Midem : l’Afrique, "nouvelle frontière"
de l’industrie musicale

 

Yemi Alade au Midem, Cannes, 2018 © S.Champeaux/Image & Co

Après quatre jours de conférences et de concerts, le Midem, le Marché du disque et de l’édition musicale, se termine ce vendredi 8 juin, à Cannes, dans le sud de la France. Environ 4 400 participants venus de 80 pays se sont inscrits au plus grand salon professionnel du secteur. Cette année, le Midem s’est résolument tourné vers l’Afrique, un continent où les chiffres de l’industrie musicale donnent le vertige… mais où les chanteurs peinent à vivre de leur art.

L’étude a circulé pendant la tournée que le Midem a organisée en Côte d’Ivoire, en Afrique du Sud, au Nigéria et au Congo-Brazzaville quelques semaines avant le salon de Cannes. Dans la région Afrique-Moyen Orient, les revenus de l’écoute de musique en ligne (le "streaming") pourraient passer de 50 à 90 millions de dollars d’ici trois ans. Dans les couloirs du Palais des festivals de Cannes, au bord de la Méditerranée, ces chiffres étaient sur toutes les lèvres.

Cette croissance exponentielle s’explique facilement : une population jeune, un fort taux de pénétration du téléphone portable… et l’amélioration de la couverture des réseaux mobiles 4G. Bien sûr, le marché de la musique en Afrique, ne pèse encore que 2% des recettes mondiales du secteur, rappelle Alexandre Deniot, le directeur du Midem, "mais c’est un volcan prêt à entrer en éruption".

Sony et Universal en force

Les majors ne s’y sont pas trompé. En l’espace de deux ans, Sony et Universal ont ouvert un bureau à Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Les deux multinationales sont venues en force au Midem, avec leurs artistes maison. Pour José Da Silva, patron de Sony Music Côte d’Ivoire, il est temps d’offrir aux chanteuses et chanteurs du continent "les mêmes conditions qu’en Europe". À la "villa Sony" d’Abidjan, comme dans celle, voisine, d’Universal, les groupes sont accueillis en résidence et pris en charge, le temps d’écrire, de composer et d’enregistrer. "Il faut sortir du modèle où l’artiste africain s’épuisait à courir tout le temps, d’un concert à l’autre, parce que c’était le seul moyen d’être payé", soutient José Da Silva, fort de son expérience passée à la tête de Lusafrica, où il a découvert –entre autres- Cesaria Evora.

Olivier Nusse, le PDG d’Universal Music France, ne dit pas autre chose. Juste avant l’ouverture du Midem, le groupe a annoncé la signature d’un partenariat avec la plate-forme ivoirienne WAW, spécialisée dans la musique en ligne. "C’est très encourageant, assure Olivier Nusse. Nous allons développer des solutions vertueuses pour que les artistes puissent vivre de leur production".

Ce partenariat est présenté comme un atout supplémentaire parmi les "leviers" dont dispose déjà le groupe Bolloré, propriétaire d’Universal, en Afrique : la chaîne Canal + et les salles de cinéma et de concerts baptisées Canal Olympia. "Plutôt que de faire un clip standard, pourquoi ne pas tourner une série ? s’interroge Olivier Nusse. Et pourquoi ne pas faire financer cette série par des marques du groupe Havas (également propriété de Bolloré, NDLR) ? Et ensuite, emmener l’artiste en tournée dans les salles Canal Olympia ? Il n’y a pas d’autre groupe de divertissement dans le monde qui propose des solutions intégrées à ce niveau", conclut le PDG d’Universal Music France.

Défendre les droits d’auteur

Tout l’enjeu est de monétiser le marché de la musique en Afrique, pour reprendre l’expression des maisons de disque. Autrement dit : le rendre rentable… sans oublier les créateurs. Or, beaucoup d’artistes ignorent toujours totalement leurs droits. C’est pour leur éviter d’être spoliés que la Sacem, la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique, s’est associée au Midem cette année, notamment dans la tournée africaine qui a précédé le rendez-vous cannois.

Le Béninois Akotchaye Okio, responsable du développement Afrique de la SACEM (un poste entièrement nouveau), témoigne : "Même les professionnels les plus aguerris ne sont pas toujours conscients que les droits d’auteurs s’appliquent au monde digital. Quand une chanson passe à la radio, elle génère des revenus. Quand on l’écoute sur Internet, c’est pareil. Pour beaucoup, c’est une révélation." La SACEM compte plus de 150 000 sociétaires de 166 nationalités. Au Midem, l’enjeu était aussi de convaincre les artistes présents d’adhérer, pour toucher les droits d’auteur qui leur reviennent.

Spotify, Deezer… et la GongBox


Black Coffee. ©S.Champeaux/Image & Co


Pour que les musiciens voient la couleur de leur argent, certains tentent d’inventer un nouveau modèle. C’est le cas de Black Coffee. Le plus grand DJ et producteur sud-africain, habitué des plages d’Ibiza, a fait un crochet par la Croisette où il a annoncé le lancement, dans les semaines qui viennent, de sa propre plate-forme sur Internet. La GongBox –c’est son nom- ambitionne de proposer "de la musique, mais aussi des clips, des documentaires, des films", détaille Black Coffee. "Nous disons aux musiciens : vous pouvez vous passer d’un agrégateur, il y a moins d’intermédiaires et vous touchez plus d’argent !"

Depuis qu’il s’est lancé dans la musique, Black Coffee, 42 ans, originaire d’un township près de Durban, s’est toujours méfié des multinationales. Il reste attaché au label indépendant qu’il a fondé, Soulistic, avec des arguments politiques : "Depuis des décennies, l’Afrique a été victime de la colonisation, même dans les affaires. Les multinationales européennes ou américaines se créent des opportunités pour elles-mêmes. Il n’y a rien de mal à vouloir gagner de l’argent, mais ça ne profite qu’à elles."

Avec la GongBox, Black Coffee s’attaque à des concurrents qui ont pour nom Spotify, Deezer, Google Play ou Apple Music, déjà présents sur le marché sud-africain. Un marché où, selon les derniers chiffres de l’IFPI, la Fédération internationale de l’industrie phonographique, les revenus de la musique en ligne sont passés de 1,6 à 6,9 millions d’euros entre 2015 et 2016. Soit une progression de 334 % en un an.

Site officiel du Midem