[Tribune] L’Amérique est de retour en Afrique
Désignations de personnalités noires aux postes-clés, discours conciliants, « diplomatie normale »… L’administration Biden veut renouer avec l’Afrique, ignorée par Trump.
Ce n’est sans doute pas une tâche herculéenne : compte tenu de l’indifférence méprisante dont faisait preuve Donald Trump à l’égard du continent — où il ne s’est jamais rendu —, la nouvelle administration dispose d’un a priori favorable en Afrique, d’autant qu’elle a déjà marqué un changement net d’intentions et d’ambitions.
Dans un discours destiné aux délégués du 34e sommet de l’Union africaine et diffusé le 7 février, Joe Biden a indiqué la ligne générale de sa politique étrangère : « L’Amérique est de retour. La diplomatie est de nouveau au centre de notre politique étrangère. [Nous allons nous employer] à renouveler notre rôle dans les institutions internationales et à retrouver notre crédibilité et notre autorité morale. »
« Soutien et respect mutuel »
Il a ensuite centré ses propos sur l’Afrique, en affirmant que les États-Unis se tenaient à ses côtés, « partenaires en solidarité, soutien et respect mutuel. Nous croyons en les nations africaines ». Il a poursuivi en parlant d’une « vision commune pour un avenir meilleur », et en évoquant des sujets ayant trait à l’économie, la sécurité et les droits humains pour les « femmes et les filles, les personnes LGBTQI, les personnes en situation de handicap, les personnes de toute origine ethnique, religion ou culture ».
Le président américain a également mentionné des urgences du moment : la pandémie et le réchauffement climatique, avec la perspective de financements adéquats pour des usines à vaccins et le Green Climate Fund. Il a enfin annoncé que les restrictions de visas pour les réfugiés édictées par Trump allaient être abrogées, et que l’égalité raciale et la lutte contre le suprémacisme blanc étaient des priorités de son administration. À l’évidence, Biden visait à insister sur la rupture franche avec l’administration Trump et, par contrecoup, à souligner les continuités avec Barack Obama, dont il était le vice-président.
Des Africains-Américains promus
Pour en savoir un peu plus, il faut nous tourner vers un ensemble de nominations tout à fait significatives auxquelles le nouveau président a procédé. Plusieurs Africains-Américains ont été promus. Enoh Ebong est ainsi devenue directrice par intérim de l’Agence américaine pour le commerce et le développement (USTDA). Cette femme d’origine nigériane a une solide expérience au sein de ladite agence, où elle a travaillé de 2004 à 2019.
Mahmoud Bah, d’origine guinéenne, est également distingué : il devient le responsable par intérim du Millennium Challenge Corporation (MCC). Le MCC, créé par le Congrès des États-Unis en 2004, est un programme de développement dont la vocation est de verser des subventions à des pays qui ont démontré leur engagement dans la promotion des bonnes pratiques de gestion et la réforme économique. Mahmoud Bah a lui aussi une solide expérience d’une dizaine d’années au sein de l’organisme à la tête duquel il a été nommé, y compris en tant que responsable du MCC en Côte d’Ivoire pendant trois ans.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">LE GOUVERNEMENT AMÉRICAIN ACTUEL EST DE LOIN LE PLUS DIVERS DE L’HISTOIRE DU PAYS. LA MOITIÉ DE SES MEMBRES NE SONT PAS BLANCS
À ces nominations s’en ajoutent d’autres, du côté africain-américain, et au plus haut niveau. Elles marquent aussi une rupture symbolique et pratique avec l’ère Trump. Même si la vice-présidente n’est pas africaine-américaine (ses parents étaient d’origines caribéenne et indienne), Kamala Harris s’affirme comme une femme noire, en laquelle beaucoup de femmes et d’hommes noirs se reconnaissent. Le nouveau ministre de la Défense, le général quatre étoiles Lloyd Austin, est également entré en fonctions, une première pour un homme noir.
Marcia Fudge, représentante de l’Ohio au Congrès, est désormais ministre de l’Habitat et du Développement urbain, tandis que Susan Rice, ancienne ambassadrice des États-Unis à l’ONU, devient directrice du Conseil de politique intérieure (Domestic Policy Council). De son côté, Linda Thomas-Greenfield, une diplomate chevronnée qui fut notamment chargée des affaires africaines entre 2013 et 2017, avant d’être démise de ses fonctions par Trump, représente désormais son pays à l’ONU.
Si l’on ajoute à ces personnalités celles issues du monde hispanique, et même amérindien, le gouvernement américain actuel est de loin le plus divers de l’histoire du pays (la moitié de ses membres ne sont pas blancs). Voilà qui est significatif, et qui a été salué par les associations antiracistes du pays : la représentation, l’incarnation d’un poste, cela compte en politique !
Environnement et santé
Reste, bien entendu, à mesurer les effets de ces nominations sur les politiques mises en œuvre. Du côté de l’Afrique, la tendance générale est celle d’un retour à une diplomatie normale, marquée par des relations respectueuses entre les États-Unis et le continent.
L’inflexion principale par rapport à l’administration Obama semble devoir se situer du côté d’une accentuation de l’investissement environnemental, sur lequel Biden a tant insisté pendant sa campagne, et de la priorité médicale, puisque l’Afrique n’est pas épargnée par le Covid-19, même si la pandémie n’a pas eu des conséquences comparables à celles que l’Europe ou les États-Unis connaissent.
Sur les autres sujets, Washington combinera, de manière finalement assez classique, ses intérêts propres, en particulier économiques, à des préoccupations stratégiques (en laissant le premier rôle militaire à la France dans le Sahel, tout en assurant un soutien logistique) et humanitaires. Mais les historiens savent bien que ce qui semble prévisible sera déjoué par les événements eux-mêmes, et la capacité des responsables africains et américains à y répondre !