Présidentielle en Guinée : qui séduira l’électorat de Sidya Touré et Dadis Camara ?
Des partisans d'Alpha Condé, le dimanche 11 octobre 2020, bloque l'accès de Kankan,
fief du président sortant, à la caravane de campagne de Cellou Dalein Diallo. © Sadak Souici/AP/SIPA
L’un a décidé de boycotter la présidentielle du 18 octobre, l’autre est toujours en exil au Burkina Faso. Leurs électeurs, eux, font l’objet de toutes les convoitises. Pour qui voteront-ils ? Décryptage.
En faisant escale à Koulé, sur la route qui l’emmenait à Nzérékoré où l’attendaient ses militants pour un meeting, le 7 octobre, Cellou Dalein Diallo avait une idée bien précise en tête. Le candidat de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) n’est pas resté longtemps dans le village d’origine de Moussa Dadis Camara. Juste le temps d’installer des hauts parleurs sur le toit de son 4×4 et de lancer une promesse.
« Je vais autoriser le retour de Dadis dès mon arrivée au pouvoir. Et je vais engager une politique de réconciliation qui passera nécessairement par la vérité, la justice et le pardon », a-t-il annoncé dans ce fief de l’ancien chef de la junte qui s’était emparée du pouvoir à la mort de Lansana Conté, en décembre 2008.
Exilé à Ouagadougou depuis dix ans, l’ancien putschiste, poursuivi pour son implication présumée dans le massacre du 28 septembre 2009, a exprimé sa volonté de rentrer dans son pays et d’y faire face à ses juges.
La déclaration de Cellou Dalein Diallo, qui avait déjà noué une alliance qualifiée de contre-nature avec Dadis Camara en 2015, est d’autant plus surprenante que lui-même a été victime des violences qui se sont abattues sur les victimes du massacre du 28 septembre. Ce jour-là, le candidat de l’UFDG avait été à l’origine de l’organisation de la manifestation politique qui avait été réprimée dans le sang. Au moins 157 personnes avaient été tuées, et des dizaines de femmes violées par les forces de sécurité.
Opération séduction en Guinée forestière
Si Dadis Camara a pris soin ces derniers mois de ne pas s’exprimer publiquement sur les sujets politiques, il a néanmoins suivi de près l’évolution de la situation. Comme le révélait Jeune Afrique en août, il consulte régulièrement le ministre de l’Hydraulique, Papa Koly Kourouma, ou encore Idrissa Chérif, le président de l’Union pour le changement de Guinée (UCG), qui a été son conseiller et son ministre de la Communication en 2008. Deux hommes qui, comme lui, sont originaires de Guinée forestière. Depuis, sollicité par plusieurs médias guinéens, il a refusé de prendre position.
Face à cette absence de consigne de vote, c’est sur son électorat que se focalise l’attention des principaux candidats. Lors de sa tournée en Guinée forestière, Cellou Dalein Diallo a d’ailleurs pris soin de s’entourer de plusieurs caciques de la région, réunis au sein de l’Alliance nationale pour l’alternance démocratique (ANAD). Parmi eux, Edouard Zotomou Kpogomou, dont la candidature a été retoquée par la Cour constitutionnelle et qui a décidé de rallier le candidat UFDG.
Etienne Soropogui, leader du mouvement Nos valeurs communes et fils du terroir, qui était aux côtés du candidat UFDG pendant cette tournée, affirme : « Beaucoup de promesses ont été faites, mais elles n’ont pas été tenues. L’une d’elles est le retour du capitaine Dadis. » Conclusion de Soropogui : « Aujourd’hui, la consigne de vote est de sanctionner Alpha Condé dans les urnes. »
Alpha Condé n’est pas en reste. Dimanche 11 octobre, le président sortant, candidat à un troisième mandat, était à Nzérékoré, première étape d’une série de meetings dans le sud-est du pays. Dans un discours très offensif à l’égard de son principal opposant, qu’il n’a pas nommé, il a accusé l’ancien Premier ministre de Lansana Conté d’avoir « mis le pays à terre ». Assurant qu’il avait, à son arrivée au pouvoir en 2010, trouvé un pays « sans État » dans lequel il n’y avait « pas d’administration, pas de forces de sécurité », il a ensuite défendu son bilan et lancé un appel « à la jeunesse qui n’a pas volé, qui n’a pas pillé, qui comprend le nouveau monde ».
Pas un mot, en revanche, sur Dadis Camara. Parmi les proches d’Alpha Condé, on veut cependant croire que les partisans de Dadis Camara sont d’ores et déjà acquis au président. « Tous ceux qui soutiennent le capitaine Dadis sont avec notre candidat », assure ainsi Papa Koly Kourouma. Autrefois proche de l’exilé, il est aujourd’hui allié du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-Ciel), le parti au pouvoir.
C’est lui qui a organisé le meeting de Condé à Nzérékoré qui, pour l’occasion, a décidé de se rendre sur le terrain en personne alors qu’il privilégiait jusque-là les meetings en visioconférence. Et pour Papa Koly Kourouma, la foule qui s’est rassemblée pour écouter le président-candidat était au moins aussi importante que celle qui avait participé, quelques jours plus tôt, au meeting de Cellou Dalein Diallo. « C’était un accueil sans précédent, sans commune mesure », assure-t-il.
Les rapports entre Alpha Condé et Dadis Camara sont complexes. Dans le souci de ménager l’électorat forestier, et en particulier les Guézés, proche de ce dernier, le président guinéen ne semble en effet pas pressé de voir le procès sur le massacre du 28 septembre s’ouvrir en Guinée. Plus de onze ans après les faits, et alors que l’instruction est officiellement bouclée depuis 2017, le procès n’a toujours pas démarré, malgré les promesses des autorités guinéennes. En septembre 2019, Mamadou Lamine Fofana, ministre de la Justice, avait ainsi assuré devant le Conseil des droits de l’homme des nations unies, à Genève, que le procès s’ouvrirait en juin 2020. Les audiences, lors desquelles devaient comparaître 13 accusés devant les juges du tribunal de première instance de Dixinn, n’ont finalement pas eu lieu.
Par ailleurs, selon des confidences de familiers du palais présidentiel à Jeune Afrique, dans son exil burkinabè, Dadis Camara profite d’un soutien – y compris matériel – de la part d’Alpha Condé. Ce qui expliquerait en partie que, pour cette campagne, il a décidé de ne pas réitérer son alliance avec Cellou Dalein Diallo.
Sidya Touré, l’autre absent
Autre grand absent de cette campagne, Sidya Touré garde le silence depuis que le candidat de l’UFDG a rompu avec la stratégie du boycott prônée jusque-là par l’opposition. Le patron de l’Union des forces républicaines (UFR) n’a donné aucune consigne de vote et, considérant l’élection jouée d’avance, il s’en tient à l’appel à bouder les urnes le 18 octobre. Ses militants et sympathisants n’en sont pas moins, eux aussi, très courtisés. Mais au sein de l’UFR, les cadres du parti se montrent extrêmement prudents.
« En 2010, Sidya Touré avait annoncé son alliance à l’UFDG, sans que la base le suive. Cette fois-ci, c’est tout le contraire, assure un cadre du parti. Officieusement, les cadres de l’UFR travaillent avec l’UFDG en Basse-Guinée, notamment pour une surveillance conjointe des bureaux de vote le jour du scrutin. Ils battent campagne au niveau de certaines sous-préfectures ou villages. Pour les militants de l’UFR, Cellou Dalein Diallo reste l’unique solution pour empêcher Alpha Condé d’être élu pour un troisième mandat auquel ils sont opposés. »
« Les positions sont en train de changer », veut croire Cellou Dallein Diallo, interrogé sur le sujet par Jeune Afrique. « Je n’exclut rien d’ici le scrutin », veut croire le candidat, qui rappelle qu’ils sont tous deux membres de « l’internationale libérale » et assure que Sidya Touré « n’est plus dans cette opposition qu’il avait, juste après l’annonce de ma candidature ». Désormais, « nous nous parlons un peu plus normalement », glisse-t-il.
En 2015, Sidya Touré était arrivé en troisième position au premier tour. Mais depuis, il a dû faire face à de nombreuses défections. La plus récente est celle d’Hadja Aissata Daffé, l’ancienne présidente nationale du bureau des femmes de l’UFR, exclue après avoir accepté sa nomination par Alpha Condé au poste de directrice générale adjointe de l’Agence nationale de l’inclusion économique et sociale (ANIES).
Avant elle, l’ancien président du groupe parlementaire de l’UFR, Ibrahima Deen Touré, avait aussi claqué la porte du parti, qui lui demandait de démissionner de l’Assemblée nationale. Ce dernier n’a toutefois rallié aucune autre formation. En revanche, Badra Koné, l’ancien patron de la jeunesse de l’UFR, a lui lancé son propre parti : Nouvelle génération politique (NGP). Certains de ses militants ont annoncé leur ralliement à Cellou Dalein Diallo, mais Badra Koné reste pour sa part sur la ligne du boycott prôné par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC).