Algérie : qui est (vraiment) Abderrahmane Benbouzid, le ministre de la Santé ?
Le ministre de la Santé Abderrahmane Benbouzid, lors de la conférence de presse quotidienne de présentation des données statistiques du Covid-19, ici le 23 mars 2020. © DR
Nommé en janvier 2020, il a hérité d’un secteur en souffrance et d’une crise sanitaire sans précédent. Bilan d’étape de son action à la tête d’un ministère devenu particulièrement stratégique.
Cheveux grisonnants et lunettes glissées sur le bout du nez, le visage d’Abderrahmane Benbouzid, peu connu du public il y a un an, est devenu familier des Algériens. Ton calme et rassurant, le septuagénaire multiplie les interventions médiatiques depuis un an. Et pour cause, depuis le 4 janvier 2020, il endosse l’un des rôles les plus importants de ce nouveau quinquennat, qui a débuté par une pandémie mondiale aussi imprévue que virulente.
Le Premier ministre Abdelaziz Djerad l’a nommé pour remplacer Mohamed Miraoui à la tête du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière. L’orthopédiste de formation se retrouve propulsé aux commandes d’un secteur qu’il a qualifié de « très sensible » et « très difficile », dès sa première prise de parole en tant que ministre.
De nombreux scandales ont éclaboussé le milieu ces dernières décennies. Djamel Ould-Abbès, ministre de la Santé entre 2010 et 2012, a été condamné à huit ans de prison en septembre pour corruption. Abdelmalek Boudiaf, en exercice de 2013 à 2017, a de son côté été démis de ses fonctions après l’un des plus grands scandales sanitaires algériens. Il avait, contre l’avis de l’Ordre des médecins, encouragé la commercialisation du RHB (Rahmet Rabi, la miséricorde de Dieu), un complément alimentaire présenté comme remède miracle contre le diabète par un faux médecin. Le nom de l’ex-ministre a également figuré dans plusieurs dossiers de corruption.
« Travail et persévérance »
Pour son entrée en politique, Abderrahmane Benbouzid hérite donc d’un ministère gangréné par la mauvaise gestion de ses prédécesseurs et le manque de moyens. Il n’hésite pas à le rappeler en séance plénière mi-décembre, à l’Assemblée populaire nationale (APN), lorsqu’un député critique son travail et sa gestion de la pandémie. « Ne me tenez pas pour responsable d’un secteur qui souffre depuis des années. »
« On continue d’utiliser des hôpitaux dysfonctionnels. Certains datent de 1940 », abonde une source hospitalière. Sans compter « les délais extrêmement longs pour que les cancéreux accèdent à la chimiothérapie et le nombre insuffisant de respirateurs qui ont manqué pendant la crise du Covid-19 » complète un médecin installé dans le sud du pays.
Pas de quoi décourager le nouveau patron de la santé. Il veut redorer l’image de son secteur et le réformer en profondeur. Un programme ambitieux, dont le succès dépend, selon lui, de deux critères : « Le travail et la persévérance ».
« Des qualités qui lui collent à la peau depuis toujours », décrit l’un de ses anciens résidents – l’équivalent des internes en France – à l’hôpital de Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger, où le professeur Benbouzid dirigeait le service orthopédie et traumatologie avec sa nomination. « Il adore son métier. À 6h30, il était déjà à l’hôpital. Personne n’arrivait avant lui. Il ne haussait jamais le ton. On avait énormément d’admiration pour lui », se souvient la même source.
« Homme de terrain »
À l’époque, l’ancien étudiant était engagé dans le mouvement de grève des médecins résidents, initié en 2018 et visant à améliorer les conditions de travail et la révision du service civil. « Le professeur Benbouzid est l’un des rares chefs de service à nous avoir soutenus. Quand l’administration lui demandait des listes avec les noms des militants, il refusait de les donner. Il a même proposé de nous soutenir financièrement quand les grévistes ont arrêté de recevoir leur salaire. »
Une fois ministre, il continue de protéger les hospitaliers. En mai dernier, Abderrahmane Benbouzid limoge le directeur de l’hôpital de Ras el Oued, dans la wilaya de Bordj Bou Arreridj, après le décès des suites du Covid-19 d’une médecin de 28 ans, enceinte de huit mois, à qui il avait refusé un congé. Plus récemment, le 15 décembre 2020, il démet de ses fonctions le directeur de l’hôpital de Kouba, dans la proche banlieue d’Alger, après qu’une enquête a révélé qu’une médecin, absente depuis 18 mois, continuait de percevoir un salaire.
Le natif de Ouled Djellal, une petite commune plantée dans le désert algérien, a étendu hors de la capitale le réseau de l’institut Pasteur : trois centres sont nés à Oran, Constantine et Ouargla. Dans sa lutte contre le Covid-19, « l’homme de terrain », comme le dépeignent ses confrères, multiplie les inspections dans les établissements hospitaliers du pays.
Manque de « moyens élémentaires »
Mais à peine Abderrahmane Benbouzid s’est-il installé dans ses bureaux d’El Madania, près du centre-ville, que le nouveau ministre de la Santé a vu ses velléités de réformes stoppées par une pandémie brutale. « Le ministère s’est transformé en centre de gestion de crise. Il a fallu se focaliser sur la recherche d’équipements de protection », se souvient un membre du comité scientifique de suivi de l’évolution du Covid-19.
Même si l’Algérie n’était pas préparée à la gestion d’une telle épidémie, le discours du ministre de la Santé se veut rassurant. Au cœur de la crise, il répète devant les médias que la situation est sous contrôle. Un constat que ne partage pas le Syndicat national autonome des agents médicaux anesthésistes et de réanimation de la santé publique qui, dans un communiqué du 22 mars, déplorait que « toutes les institutions sanitaires du pays ne disposent pas des moyens élémentaires de protection tels que les masques et les gants ».
Même souci pour les médecins libéraux. Au début de la crise, nombre de cabinets ont décidé de fermer, et de renouveler les ordonnances au téléphone par manque d’équipements de protection. Le ministère n’en envoyait pas, les pharmacies étaient en pénurie. En mars, Messaoud Belambri, président du Syndicat national des pharmaciens d’officine dénonçait l’interruption totale de l’approvisionnement « des gants, de bavettes, de gels hydroalcooliques, ou même de l’alcool à l’état brut », la priorité étant accordée aux régions les plus touchées, comme dans la région de Blida.
Faute de pouvoir s’appuyer sur le ministère pour pallier le manque de matériel, et notamment de respirateurs artificiels, certains hôpitaux ont dû compter sur les réseaux de solidarité. L’association des oulémas musulmans a, par exemple, fait don de plus de mille valises d’assistance respiratoire dans différentes villes du pays. « Le pic est passé, les gens sont morts. Et le ministère ne nous enverra des respirateurs artificiels que début 2021 », regrette un médecin réanimateur dans le Sahara. Mais point positif, le suivi de la crise. « Le ministère était à cheval, c’est une Algérie que je ne connaissais pas avant ». Seul hic, « avec une administration aux moyens de communication non informatisés, les instructions ministérielles tardent à arriver chez les médecins ».
Hydroxychloroquine
Dans le pays, une chose ne manque pas. L’hydroxychloroquine. L’Algérie continue de prescrire le médicament malgré les débats autour de son efficacité. « C’est ce qui me dérange dans les actions du ministère, mais en tant que médecin je peux faire le choix d’en prescrire ou non », se rassure un pneumologue en unité Covid à l’ouest d’Alger.
Prochaine étape dans la lutte contre la pandémie, le vaccin. Ammar Belhimer, porte-parole du gouvernement, vient de l’annoncer : la campagne de vaccination devrait débuter ce mois-ci. L’Algérie a dépensé 1,5 milliards de dinars (9, 2 millions d’euros) pour acquérir 500 000 doses du vaccin Spoutnik V, produit par l’allié russe. Le directeur général du Budget au ministère des Finances Abdelaziz Fayed a annoncé que le budget pour l’acquisition du vaccin pourrait atteindre 20 milliards de dinars (123 millions d’euros).
Crise ou pas, l’hôpital algérien reste un grand malade du service public. « Le régime de 20 ans nous a complètement détruit l’hôpital public. En plus des infrastructures, l’Algérie doit se doter d’une médecine à la fois curative et surtout préventive », lance un proche du pouvoir. Pour cela le président Abdelmadjid Tebboune s’engageait à faire construire un hôpital de 7000 lits à Alger dans son programme. Le nouveau ministre de la santé le promet. Il compte bien s’y atteler une fois les cas de contamination en baisse. Pour les autres projets dans le secteur de la santé, Abderrahmane Benbouzid indique qu’il faudra attendre « l’amélioration de la situation économique du pays » pour les relancer.