Guinée : de l’électricité dans l’air à Kankan, le fief d’Alpha Condé
Le président guinéen, à Kankan, le 22 novembre 2019. © Présidence
À trois mois de l’élection présidentielle à laquelle Alpha Condé devrait, selon toute vraisemblance, se présenter pour un nouveau mandat, le RPG-Arc-en-Ciel, son parti, est confronté à un accès de fièvre en plein cœur de son fief historique. Depuis plusieurs semaines, des manifestants battent le pavé à Kankan pour protester contre les délestages, avec des slogans pour le moins surprenants dans cette ville considérée comme le fief d’Alpha Condé : « Pas de courant, pas de troisième mandat ! » Ou encore : « Pas de courant, pas de sommeil ! »
Ces marches, jusque-là pacifiques, ont pris une tournure violente mardi 21 juillet, et la manifestation a dégénéré en heurts entre manifestants et forces de l’ordre. Débordés, les services de sécurité ont bénéficié de l’appui de l’armée.
Les meneurs de la mobilisation affirment que six personnes ont été blessées. Le chef des urgences de l’hôpital régional de Kankan, le Dr Yaraboye Koïvogui, affirme pour sa part à Jeune Afrique que ses services « n’ont reçu qu’un policier blessé à l’œil qui a été redirigé en ophtalmologie ».
En manque d’énergie
Une rue de Kankan, capitale de la Haute-Guinée, en juillet 2014 (image d'illustration). © Creative Commons / Flickr / Maarten van der Bent
Derrière cette montée de fièvre, il y a un mouvement qui, depuis plusieurs semaines, réclame la construction d’un barrage hydroélectrique pour alimenter la Haute-Guinée, confrontée à des délestages récurrents. Les barrages de Kaléta et de Souapiti, en raison de leur position géographique, bénéficient en effet principalement aux régions de la Basse et de la Moyenne-Guinée.
Pour parer au plus pressé, le président Alpha Condé a décidé fin 2019 la mise en place de huit groupes électrogènes, mais leur installation effective a tardé. « Depuis au moins dix jours, tout le monde a de l’électricité. Six heures de fourniture quotidienne sont assurées à Kankan », relève Souleymane Camara, directeur régional de l’antenne d’Électricité de Guinée (EDG), la société nationale d’énergie, située à Kankan. Il précise par ailleurs que la revendication des manifestants, qui réclament la construction d’un nouveau barrage, « ne relève pas de l’EDG ».
« Chaque fois qu’on nous a envoyé des groupes électrogènes, ils se sont éteints après un à deux mois de fonctionnement. On nous dit qu’ils sont tombés en panne. C’est pourquoi, cette fois-ci, nous demandons la construction d’un barrage hydroélectrique ou d’une centrale solaire. Nous voulons une solution durable », plaide Mamadou Kaba, porte-parole du mouvement.
Un barrage à 400 millions de dollars
Un tel projet existe pourtant bel et bien. À Kogbèdou, à 75 km de Kankan, la future construction d’une centrale hydroélectrique de 105 mégawatts sur le Milo – un affluent du fleuve Niger qui traverse Kankan – a été confiée à la Guinéenne de terrassement routier (Guiter) d’Ansoumane Kaba, le roi du bitume dans le pays, qui est aussi un fils du terroir. Lancé en 2015, ce chantier met cependant du temps à sortir de terre. Les études de faisabilité et d’impact environnemental ont été bouclées, des voies d’accès au site ouvertes. Mais les travaux tardent à démarrer vraiment.
Financé selon le système dit « BOT » (pour « Build, Operate and Transfer »), l’accord prévoit que l’entreprise aura trente ans pour amortir son investissement, avant que la centrale ne retombe dans l’escarcelle de l’État.
« Mobiliser 400 millions de dollars ne se fait pas en six mois ou même en une année », insiste Mory Kaba, chargé de communication de Guiter. « On a eu plusieurs réunions avec la Banque islamique de développement, le bailleur principal, qui a déjà donné son accord de principe, continue-t-il. La BID nous a recommandé le norvégien SN Power, spécialiste dans l’aménagement des barrages hydroélectriques. »
L’avancée du projet est également retardée par une mésentente entre les deux parties sur le prix de vente du kilowattheure qui sera produit par la future centrale. « Tant que toutes les nuances ne seront pas levées et que tout n’est pas complètement validé, le bailleur sera réticent et on ne pourra pas avancer, explique Mory Kaba. Il faut que l’État, notre tutelle, crée toutes les conditions pour rassurer le partenaire », plaide le porte-parole de la Guiter.
Pas de quoi convaincre les protestataires, qui conditionnent l’arrêt de leur mouvement à la reprise effective des travaux du futur barrage de Kogbèdou. Cependant, pour tenter d’apaiser les tensions, une médiation conduite par les sages de Kankan a été amorcée.