« Tout simplement noir » : un film afrocompatible ?
Présenté comme la comédie de l’été, fort d’une distribution réunissant notamment Lilian Thuram, Claudia Tagbo, Omar Sy, Amelle Chahbi ou Soprano, le film de Jean-Pascal Zadi est désormais projeté sur le continent. Mais qu’y a-t-il d’africain dans « Tout simplement noir » ?
Terminés, les films « au revoir la France » ! Pour découvrir les « phénomènes » cinématographiques occidentaux, l’Afrique n’a plus besoin d’attendre les pellicules esquintées qui ne lui parvenaient que lorsque la carrière des productions amorties s’essoufflait en Europe. Avec le réseau de cinémas Canal Olympia, les sorties en salle sont quasiment simultanées.
Défouloir des Français black-blancs-beurs déconfinés et vrai-faux écho du mouvement Black Lives Matter, l’autoproclamée « comédie de l’été », Tout simplement noir, a débarqué sur le continent africain. Si le film parle de peaux d’ébène et a été réalisé par l’Ivoiro-descendant de Seine-Saint-Denis Jean-Pascal Zadi, le public africain peut-il se l’approprier ?
Objet cinématographique non identifié
Mais quel est donc cet OCNI, objet cinématographique non identifié ? Il est plus simple de dire ce qu’il n’est pas. Même s’il évoque l’organisation d’une manifestation parisienne destinée à dénoncer la situation des Noirs dans la société française, ce « documenteur » (faux documentaire) n’est pas un support de propagande pour les marches qui réclament actuellement un meilleur traitement judiciaire de l’affaire Adama Traoré.
L’œuvre n’est pas davantage l’allégorie d’une communauté unie – encore moins uniforme -, chacun des intervenants développant, en autocaricature, sa propre vision de la négritude à la française : le gardien du temple Lilian Thuram, le « sombre » aux cheveux trop lisses Vikash Dhorasoo, le métis influençable Éric Judor, le Blanc plus noir que noir Mathieu Kassovitz… et même, en casting fictif, le polémiste pestiféré Dieudonné Mbala Mbala.
Ce film est encore moins le biopic anticipé d’un activiste prétendument parenté à Angela Davis. Dans son propre rôle de rappeur-comédien raté, le réalisateur se révèle un opportuniste à l’idéologie aussi malléable que ridicule.
Le personnage principal enfonce les portes ouvertes des clichés sur l’Afrique
Et l’Afrique dans tout ça ? Au fil de quelques scènes, les personnalités noires revendiquent plus ou moins ce « certificat d’africanité » que la cause antiraciste aime parfois brandir comme un visa vers la légitimité militante. Prénommé « Saïd », le rappeur d’origine comorienne Soprano est-il plus proche du monde arabo-musulman que de l’Afrique noire ? Le réalisateur martiniquais Lucien Jean-Baptiste doit-il revendiquer des racines africaines ou accuser les Africains d’avoir vendu ses ancêtres ?
Après avoir milité pour la restitution d’un monument africain, le personnage principal du film enfonce les portes ouvertes des clichés sur l’Afrique : tout Noir qui pourrait lui rendre service devient instantanément son « tonton » dont il convient d’identifier les origines exactes ; toute Noire énergique mérite une petite leçon sur l’usage ostentatoire de ses avantages fessiers ; toute Africaine expatriée ambitionnerait d’avoir un amoureux caucasien ; toute racine africaine charrierait une tradition familiale qui confinerait aux alliances consanguines…
Parenté à plaisanterie
Mais si Tout simplement noir déterre des clichés à peine enfouis, c’est pour mieux les déminer, ou plutôt les dynamiter. Le film est d’abord une farce satirique qui devrait remercier l’ancestrale parenté à plaisanterie et son don des clashs codifiés. Par le truchement des migrations subméditerranéennes, peut-être cette dernière a-t-elle infusé cet humour, à la moulinette du Jamel Comedy Club. Et si le film venait à être incompris par ceux qui manquent de second degré, peut-être Jean-Pascal Zadi aurait-il atteint un objectif à peine formulé : pour justifier sa tiédeur jalouse à l’égard d’Omar Sy – Français d’origines sénégalaise et mauritanienne -, le personnage principal déclare qu’il est louche d’être noir et classé au podium des personnalités préférées des Français.
Un Noir de France se devrait d’être, par essence, quelqu’un qui dérange. Peut-être le film dérangera-t-il aussi les Noirs, et en particulier certains Africains…