Le père joseph Clochard, administrateur du duocèse de Dori

 La guerre au Nord Mali vue de l’autre  côté de la frontière burkinabé

 

La situation des réfugiés dans le diocèse de Dori

 

Alors que les Etats de l’Afrique de l’Ouest essaient de trouver une solution à la crise malienne, les réfugiés de la partie Nord ne cessent d’arriver aux frontières de notre diocèse dans la paroisse de Gorom Gorom et de Djibo.
En charge de l’administration du diocèse de Dori depuis la fin décembre 2011, je suis en bonne place pour suivre l’évolution de la situation des réfugiés maliens chez nous, je voudrais vous en donner des nouvelles.

 Le diocèse de Dori couvre toute la Région du Sahel au Burkina Faso. Elle comprend 4 provinces : le Soum (Djibo), le Séno (Dori), l’Oudalan (Gorom Gorom) et le Yaaga (Sebba). Chaque chef-lieu de Province est une paroisse, Aribinda en plus dans le Soum, la seule qui soit tenue par les Missionnaires d’Afrique.

La situation des réfugiésréfugiés dans l'Oudalan

Depuis la déclaration de l’indépendance de l’ASAWAD, et la prise de pouvoir par les différentes factions salafistes (Aqmi, MIJAO, Ansar dine) dans les grands centres du Nord Mali, Kidal, Tombouctou, Gao, de nombreux maliens de ces régions ont fui à la hâte comme ont du le faire nos confrères Missionnaires d’Afrique et les religieuses de Gao. Certains sont partis en voiture, d’autres en camions ou en charrette à ânes, en chameau ou à pied pour les plus proches de la frontière avec leurs animaux pour tous ceux qui l’ont pu…

En fait, ce n’est pas la première fois qu’ils fuyaient puisqu’aux premières révoltes des Touaregs, en 1994 et en 1998, ils avaient été accueillis dans des camps , spécialement dans le Soum et dans l’Oudalan. Beaucoup donc ont rejoint ces différents lieux, mais en bien plus grand nombre. Selon les chiffres du HCR au 27 juillet 12, ils étaient dans l’Oudalan : 47590 et dans le Soum : 14506, tout en sachant que beaucoup n’ont pu se faire enregistrer, installés soit dans les sites prévus par le gouvernement pour les recevoir, soit hors de ces sites. Voici donc la situation actuelle :

camp de réfugiés* Dans le Soum, les sites de Mentao Nord, Sud et Central, et de Damba
Ces sites sont faciles d’accès et sont bien organisés par le HCR qui coordonne l’aide de tous les ONG qui interviennent auprès des réfugiés.

* Dans l’Oudalan, les camps de Fererio et de Gandafabou, Déou.
Ce sont les plus proches de la frontière, ce qui fait que beaucoup sont venus avec leurs animaux. Ces camps sont difficiles d’accès à cause des dunes de sables, avec en plus la saison des pluies qui est là.

Tous ceux qui sont venus se réfugier se regroupent par région d’origine et par clan, selon leurs coutumes ancestrales Touaregs pour la grande majorité des éleveurs traditionnels…. Mais tous ne sont pas touaregs, il y a aussi des arabes, des peuls, des métis arabo-peuls. D’autres étaient commerçants dont les magasins ont été pillés. Il y a aussi des fonctionnaires maliens, maires, instituteurs, infirmiers, gens d’ONG, originaires  de ces villes et villages… Il y a donc une grande diversité, même au niveau de la volonté politique. Certains sont sympathisants de l’ASAWAD (MNLA), surtout chez les purs touaregs avec leurs « serviteurs » (esclaves ?) bellas. Ils sont au moins pour une nouvelle négociation dans le sens de la reconnaissance de leurs droits… D’autres, au contraire, sont pleinement pour un Mali un et indivisible.

Certains réfugiés viennent aussi de la région du Sud du Mali (Bamako, Mopti…) Eux ont fui par peur des représailles.

Mais sur les sites, les réfugiés se sont organisés de façon magistrale pour une vie entre eux. On cite en exemple le site de Gandafabou qui a une organisation élue démocratiquement avec comité des responsables, chefs de clan. Le chef du site en est un homme remarquable qui était le responsable de l’ONG malienne de la Sœur Anne Marie Salomon dans la région de Gao : Mr Ag Mohammed Muphtah. Voici comment il a organisé la gestion des réfugiés qui sont arrivés anarchiquement mais qui se sont regroupés par affinités parentales ou de région ou d’intérêt. « Chaque groupuscule a élu un responsable crédible et accepté de tous pour ensuite élire un comité exécutif au niveau des hommes. Parallèlement, la même démarche a  été faite au niveau des femmes qui ont leur comité pour s’occuper des problèmes relatifs aux femmes et à l’enfance. De même aussi pour les jeunes adolescents avec leurs activités  spécifiques. En plus, a été créé un bureau avec plusieurs commissions par exemple pour aider la CONAREF dans le coté matériel du camp  et la Croix Rouge dans  la distribution des vivres. Ils se réunissent tous les jours sous une grande tente ou chacun exprime ses camp de réfugiéspréoccupations et on trouve une solution à l’amiable. Les représentants des communautés locales burkinabé sont aussi conviés, spécialement pour les questions de terrains… et tout va très bien ! »

En résumé, la situation des réfugiés maliens dans notre région du Sahel, donc dans nos paroisses de Djibo et Gorom en majorité, au Soum et en Oudalan, est vraiment préoccupante. Quelques 55000 personnes à aider pour la nourriture, l’eau, le bois de chauffe, l’hygiène, la santé, n’est pas une petite affaire. A cela vient s’ajouter la situation de pénurie proche de la famine cette année dans tout le Burkina et spécialement au Nord où sont venus se réfugier les maliens.

L’aide apportée

Elle est énorme ! Je ne peux pas tout citer ce qui s’y fait. On peut le trouver sur internet en tapant « HCR au Sahel burkinabé. »

Dès le début de l’arrivée des réfugiés, le gouvernement burkinabé a mis en place la CONAREF (Commission Nationale pour les Réfugiés) chargée de coordonner toutes les aides et de représenter l’administration burkinabé dans les différents camps.

La CONAREF travaille avec le HCR qui a ses bureaux à Ouagadougou, avec décentralisation à Dori et Djibo. Le HCR, grosse et lente machine d’intervention, mais qui  a l’expérience dans la matière, coordonne tous les acteurs qui veulent bien aider. Ils sont nombreux.

Le PAM, pour les vivres. (plus 1,108 tonnes de vivres ont été distribués par le PAM depuis l’arrivée des réfugiés dans le Sahel )

OXFAM pour l’hygiène, (l’eau, les douches et  les latrines principalement)

Le PLAN Burkina pour l’éducation, l’installatioréfugiésn des camps…

Medecins de Monde et Médecins sans frontière pour la santé,

Le CRS (Catholik Relief Service) 

La Croix Rouge Burkinabé,

Et bien d’autres de bonne volonté…

Chaque mercredi, la coordination HCR organise une rencontre avec tous les acteurs locaux ou internationaux qui interviennent sur les sites. 

Notre engagement au niveau de l’Eglise diocésaine.

Il se fait dans le cadre de l’OCADES-Caritas du diocèse de Dori qui est sur place et agit directement avec son secteur Solidarité et Développement.

Le CRS américain s’appuie sur l’OCADES Dori pour la réalisation de ses projets, de même que l’OCADES – Caritas nationale et même internationale, spécialement un partenaire privilégié de Dori, la Caritas autrichienne d’Insbruck

Déjà plusieurs distributions de vivres ont pu être faites dans l’urgence, alors que le HCR était en train d’enregistrer les réfugiés arrivant avec du matériel (des kits de cuisine et couvertures... )

Une aide a été apportée sur le site de Damba pour les femmes allaitantes et les enfants dénutris par la Caritas Dori au nom du CRS.

La Caritas Innsbruck a recruté un spécialiste de l’urgence (il est resté un mois à l’évêché avec nous) pour venir étudier la situation des sites et leurs besoins non couverts par les autres organismes avec l’aide la Caritas-OCADES Dori. Ils ont retenu un projet qui devrait porter sur l’environnement : le bois de chauffe avec récupération du bois mort, que l’on trouve facilement dans les brousses éloignées et aussi, marquages des arbres à proximité des sites. En même temps, ils prévoient un renforcement des capacités des CREN de Gorom-Gorom et Djibo, tenus par des sœurs.

Les pères Camilliens qui ont une organisation pour l’urgence en cas de catastrophes : CTF (Camillian Task Force) sont venus dans les sites pour écouter les réfugiés. Ils vont s’engager à partir des Pères Camilliens de Ouagadougou en confiant les réalisations à OCADES Dori. Ils veulent œuvrer dans le sens de l’eau (forage), santé (olphtalmo-lunetterie) et intervention chirurgicale, hygiène (toilettes).

Les agents de l’OCADES Dori participent aux réunions de concertation de HCR chaque mercredi avec tous les autres acteurs.

Mon expérience personnelle

Elle est beaucoup d’accompagnement de tout ce travail d’aide aux réfugiés en allant sur les sites lors des distributions de vivres par CRS-Caritas, aussi avec les Pères Camilliens, ou encore avec des journalistes venus au nom de la Caritas autrichienne pour faire ensuite une campagne dans la presse autrichienne. Chaque fois, j’étais présenté comme le responsable du diocèse catholique de Dori.

Pour être retourné plusieurs fois sur  les mêmes sites, j’ai pu créer des liens avec plusieurs responsables réfugiés… Ces contacts d’ailleurs sont très faciles et ils me voient vraiment comme un « religieux », demandant de faire « des bénédictions ».

Il se trouve aussi que j’avais un ami touareg de la première vague de J. Clochard et un réfugié1998, Mohammed Ag, lui-même marabout instruit,  originaire de la région de Gao  et qui était resté sur le site de Djibo avec sa famille et ses animaux (chameaux, vaches, moutons,). Avant la crise, à chaque visite, l’accueil était digne de celui d’Abraham pour ses hôtes mystérieux en genèse 18 ! Par lui, depuis la crise, il est facile de parler avec ceux de son clan qui sont venus le rejoindre. La communication est facilitée parce que beaucoup de responsables très bien le français. J’ai eu la surprise que ceux de son clan connaissaient une certaine sœur Anne Marie Salomon qui a vécu avec eux et a fondé une association pour les aider… Ce que les sœurs et les pères de Gao ont semé n’est pas perdu ! « Au milieu de vous, le Royaume est là ! »

Ce dont ils se plaignent le plus, ce n’est pas de l’accueil qui leur a été fait au Burkina, ils e, sont très reconnaissant, mais la façon de faire des agents de l’HCR et autres organismes qui ne tiennent pas compte de leurs coutumes surtout les Touaregs (mélange hommes-femmes, distribution de la nourriture par famille « de visu » pour que chacun gagne alors que le système des « serviteurs » bellas existent encore…) A ce niveau, ils ne se sentent pas respecter.

Le gouvernement burkinabé demande un regroupement des réfugiés éparpillés dans la nature du Sahel dans des sites préétablis pour la sécurité (peur de l’infiltration, très facile à faire). Pour cela le HCR avec les autres organismes doivent enregistrer en phase 2, donc avec cartes d’identité de réfugié… aussi pour qu’il n’y ait pas trop de fraude dans la distribution des vivres et autres matériels…

Il y aussi le risque de conflits avec les paysans locaux qui veulent semer leurs champs, qui sont dans la famine alors qu’on distribue la nourriture aux étrangers, et qui aussi doivent s’occuper de leurs propres troupeaux.

Par ailleurs, il y a beaucoup d’inquiétude dans le cœur de chacun de ses réfugiés. Tous n’ont pas pu fuir dans la première menaces si bien qu’ils ont laissé des parents, les anciens souvent, des enfants ou jeunes pour s’occuper des troupeaux ou autres affaires, d’autres qui avaient des affaires ont tout perdu…

Beaucoup de jeunes ou adultes sont là en chômage ne sachant que faire dans les camps et ils ne pensent qu’à retourner à la maison… Il y a tout un savoir faire de compétences qui sont là inutilisées… Comment faire dans les projets des organismes pour intégrer ces compétences (instituteurs, infirmiers, oculistes ou autres), d’autant plus que les services de l’Etat Burkinabé de santé, par exemple, viennent quelques heures par jour et pas tous les jours pour assurer une permanence sur le site… certaines ONG s’en préoccupent, par exemple pour continuer à enseigner les enfants écoliers en recrutant des enseignants maliens.

Bien sûr, il y a des plaintes sur les rations de nourriture qui ne peut suffire à chacun dans les familles, mais bien plus encore, l’aide apportée ne comprend le lait, le thé, ou suffisamment de sucre, ce qui était essentiel pour eux.

Pour une pastorale de proximité avec ces réfugiés, j’invite les équipes paroissiales à être présentes à certaines activités pour que le contact se fasse au-delà des aides matériels…

C’est ainsi que le HCR a invité la chanteuse Barbara Hendricks à venir visiter le centre de Damba, au Soum, comme ambassadrice de la paix et faire ainsi la publicité pour demander l’aide pour les réfugiés. Avec le curé de la paroisse, deux sœurs et deux séminaristes, nous avons répondu à l’appel officiellement comme présence de la Communauté catholique. Nous étions là avec le gouverneur de la Région du Sahel et les autorités du HCR que je commence à connaître personnellement pour avoir participer à leur réunion de coordination.

Je rends d’ailleurs hommage à leur professionnalisme dans ce travail d’aide d’urgence aux réfugiés.

J’ai été surpris agréablement que chaque fois que j’ai accompagné la Caritas OCADES, les réfugiés étaient très élogieux pour leur action auprès d’eux.

En conclusion

Voici donc quelques nouvelles à propos de la situation actuelle des réfugiés. Elle est sérieuse et elle fait partie de notre pastorale.

J’ai demandé au spécialiste de l’urgence envoyé par Caritas Innsbruck de me donner quelques réflexions sur la situation actuelle. Les voici.

Défis régionaux dans la région du Sahel.

Echange de points de vue des gens travaillant sur la zone pour l’aide aux réfugiés.

-          Problèmes ethniques avec couleurs de peau: populations autochtones minoritaires par rapport aux réfugiés maliens, en majorité pasteurs comme les locaux  ce qui entraîne un partage des ressources naturelles déjà limitées et un écosystème fragile avec aussi le bois domestique limité,

-          Problèmes religieux entre eux, avec leurs différentes tendances islamiques…

-          Problèmes sécuritaires à moyen terme étant donné le nombre important de jeunes en âge de combattre qui peuvent entraîner une désatellisation de la zone,

-          Au sein des réfugiés, des trafiquants, des coupeurs de route, des djihadistes pourraient facilement s’infiltrer et seraient difficiles à gérer

-          La capacité du gouvernement burkinabé d’absorber un tel nombre du réfugiés : 61000 au jour actuel (25/05/2012) La population a doublé en 2 mois, comment gérer ?

-          Au plan politique, risque d’implosion de la sous région, si le problème du Mali ne se règle pas ses problèmes internes.

En conclusion, la crise malienne fait que cette situation risque de durer 2 ou 3 ans : on peut risquer une « somalisation » du Mali. Différentes tribus se battant entre elles, dans un état de non droits.

Pour l’instant, dans notre région du Sahel, on ne peut pas parler de danger au plan sécuritaire. Cette zone est bien sécurisée par l’armée burkinabé et aussi par la présence de soldats français (j’en ai vu) et on dit aussi américains qui seraient là pour renforcer. Ils ont davantage de moyens. Mais si la guerre se déclare, il est possible que la situation devienne plus difficile aussi dans notre sahel burkinabé…

Alors, Nous confions cette situation à votre prière. Un jeune élève maître réfugié sur le site de Mentao centre avait pris une belle image. Il disait : nous sommes au fond du puits et nous n’avons pas de puisette pour sortir l’eau de la paix. » La foi en notre Dieu qui nous a tous créés ne serait-elle pas une bonne puisette si ensemble chacun selon notre foi, nous osons le prier de nous donner sa paix ? Prions donc ensemble pour la paix dans la région !

Père Joseph Clochard, administrateur diocésain de  Dori