[Chronique] Qui veut terrasser la lutte sénégalaise ?
Crime de lèse-sénégalitude ? Certains voudraient interdire la lutte avec frappe, après le K.-O., ce week-end, du champion Eumeu Sène…
Selon plusieurs médias sénégalais et internautes, c’est vers la case « hôpital » que le « Roi des Arènes » sortant aurait quitté le stade Léopold Sédar Senghor de Dakar, ce dimanche 28 juillet. Terrassé par deux violents uppercuts de Modou Lô, après 7 minutes de combat, le lutteur Eumeu Sène devrait même la vie à l’arbitre du jour. Ce dernier aurait empêché le vaincu d’avaler sa langue.
Si la star de ce sport de combat a rapidement démenti la gravité présumée de son état de santé, il n’a pas déminé la polémique qui entoure la violence de cette discipline. En évoquant un possible recours auprès du Comité national de gestion de la lutte, pour un coup irrégulier à la gorge, le champion de l’école Tay Shinger a même dénoncé certaines dérives. Et des observateurs de réclamer des amendements du règlement concernant certains coups ou le port de protections comme le protège-dents.
Une fabrication du colonialisme ?
Peut-on vraiment mettre à l’index la « làmb » (lutte en wolof) dans un pays où ce sport traditionnel semble incarner l’identité nationale ? C’est parce que la lutte sénégalaise a largement intégré les principes de la boxe qu’elle est appelée « lutte avec frappe » et qu’elle apparaît comme spécifique au Sénégal et à la Gambie. Ses dimensions culturelles, dramaturgiques, folkloriques, commerciales et même mystiques tendraient à la rendre intouchable. Pourtant, la boîte de Pandore de la polémique a été ouverte bien avant le combat de ce dimanche…
Pour Souleymane Bachir Diagne, la lutte avec frappe est la création d’un « colon particulièrement terrifiant »
Depuis des années, le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne titille les tenants de la tradition en démontant la théorie de l’authenticité sénégalaise de ce sport. Pour ce professeur de l’université Columbia, la lutte avec frappe est la création d’un « colon particulièrement terrifiant qui aimait beaucoup faire se battre entre eux les Africains » et qui trouvait que la lutte classique devait être « épicée ».
Depuis le combat du week-end dernier, une conférence de Diagne a refait surface, prestation enregistrée en juin 2017 à l’École polytechnique de Thiès. Pas de chance : sur la vidéo, le philosophe s’attaque à l’authenticité de l’autre pilier du pays de la Teranga : le tieboudienne. Il rappelle que « manger du riz est une fabrication du colonialisme ». À quelle « sénégalitude » se vouer ?…