passes, Avec ce balai neuf, asperge-les de sang.» Ce fut ainsi qu'à Bamako la chefferie Fut transmise aux Nyaré. Sinon, son fondateur était un Traoré Venu chasser au bord de l’eau dans les prairies. Ceci n'est pas un conte, un récit illusoire. De la bouche à l’oreille il a transmis l'Histoire. Tel je l’ai entendue. Tel je vous l’ai rendue. B.Traoré de Siirarinduuru |