Dans le journal Le Monde du 30 juillet l'article suivant

 

Au Mali, une journée de vote presque normale pour la présidentielle

Le 29 juillet, 8 millions d’électeurs ont été appelés aux urnes pour le premier tour d’une élection calme dans la capitale, mais entachée d’incidents dans le centre et le nord du pays.

Dépouillement des urnes à Bamako, le 29 juillet.

Sur le couvercle de l’urne, les colliers de serrage en plastique jaune font de la résistance. Ils finissent par sauter un à un après plusieurs coups de lame de cutter, sous le regard vigilant de la dizaine de délégués des partis présents dans la salle de classe. Il est 18 heures, ce 29 juillet. Dans le bureau de vote no 3 du lycée Mamadou-Sarr, dans la commune 4 de Bamako, assesseurs, président de bureau, délégués et observateurs sont dans la pénombre. Comme dans la plupart des 23 041 bureaux de vote malien, c’est à la lampe tempête qu’il a fallu faire le dépouillement. Il n’en sera que plus fastidieux. Une heure trente pour 252 bulletins.

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Dos au tableau noir, l’assesseur de l’opposition sort les bulletins un à un en annonçant les noms des candidats. Derrière lui, un membre de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) aligne les croix à la craie, en face des noms des candidats. Au premier rang, Moussa Sow, délégué du Rassemblement pour le Mali (RPM), le parti du président et candidat Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), fait ses propres comptes, à coups de traits maladroitement tracés au stylo bille sur un cahier grand carreaux. C’est la première fois que ce jeune Malien assiste à un dépouillement. « Je voulais être délégué pour ne pas qu’il y ait de fraude lors de cette élection, car nous avons l’habitude de voir cela chez nous. Mais là, je suis très content, je n’ai pas constaté d’irrégularités. Que le meilleur gagne », chuchote-t-il. Dans ce bureau, les représentants des rivaux sont fair-play. Mais dans la salle d’à côté, les cris de protestation résonnent depuis l’ouverture de l’urne. A chaque bureau sa réalité.

Machine à compiler

 

Dans le no 3, les deux candidats présentés comme favoris pendant la campagne électorale, Soumaïla Cissé de l’Union pour la République et la démocratie (URD) et IBK sont les deux premiers. Sur le tableau noir, le récapitulatif des voix attire les petites mains des 24 candidats de l’élection. Ils glissent leur tête à travers la double porte en ferraille de la salle, récupèrent les chiffres pour les donner à leurs représentants, postés à l’entrée de l’école. A chaque candidat favori son pupitre. Immédiatement après la clôture du premier tour, ceux qui en ont les moyens ont lancé leur propre machine à compiler les résultats. Moins pour se délester de la longue attente de la proclamation des résultats provisoires par la CENI (le 3 août dernier délai) que pour avoir le maximum de temps afin de préparer la potentielle bataille d’après : le second tour, prévu le 12 août.

Alors en cette fin de premier tour, les deux favoris se hasardent aux pronostics, en faveur de leur poulain. « Vous verrez que la soif d’alternance s’est sans doute traduite dans les urnes », a déclaré Tiébilé Dramé, le directeur de campagne de M. Cissé, à 21 h 30. Quelques heures avant, c’était à Bocary Tréta, le directeur de campagne d’IBK, d’évoquer une « mobilisation exceptionnelle » en faveur de son candidat. « Nous attendons avec une grande sérénité les résultats », a-t-il déclaré, avant de s’estimer « satisfait » des conditions d’organisation du scrutin.

Urnes volées

Si Bamako a voté dans le calme, dans le nord et le centre du Mali des incidents sécuritaires ont pourtant perturbé le scrutin. Selon un communiqué du ministère de l’administration territoriale publié le 29 au soir, le vote n’a pas pu avoir lieu dans 644 bureaux de vote, en raison « d’attaques à main armée et autres violences ». Plus de 80 % de ces bureaux se situent dans le centre du pays, une zone qui voit se multiplier les attaques terroristes et les conflits intercommunautaires depuis plus d’un an et demi. Toujours selon le ministère, dans 3 988 autres bureaux du nord et du centre, les électeurs ont pu voter mais le processus a été perturbé. Près d’un bureau de vote malien sur cinq a vu le déroulé du vote perturbé ou annulé, en raison de l’insécurité dans le nord et le centre. Ces deux zones concentrent 36,6 % du corps électoral.

Saccage de bureaux de vote et 18 urnes volées dans la région de Tombouctou, tirs d’intimidation à Hombori et Drimbé et agression d’agents électoraux à Gandamia et Ourennema dans la région de Mopti, dans le centre du Mali… Au moins une quinzaine d’incidents sécuritaires ont été répertoriés. A Aguelhok, dans la région de Kidal, ce sont une dizaine d’obus qui se sont écrasés, dont certains à proximité du camp de la Minusma, la mission des Nations unies au Mali, et d’un centre de vote, sans causer de morts ni de blessés.

 

M. Dramé déplore « le fait que l’Etat a[it] failli à sa mission de sécurisation du scrutin. En dépit du déploiement annoncé de plus de 30 000 agents de forces de sécurité, nous exhortons les autorités à en tirer toutes les conséquences ». Son homologue rival note quant à lui une amélioration de la situation, comparé au dernier scrutin, organisé il y a deux ans. « Le scrutin présidentiel de 2018 a été organisé dans des localités ou cela n’avait pas été possible, lors des élections communales de 2016. Ce qui est une grande progression, a déclaré M. Tréta. Bien sûr, je reconnais que nous sommes dans un pays qui cherche à sortir d’une crise profonde. Çà et là, nous avons noté quelques rebondissements, quelques cas de violences, mais qui sont à mon sens des cas isolés. »