Le pape veut redynamiser le Synode

Les pères synodaux poursuivent leur troisième et dernière semaine de travaux sur la famille.

18/10/15 - 17 H 56
 
 
Discours du pape François, samedi 17 octobre, pour le 50e anniversaire du synode.

ALBERTO PIZZOLI/AFP

Discours du pape François, samedi 17 octobre, pour le 50e anniversaire du synode.
Avec cet article

Dans une intervention remarquée samedi 17 octobre, le pape François a déplacé l’enjeu de l’assemblée, l’inscrivant dans un processus, vers une « Église synodale » à l’écoute des fidèles et plus décentralisée.

Son propos survient au moment où les participants au Synode s’interrogent sur son issue.

Et si le document important du Synode était déjà sorti ? C’est l’impression qui émergeait après le discours du pape François samedi 17 octobre sur sa vision d’une « Église synodale », qualifiée d’emblée d’historique par plusieurs personnes présentes. « Il valait la peine de venir à Rome au moins pour vivre ce jour », confiait un père synodal épuisé par des heures de discussions laborieuses.

Alors que les 270 évêques reprennent lundi 19 octobre leur troisième et dernière semaine de travaux, prévenant d’avance que leur document final serait modeste, le pape – sans dire un mot à propos de la famille – a montré que l’enjeu de cette assemblée portait aussi sur le Synode en lui-même, comme processus d’avenir pour l’Église.

 « Vraiment, le chemin de la synodalité est le chemin que Dieu attend de l’Église au troisième millénaire », a-t-il déclaré dans son allocution, qui clôturait le 50e  anniversaire de cette institution, comme pour la redynamiser.

La construction même du discours exprime cette vision, qui part du peuple et s’appuie sur son sensus fidei, un sens de la foi jugé « infaillible ». D’où le besoin pour toute l’Église, le pape compris, de se mettre en mode d’écoute : « Peuple fidèle, collège épiscopal, évêque de Rome : l’un à l’écoute des autres et tous à l’écoute de l’Esprit Saint. » 

A tous les échelons de la synodalité

Le discours, suivi par les participants au Synode, valorise tous les lieux et échelons où se joue la synodalité. Du conseil pastoral au conseil presbytéral et au synode diocésain. Sans oublier les conférences épiscopales, définies comme « instances intermédiaires de la collégialité » et où « il y a encore du travail »

Comme dans son exhortation Evangelii gaudium, l’ancien archevêque de Buenos Aires a réaffirmé « la nécessité de procéder à une salutaire décentralisation ». Son appel conforte ceux qui au Synode, à l’instar du cardinal allemand Reinhard Marx, défendent cet échelon pour traiter de situations conjugales plus répandues sous certaines latitudes qu’ailleurs.

Mais cette solution ne convainc pas une large frange de pères synodaux. Ils contestent que les conférences épiscopales, organes surtout administratifs, reçoivent plus de responsabilité. Plus largement, c’est toute la dynamique synodale et le risque qu’elle n’entraîne une remise en cause de l’enseignement de l’Église sur la famille qui sont ouvertement redoutés.

Préserver l’héritage de Jean-Paul II

Les deux premières semaines de la présente assemblée ont vu s’affirmer maintes mises en garde doctrinales, de la part de cardinaux comme d’auditeurs laïcs.

Avec la crainte qu’à toucher la doctrine sans le dire ne soit dilapidé l’héritage encore récent de Jean-Paul II sur la famille, souvent cité. « Le synode ne peut oublier saint Jean-Paul II et son enseignement dans Familiaris Consortio (exhortation de 1984, NDLR). Le Synode n’a aucun pouvoir sur l’enseignement », a prévenu le cardinal Jorge Savino, archevêque de Caracas, dans une interview, inquiet alors que « tant de forces cherchent à détruire la famille ». 

Beaucoup de pères synodaux de pays du Sud voient d’un mauvais œil une « décadence » de l’Occident. Avec ceux d’Europe de l’Est, qui ont résisté pendant des décennies au communisme, et ceux d’outre- Atlantique, confrontés à une législation à marche forcée sur l’avortement et le mariage homosexuel, ils redoutent qu’à s’ouvrir à des situations complexes, l’Église ne rende les armes devant les évolutions d’une société relativiste. À l’inverse, d’autres au Synode se découragent devant ces raidissements et ce qu’ils considèrent comme une sorte de fondamentalisme.

Une possible troisième voie

 « On a l’impression parfois qu’il n’y a aucune place entre deux extrêmes quand, en fait, il existe un immense espace à toute sorte de créativité pastorale », relève toutefois l’évêque australien, Mgr Mark Coleridge, sur son blog : « On doit penser hors cadre ». Sans se laisser enfermer par l’Instrumentum laboris, le document de travail de départ jugé très imparfait par les pères synodaux et qu’ils s’emploient à réécrire.

Ce texte et le discours du pape du 17 octobre invitant, précisément, à confronter des points de vue différents, ont suscité déjà une réflexion créative sur une possible « troisième voie ». « Certains arrivent avec une ”marotte” : rappeler à chaque paragraphe que l’Église est là pour enseigner, observe un père synodal. Ces points d’insistance demeurent mais les conversations en groupes de travail permettent d’élargir le panorama, de voir que la vision différente de mon voisin peut être tout à fait légitime, qu’on peut tenir des choses qui paraissent contradictoires. La synodalité, cela s’apprend et les évêques sont en train de l’apprendre », se réjouit-il, comme en écho au discours du pape.

L’enjeu du regard de l’Eglise sur la société

Si la question de l’accès aux sacrements des divorcés remariés reste très présente dans les interventions en plénière, c’est parce qu’elle cristallise l’enjeu principal des débats, le rapport de l’Église à la société contemporaine.

 > Lire aussi Cardinal Marx : interdire les divorcés remariés de sacrements est-il « juste » ?  

Un regard jugé encore trop négatif, par beaucoup. « Le concile Vatican II a porté un regard bienveillant sur le monde. Mais certaines menaces pour la famille n’existaient pas à l’époque, aussi nous faut-il reprendre ce travail », estime Mgr Jean-Paul Vesco, dominicain et évêque d’Oran.

Ainsi, l’idée selon laquelle Dieu serait déjà à l’œuvre dans des situations irrégulières – ce que les théologiens appellent « la pédagogie divine » – et que l’Église pourrait apprécier déjà ce qu’il y a là de beau, « fait son chemin magnifiquement », d’après un participant. En particulier parmi les évêques italiens, français, britanniques ou allemands.

Accepter un temps de maturation

Ces derniers, avec les poids lourds théologiques que représentent les cardinaux Gerhard Müller et Walter Kasper, étaient attendus comme les protagonistes principaux d’un conflit sur la doctrine. Mais au contraire, une véritable alchimie s’est réalisée au sein de leur groupe de travail. À l’unanimité, ils ont adopté la semaine dernière un texte remarqué, qui cherche à réconcilier doctrine et pastorale, vérité et miséricorde. En recourant à saint Thomas d’Aquin pour rappeler qu’on ne peut traiter toutes les situations particulières à partir d’un principe général. Une approche qui s’apparente à celle des pères du concile Vatican II : s’éclairer d’éléments oubliés de la Tradition pour trouver une réponse nouvelle aux questions actuelles.

Avec d’autres évêques ces derniers jours, les Allemands ont aussi fait valoir que la doctrine de l’Église sur le mariage s’est développée historiquement par étapes. « On ne peut pas parler d’une tradition constante bimillénaire ! » a rappelé le bénédictin allemand Jeremias Schröder à ceux qui ont une vision trop monolithique de la doctrine catholique.

Aussi, argumente le groupe germanophone, « comme la doctrine de l’Église avait besoin de temps, ainsi la pastorale doit concéder à l’homme d’aujourd’hui un parcours de maturation et ne pas agir selon le principe du ‘‘tout ou rien’’».

Un besoin d’approfondissement théologique

De telles ouvertures théoriques peuvent-elles aboutir à des pistes concrètes ? « Certainement, le succès du groupe allemand nous donne de l’espoir. Mais aura-t-on le même chez la majorité des pères ? » s’interroge l’un d’eux alors que les évêques poursuivent les 19 et 20 octobre les discussions les plus ardues sur des propositions pastorales à formuler.

D’une part, plusieurs campent résolument sur l’idée qu’en dehors du mariage sacramentel, toute autre forme d’union est peccamineuse. D’autre part, même un accord au Synode pour un regard plus positif porté sur les unions irrégulières n’est pas gage de nouvelles pratiques pastorales, ni d’un accès aux sacrements.

Devant le besoin d’approfondissement théologique que soulèvent ces débats, des évêques plaident pour la mise sur pied d’un comité d’experts à la suite de leur assemblée. Personne ne s’attend à ce que celle-ci livre un grand texte. « Nous allons recueillir nos réflexions et les transmettre humblement au pape, qui pourra éventuellement s’en servir », prévient Mgr Victor Fernandez, l’un des dix rédacteurs du document final. Pour ce théologien argentin, très proche du pape François, « l’essentiel n’est pas un texte, que peu liront, mais que nous repartions dans nos diocèses en transmettant cette dynamique synodale. » 

Céline Hoyeau et Sébastien Maillard (à Rome)