- Monsieur Lutgen, pouvez-vous nous expliquer comment vous avez commencé à vous intéresser et à orienter vos travaux sur artemisia annua ?
A ses débuts l'ONG IFBV s'est surtout consacrée à l'aide culturelle et sociale apportée aux minorités indigènes des pays latino-américains : au Chili, en Bolivie, en Argentine, au Pérou, au Brésil, au Guatemala, en Colombie. Son action s'est ensuite étendue à des activités semblables au Kenya et en Inde, en Palestine (plaine de jeux et musicothérapie)
Mais se rendant compte que les maladies dysentériques étaient un des problèmes majeurs dans ces pays : 17 000 morts par jour, elle a élaboré un programme autour de l'eau potable : programmes de sensibilisation à la santé et l'hygiène dans une trentaine de classes du Nord et une vingtaine dans les classes de pays du Sud. Dans les pays du Sud le programme fut surtout basé sur la potabilisation de l'eau par la méthode SODIS.
Puis nous avons découvert , il y a six ans, lors d'un voyage en Suisse une plante qu'on utilisait avec grande efficacité dans plusieurs pays Africains pour lutter contre le paludisme : l'artemisia annua. Les premières semences que nous avons achetées à prix d'or dans le Wyoming et en Allemagne nous ont donné de cuisants échecs. Mais nous avons trouvé ACP-Paludisme à Besançon et leurs semences nous ont permis de belles plantations à Luxembourg et d'amener la tisane à nos partenaires pour les convaincre de son efficacité.
- Expliquez-nous un peu plus en détail le combat que vous menez, mais aussi les défis à relever et les barrières qui se dressent sur votre chemin
Il s'est avéré que les semences de Luxembourg n'étaient pas adaptées à l'Afrique. Après moult tâtonnements nous avons maintenant développé une réserve de semences d'origine tropicale et adaptées à l'Afrique et avons des plantations à petite ou grande échelle dans une douzaine de pays. Forts des échecs et des réussites nous avons élaboré une procédure semis-récolte qui est disponible à la demande. Les semences et quelques kilos de tisane sont également disponibles pour des partenaires potentiels qui nous donnent les garanties de fiabilité. Nous avons eu trop de partenaires enthousiastes mais incompétents ou négligents.
- Quelles sont les victoires déjà acquises ? Votre plus belle expérience
Les victoires sont nombreuses et nous considérons que c’est une chance de pouvoir travailler dans ce domaine où les fruits du travail sont si abondants, au point de vue humanitaire et scientifique.
L’expérience personnelle la plus enthousiasmante était de découvrir le fantastique pouvoir stérilisant de la tisane d’artemisia annua sur l’eau.
Et puis les découvertes récentes des Africains eux-mêmes que la tisane est prophylactique. En Gambie et en Ouganda le paludisme est en voie d’éradication dans des communautés entières par consommation de la tisane. Au Kenya 80 écoles plantent la tisane, les élèves sont immunisés contre le paludisme et le typhus, leur absentéisme a chuté de 30% à presque 0 et les économies en frais médicaux sont considérables
- Par quels moyens essayez vous d’atteindre vos objectifs ?
Essentiellement par le partenariat avec les universités du Sud qui nous surprennent par leur esprit d’innovation, leur savoir-faire et leur engagement pour les populations démunies de leurs pays.
En Europe notre ONG travaille avec des partenaires solides comme IDAY, Fundacion Rosa Alfieri, ICEI, Maisha, Médecins d’Afrique…
- L’avis des scientifiques ou des institutions de la santé sur votre démarche
Les scientifiques des universités du Sud, les Ministères de la Santé de plusieurs pays sont enthousiastes, mais les gros organismes internationaux qui ont basé toute leur stratégie sur la grosse artillerie : les molécules chimiques, les insecticides, les moustiquaires, les vaccins, voient d’un mauvais œil l’intrusion sur ce qu’ils considèrent comme un champ de bataille réservé.
- Pensez-vous que l’artemisia annua est la solution contre le paludisme, en particulier en Afrique ?
Le spectre de la résistance du paludisme aux molécules chimiques hante l'Afrique.
De fait, toutes les molécules dérivées de produits naturels : chloroquine, sulfadoxine, pyrimethamine, amodiaquine, mefloquine ont après une décennie ou deux conduit à de graves résistances et le paludisme continue à tuer des centaines de milliers de personnes. Le dernier espoir s'appuyait sur les dérivés chimiques de l'artemisinine extraite de la plante artemisia annua : artesunate, artemether combinés à l'amodiaquine ou la luméfantrine (appelées ACT). Mais depuis cinq ans on constate également pour ces derniers des résistances massives, surtout en Asie. Un autre problème majeur des ACT est leur prix prohibitif pour les Africains, l'inondation du marché par des contrefaçons, l'instabilité des pilules sous climat tropical. Tout ceci explique que seulement 3% des Africains ont accès aux ACT selon le rapport OMS 2008.
Aussi le retour aux herbes médicinales dont certaines sont bien connues pour leurs effets antipaludiques reste pour beaucoup d'Africains la seule solution viable. Elles représentent d'ailleurs encore aujourd'hui le seul remède pour 80% de la population mondiale. Dans de nombreuses universités africaines la recherche se concentre aujourd'hui sur ces plantes pour mieux les comprendre et les utiliser.
Artemisia annua est devenue une des plus prometteuses. Tisane redécouverte par les Chinois pour aider les Vietcong , et avec quelle efficacité ! Propagée par des associations ou des missions, la même efficacité a été démontrée en Afrique sur des milliers de personnes et dans des essais cliniques. On trouve des plantations dans une douzaine de pays. L’effet prophylactique représente un énorme espoir donc, un vaccin en fait. Et contrairement aux graves effets toxiques de toutes les molécules pharmaceutiques citées plus haut, la tisane d'artemisia annua n'a jamais présenté le moindre effet secondaire, ni en deux mille ans causé la moindre résistance. A côté de l'artemisinine elle contient de nombreuses autres molécules qui s'épaulent. C'est une vraie polythérapie.
Vous trouverez plus d’informations sur nos sites www.iwerliewen.org et www.maladiestropicales.org
Et vous pouvez avoir des semences et des échantillons de tisane, soit à Luxembourg, soit chez nos partenaires africains. Soutenez-les !
Pierre Lutgen
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