Assemblées annuelles de la BAD : les quatre « dossiers chauds » du prochain mandat
Akinwumi Adesina, le 26 août 2020. © AfDB Group
Akinwumi Adesina, seul candidat, devrait être reconduit à la tête de la BAD lors des assemblées annuelles qui s’ouvrent ce 26 août. Décryptage des quatre défis que devra relever l’institution.
« Ce sont des temps extraordinaires », souligne Akinwumi Adesina, le patron de la Banque africaine de développement (BAD) depuis mai 2015, dans sa vidéo de bienvenue à la 55e assemblée annuelle de l’institution, qui s’ouvre ce 26 août.
Pour cause de pandémie de coronavirus, ce rendez-vous phare de la banque panafricaine – qui devrait se conclure le 27 août, sauf coup de théâtre, par l’annonce de la reconduction à son poste du Nigérian, seul candidat à sa propre succession – se tient intégralement de façon virtuelle. Une première dans l’histoire de la banque depuis sa création en 1963.
Le contexte dans lequel se déroule cette réunion est lui aussi inédit alors que la crise, sanitaire et financière, provoquée par le Covid-19 met à rude épreuve les États et économies africaines. « Jamais la nécessité de renforcer la résilience économique, sociale, climatique et environnementale n’a été plus critique pour soutenir la croissance et le développement », poursuit Akinwumi Adesina dans son intervention, mettant en avant « l’allègement fiscal indispensable » apporté par la banque aux pays membres.
Après la levée de trois milliards de dollars via une « obligation sociale » en mars, la BAD a mis en place en avril un mécanisme de réponse rapide au coronavirus, qui a mobilisé 2,29 milliards de dollars au 20 août, plus d’un milliard supplémentaire devant être décaissé via le Fonds africain de développement.
Augmentation de dernière minute des droits de vote du Nigeria
Mais ce n’est pas tout. Alors que la réélection d’Adesina à un nouveau mandant de cinq ans semblait aisée, tout a en effet basculé en début d’année. Un groupe de lanceurs d’alerte internes à la banque a en fait dénoncé une « mauvaise gouvernance» au sein du groupe, pointant expressément son président et déclenchant une grave crise.
Bien que blanchi par le comité d’éthique de la BAD, puis – notamment sous la pression des États-unis – par une « revue indépendante », qui a validé le travail du comité d’éthique, Akinwumi Adesina, dont l’autoritarisme fait par ailleurs grincer des dents, est sorti fragilisé de l’affaire, tout comme l’institution, plus que jamais divisée entre partisans et critiques de son patron.
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Voilà le cadre dans lequel vont se tenir les échanges entre les gouverneurs de la BAD, à savoir les ministres des Finances, de l’Économie ou les gouverneurs de Banque centrale des 54 pays africains membres et des 27 autres membres non issus du continent.
Alors que pour être élu, un candidat doit obtenir une double majorité, auprès des actionnaires africains et auprès de l’ensemble des actionnaires, le Nigeria entend sécuriser la reconduction de son compatriote : le pays a fait partie des premiers à régler sa contribution à l’augmentation de capital votée en 2019, doublant presque ses droits de vote (passés de 8,5 % au 31 mars à 16,8 % au 31 juillet) pour devenir le premier actionnaire de la banque, distançant les numéro deux et trois, l’Allemagne (de 8,2 % à 7,4 %) et les États-Unis (de 6 % à 5,4 %), et tous les actionnaires africains.
Au-delà des rapports de force politiques et quelle que soit l’issue de la future élection, l’institution devra gérer quatre dossiers cruciaux pour assurer son futur.
- Solder l’affaire Adesina
Si les conclusions de la « revue indépendante », rendues publiques le 27 juillet, ont rejoint sur l’intégralité des points le rapport du comité d’éthique, l’affaire Adesina ne semble pas pour autant terminée.
Début août, les lanceurs d’alerte, dont l’identité n’est pas connue, sont revenus à la charge. Un avocat se présentant comme leur conseil, Rishi Gulati, spécialiste en droit des organisations internationales et inscrit au barreau de l’État australien de Victoria, a envoyé un courrier à l’Ivoirienne Nialé Kaba, présidente du bureau du conseil des gouverneurs de la BAD, pour pointer les manquements du travail de la « revue indépendante » et du comité d’éthique.
Dans ce document d’une cinquantaine de pages, dont Jeune Afrique a pris connaissance, il reprend les arguments développés depuis le début de l’année par les lanceurs d’alerte et demande à nouveau une enquête indépendante et approfondie, seul moyen, selon ses clients, de régler l’affaire.
Cette insistance, sans nouveaux éléments, souligne les limites de la gestion interne des dossiers de gouvernance, malgré l’arsenal déjà prévues dans les statuts de la BAD. Et l’affaire Adesina a révélé l’existence – sinon de failles – du moins d’un malaise quant aux capacités d’action du comité d’éthique, limité statutairement, par exemple, à simple examen préliminaire des accusations des lanceurs d’alerte.
« Nous respectons le fait que le conseiller juridique général est l’expert en matière légale pour toute la banque. Cependant, les membres du comité recommandent très fortement aux gouverneurs le recours à une expertise légale indépendante s’ils attendent un rapport pertinent de l’examen préliminaire », a ainsi souligné Takuji Yano, administrateur japonais et président du comité d’éthique de la BAD, dans une communication transmise le 11 mai au conseil d’administration et à laquelle Jeune Afrique a eu accès.
Toutefois, les pressions des actionnaires non africains semblent s’être calmées. « Nous étions parmi les premiers à plaider pour une enquête indépendante. Nous sommes satisfaits du fait qu’elle ait eu lieu et de la manière dont elle a été menée, bien qu’il y ait toujours des améliorations possibles », assure ainsi le représentant d’un actionnaire étranger.
- Réaliser l’augmentation de capital
Après la gouvernance, la santé financière de la banque est l’autre point clé. Malgré la confirmation en juin et juillet de la notation AAA de la BAD par les agences S&P et Fitch, l’institution est sous pression.
« Alors que le ratio prudentiel interne de la banque est très proche de la limite fixée à 100 %, sa capacité à continuer à décaisser à un rythme rapide est étroitement liée au versement par les actionnaires de leur part de capital libéré », a souligné Fitch en juillet. Autrement dit, la banque doit absolument réussir l’augmentation de capital – la plus importante de son histoire – approuvée en octobre 2019 si elle veut conserver sa capacité d’endettement sur les marchés internationaux et son rythme de décaissement, qui a fortement augmenté depuis 2016.
Or, selon nos informations, seuls quatre pays ont déjà réglé leur contribution financière, ce qui laisse planer une incertitude – accrue par le contexte de pandémie – sur la réalisation en temps et en heure de l’augmentation de capital.
Pour certains observateurs, la notation AAA de la BAD n’est pas non plus gravée dans le marbre. Déterminée par le capital appelable (mobilisable si besoin) de la banque, elle est liée à la notation des pays eux-mêmes (notés A- ou mieux), donc principalement des actionnaires non-africains.
« Si l’un d’entre eux décidait de ne pas participer à l’augmentation de capital ou si certains voyaient leur notation baisser en raison de la pandémie, la note de la BAD serait automatiquement dégradée, compromettant sa capacité d’endettement sur les marchés financiers », juge un membre européen de l’institution. Pour lui, plus globalement, le coronavirus joue comme un « révélateur de la politique de prêt inconsciente menée ces dernières années par la BAD », n’ayant prévu aucun tampon pour absorber une éventuelle crise.
- Réduire le fossé avec les actionnaires non-africains
C’est un secret de polichinelle : durant le mandat d’Adesina, les relations entre actionnaires régionaux (africains) et non-régionaux (étrangers) se sont tendues. Pour preuve, la frilosité de ces derniers (entrés au capital de la banque en 1982) à s’exprimer sur la BAD. Sur la quinzaine de représentants non-africains sollicités par Jeune Afrique, la majorité n’a pas donné suite, quelques-uns ont décliné vu « la sensibilité du sujet » et les derniers se sont exprimés mais uniquement sous couvert d’anonymat.
Et si certains n’ont pas hésité à exprimé leur franc soutien à l’institution et à son président, une majorité a pointé des sujets de crispations, allant du choix des priorités à la transparence, en passant par le style du président Adesina. Ce mouvement s’explique par le renforcement du camp africain, actionnaire majoritaire de la banque (à 60 %), Adesina ayant réussi à rassembler ses membres longtemps divisés. La candidature à sa réélection a d’ailleurs reçu le soutien de l’Union africaine.
Si la primauté des actionnaires Africains à la BAD n’est remise en question par personne, les actionnaires non-régionaux – et certains Africains – tiennent à rappeler une donnée trop souvent oubliée : la BAD a besoin de ces actionnaires étrangers, qui lui permettent d’obtenir une notation AAA et donc de s’endetter.
D’autre part, ce sont également eux qui apportent la majorité du capital utilisable : les États-Unis, le Japon, le Canada, l’Allemagne et la France contribuent au budget de la banque dans une proportion bien supérieure à leur droits de vote.
« Une BAD purement africaine ne serait pas viable et ne pourrait pas assumer le rôle qu’elle joue aujourd’hui auprès des pays africains », résume une source continentale. « Sans le capital non régional, l’institution serait, au mieux, l’équivalent de la BOAD », lâche, plus directement, un interlocuteur étranger. Des déclarations qui traduisent le besoin de renouer une relation plus apaisée.
- Recruter et pourvoir des postes
C’est un autre point sensible à la BAD : la faiblesse de la gestion des ressources humaines et la difficulté à pérenniser des compétences maison. Pendant le mandat d’Adesina, plusieurs voix se sont élevées pour critiquer le recours excessif aux consultants – 683 contrats à la fin de 2018. En 2017, le taux de vacance de postes était de 24 %.
Si ce taux était tombé à 14 % en 2018, et devait atteindre 10 % en 2019, selon les prévisions de la BAD, ces données globales traduisent mal la réalité observée au siège d’Abidjan et dans les autres bureaux de l’institution : la multiplication des postes de cadres et directeurs non pourvus ou occupés par des intérimaires – parfois de façon prolongée.
Si les explications divergent – de la difficulté de trouver des candidats qualifiés et disponibles à la durée du processus de validation des recrutements, en passant la « docilité » supposée d’employés intérimaires par rapport à des salariés installés – la BAD a besoin de stabilité pour mener à bien ses projets.