Abaya : entre islam, mode et complexe d’ados, des lycéennes témoignent

Reportage 

L’abaya est interdite à l’école publique depuis la rentrée, lundi 4 septembre. Interrogées par La Croix sur leurs motivations, les adolescentes qui ont choisi de porter ces robes longues et amples en dehors du lycée hésitent entre plusieurs registres.

  • Juliette Vienot de Vaublanc, 
Abaya : entre islam, mode et complexe d’ados, des lycéennes témoignent
 
Lors de la rentrée scolaire 2023, devant un lycée dans le 3e arrondissement de Marseille, une jeune femme, accompagnée de sa mère, porte une abaya.NICOLAS VALLAURI / LA PROVENCE / MAXPPP

Quand la sonnerie de midi retentit, de petits groupes se forment à la sortie du lycée Louise-Michel de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Une fois le portail franchi, plusieurs adolescentes s’empressent de remettre leur voile. Vêtue d’un hidjab, d’une tunique et d’un pantalon ample bordeaux, Zaïna est catégorique : le « scandale de l’abaya » n’a pas lieu d’être.

Cette musulmane âgée de 16 ans ne « comprend pas » l’interdiction de ce vêtement à l’école. Entrée en vigueur le 4 septembre, à la rentrée, dans les collèges et lycées publics, la décision était pourtant déjà appliquée dans son établissement depuis la fin de l’année dernière. »

« L’abaya permet de me préserver »

Interrogée sur les raisons qui la poussent à choisir ce vêtement porté à l’origine par les femmes du Golfe, cette élève de terminale assure dans un premier temps que, contrairement au voile, ce vêtement n’a « pas de signification religieuse ». Son amie Samantha (1) renchérit : « Beaucoup de personnes qui ne sont pas musulmanes, comme moi, portent une abaya comme n’importe quelle robe longue. »

Mais, très vite, les arguments se mélangent, montrant à quel point les registres sont difficilement séparables pour ces adolescentes. Car ce sont bien des préceptes religieux qui ont poussé Zaïna à adopter cette tenue. « L’année dernière, en lisant le Coran, je me suis dit que l’abaya permettrait de me préserver », poursuit-elle en toute sincérité. « Porter uniquement un voile avec des habits normaux, ce n’est pas légiféré (cela ne correspond pas aux normes de la pudeur établies dans sa vision de l’islam, NDLR). Par exemple, le pantalon n’est pas accepté, parce qu’on voit les jambes. »

« C’est une tenue pas chère, et confortable comme un pyjama ! »

N’ayant porté une abaya que « trois ou quatre » fois au lycée, son interdiction récente n’a pas changé sa manière de s’habiller pour venir en cours, mais lui cause quelques craintes : « Devoir remonter mon haut pour prouver que je porte une jupe longue et pas une abaya, non merci ! »

À ces mots, son amie Sarah, qui avait l’habitude de porter des abayas au lycée, opine du chef, et ajoute : « Comme tout le monde, je vais à l’école pour m’instruire, pas pour montrer que je suis musulmane ou propager ma religion. » L’adolescente de 17 ans, musulmane, portait souvent cette tenue « quand elle était pressée le matin » et « n’avait rien à se mettre »« C’est une tenue pas chère, et confortable comme un pyjama ! », s’enthousiasme-t-elle. La jeune fille raconte avoir commencé à porter ce vêtement en seconde, après l’avoir découvert « au marché »« parce que c’était à la mode ». Un argument souvent revenu dans la bouche des interviewées, et qui n’est pas incompatible avec des justifications liées à la religion.

Une indignation partagée face à la polémique

Pour cette adolescente adepte de tous types de vêtements amples, « des jeans aux jupes longues », la religion n’est pas entrée en ligne de compte. Elle se dit d’ailleurs « assez mal à l’aise » face à la polémique suscitée par cette tenue et s’insurge : « En France, on parle de liberté, mais on nous dit toujours que nos vêtements sont trop courts, trop longs ou trop larges. Je pense être assez adulte pour m’habiller comme je veux ! »

A-t-elle été insuffisamment expliquée ? Ou ces jeunes filles sont-elles confrontées – chez elles ou sur les réseaux sociaux – à des discours contradictoires sur le sujet ? Manifestement, l’interdiction décidée par le ministère de l’éducation nationale au nom de la loi sur le port des signes religieux n’est pas comprise par une partie des intéressées. Maryam, en première STMG, partage l’indignation de Sarah. « Je vis mal cette polémique, j’ai l’impression que c’est de l’islamophobie parce que quand ce sont les chapeaux des bouddhistes ou les croix chrétiennes, personne ne dit rien », regrette la musulmane au voile turquoise, dont le large sourire s’efface un instant.

L’interdiction, du port de l’abaya au lycée « complique » aussi sa vie pour des raisons plus prosaïques. « Je dois refaire toute ma garde-robe. Dans ce cas-là, autant remettre en place l’uniforme », fustige-t-elle.

Pour elle non plus, l’abaya n’a « rien de religieux »« J’en ai porté dès mes 6 ou 7 ans, bien avant de me voiler », raconte l’adolescente de 16 ans, qui souligne que le terme abaya signifie « vêtement » ou « robe » en arabe. Pourtant, dans son discours aussi, normes morales religieuses et considérations pratiques se mêlent quand elle décrit les avantages de cette tenue. « Ce vêtement ample permet de cacher ses formes, pour se préserver du regard des gens, c’est important, qu’on soit musulman ou pas. Et puis si on a des complexes sur ses bras ou ses jambes, ça permet de les cacher », estime-t-elle.

L’association Action droits des musulmans a tenté de démontrer, devant le juge administratif, mardi 5 septembre, que l’interdiction des abayas à l’école est discriminatoire et porte atteinte aux libertés fondamentales. La décision sera rendue ce jeudi 7 septembre.

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(1) Le prénom a été modifié.