Coronavirus : pourquoi les économies dépendantes du pétrole doivent se préparer au pire

| Par
Un ouvrier sur le chantier de construction de la raffinerie Dankote, en construction  dans le district Ibeju Lekki à Lagos, Nigeria.

En l’absence d’accord entre Moscou et Riyad le 6 mars, le monde du pétrole s’est réveillé ce 9 mars dans une situation de crise majeure. De lourdes conséquences sont à prévoir pour les pays producteurs les plus dépendants de l’or noir, comme l’Algérie, analyse Thierry Bros, associate Energy Project, Davis Center for Russian and Eurasian Studies à Harvard University et professeur à Sciences Po Paris.

L’aval d’Alexander Novak, ministre russe de l’Énergie, était espéré. Du moins par les membres de l’Opep historique, Arabie saoudite en tête, qui se sont réunis à compter du 6 mars dans le cadre de l’Opep+, à Vienne (Autriche) pour tenter d’élaborer une stratégie pour contrer la chute des cours du baril de pétrole, qui dévissent depuis l’épidémie de coronavirus.

L’idée proposée par l’Arabie saoudite, premier producteur mondial de brut, est de réduire de 1,5 million de barils par jour l’extraction de pétrole dans le monde pour peser positivement sur les cours. Une stratégie impliquant que la Russie baisse elle-même sa production de quelque 500 000 barils/jour.

En l’absence d’accord, et face à la position ferme de la Russie, les pays membres de l’Opep, dont les sept Africains (Congo, Nigeria, Angola, Algérie, Libye, Gabon et Guinée équatoriale), se retrouvent engagés dans une guerre des prix vertigineuse, dont seuls les plus solides se sortiront.

Jeune Afrique : Comment expliquer la tournure des négociations en cours de l’Opep+ autour de la réduction des volumes de production de pétrole ?

Thierry Bros : Il y avait de fortes chances que ce genre de blocage se produise. Historiquement, au-delà de l’Opep+ qui est une formation récente sur deux ou trois ans, il n’y a, a priori, jamais eu d’accord entre la Russie et les pays de l’Opep.

À cause d’une erreur stratégique, sur la période 2012-2014, où la Russie a pratiqué des prix élevés du gaz en Europe après Fukushima, les États-Unis sont entrés dans la concurrence. Les projets d’investissements se sont développés dans le gaz de schiste américain, annulant les bénéfices d’une rente gazière pour les Russes à long terme.

Cette fois-ci, la Russie n’a pas voulu refaire la même erreur et a préféré lancer une guerre des prix pétroliers. Aujourd’hui les choses se sont accélérées avec la peur des marchés liée au coronavirus.

corona1
Thierry Bros, spécialiste Énergie. © Thierry Bros


Pourquoi les producteurs pétroliers doivent-ils absolument se mettre d’accord ?

À l’instar des économies saoudienne et russe qui vivent principalement de leur rente pétrolière, faire barrage à la production des autres (États-Unis notamment) est essentiel. Et ceci d’autant plus dans un contexte de transition énergétique, où ni la société civile ni les pouvoirs publics ne veulent plus entendre parler des énergies fossiles.

Si les intérêts convergent, alors pourquoi la Russie s’oppose-t-elle à la baisse de production ?

Tout ceci est un peu du théâtre ! Comme le rappelle Sadek Boussena, ancien ministre algérien de l’Énergie et des Mines et président de l’Opep de 1990 à 1991, quand vous êtes l’un des plus gros propriétaire de réserves pétrolières, comme le sont l’Arabie saoudite ou la Russie, vous n’avez pas intérêt à déclarer ce que vous allez faire ces vingt-cinq prochaines années. Il faut laisser jouer l’incertitude.

Ce que les pays producteurs ne savaient pas, c’est à quel moment ils seraient confrontés à cette guerre des prix, en l’occurrence provoquée par l’épidémie de coronavirus. Toutefois, ils savaient déjà la stratégie à adopter en cas de crise : ne pas laisser la place aux concurrents.

Que va-t-il se passer ?

À mon avis, il n’y aura pas d’accord. Les prix vont continuer de baisser fortement. Mais Russie comme Arabie saoudite vont bien résister en gérant leur rente pétrolière grâce à leur fonds de stabilisation.

corona2

Les marchés boursiers asiatiques ont plongé dans lundi 9 mars après que les prix mondiaux du pétrole
aient plongé dans les inquiétudes, une économie mondiale affaiblie par une épidémie de coronavirus
pourrait être inondé de trop de brut. © Eugene Hoshiko/AP/SIPA

Quels sont les pays les plus fragiles, notamment parmi les producteurs africains ?

Pour de nombreux pays membres, les conséquences vont être très difficiles. En Afrique, la Libye va souffrir, tout comme le Nigeria, et tous les États où il faut se mettre d’accord sur la rente pétrolière.

Pour l’Algérie, les choses sont très compliquées car le pays n’a pas de politique énergétique pro-business. Long serpent de mer, la loi hydrocarbures n’a toujours pas été réformée. Ajoutés les problèmes de sécurité, de corruption, et on arrive à des conditions défavorables à l’investissement privé.

Les sociétés pétrolières ont, par ailleurs, vu des milliards de dollars de leur valorisation être effacées ce matin, perdant de 10 % à 15 %. Cela va donc limiter les investissements.

À terme, jusqu’où cette crise peut-elle aller ?

Je vois le prix du baril en dessous des 20 dollars (le baril de Brent a plongé de 25 % à 33,90 dollars sur le marché asiatique ce lundi matin, NDLR), très vite.

La seule chose pour limiter l’instabilité budgétaire est de regarder si les États disposent d’un fonds souverain. Or, très peu de pays en disposent en Afrique.

Les premières conséquences économiques seront ainsi visibles dans les prochaines semaines pour ces pays pétroliers. Les conséquences sociales, elles, vont se faire ressentir dans les prochains trimestres.