Côte d’Ivoire : Guillaume Soro et le rêve lointain d’un retour en politique

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 20 octobre 2021 à 22:53


Guillaume Soro le 8 août 2020. © Arnaud MEYER/Leextra via Leemage

Isolé et exilé en Europe depuis fin 2019, l’ancien président de l’Assemblée nationale veut encore croire en son avenir. Mais ses déboires judiciaires et ses relations conflictuelles avec le président ivoirien paraissent autant d’obstacles difficiles à surmonter.

En cette soirée du 20 septembre, Guillaume Soro apparaît sur l’écran de l’application Zoom. De passage à Paris pendant 48 heures, il a mis pour l’occasion un costume croisé bleu nuit. Sa barbe a pris quelques teintes grisonnantes. Ils sont une vingtaine à participer à cette réunion de « recadrage » et de « remobilisation » convoquée par l’ancien président de l’Assemblée nationale. Parmi eux, ses derniers fidèles et compagnons d’exil, en région parisienne ou à Bruxelles. Et ceux qui tentent, à Abidjan, de maintenir en vie son mouvement Génération peuples et solidaires (GPS). Depuis combien de temps ne l’avaient-ils pas vu ? Six mois ? Un an ? Cela faisait en tout cas un long moment que leur chef n’avait pas participé directement à une réunion politique.

En exil en Europe depuis son retour avorté en Côte d’Ivoire à la fin de 2019, Guillaume Soro avait pris « du recul », comme le formulent ses proches. Il avait disparu des médias, même de ces réseaux sociaux qu’il affectionne tant, et changé à plusieurs reprises de numéros de téléphone. Introuvable et injoignable, à part de quelques proches, l’ancien chef rebelle avait repris le maquis.

« À un moment, certains ont trouvé qu’il parlait trop, que son discours vis-à-vis de son aîné Alassane Ouattara était trop irrespectueux. Des religieux et des sages le lui ont signifié. Il a décidé de les écouter », explique Tehfour Koné, un de ses proches, ancien candidat à la mairie d’Abobo.

Mais lorsque l’on est en position de faiblesse, l’absence peut avoir de lourdes conséquences, favoriser les initiatives personnelles et les querelles de leadership, décourager les derniers fidèles et pousser les autres à quitter le navire.

IL NE DONNE AUCUNE NOUVELLE ET ON LE DÉCOUVRE EN TRAIN PRENDRE DU BON TEMPS DANS UN PALACE DE BRUXELLES

Les rares apparitions de l’ancien leader estudiantin n’ont rien fait pour rassurer les hésitants. En mai, l’homme d’affaires et député Patrick Bologna publie une vidéo sur les réseaux sociaux. On y voit d’abord un Guillaume Soro, fringant, dégustant un bon repas avec quelques amis à Bruxelles. Plus tard, dans un appartement de la capitale belge, des bouteilles de Ruinart flottent dans un seau à champagne, des cigares Horacio sont affichés. Grand danseur, Soro esquisse quelques pas de rumba.

Bologna, ancien mari de la petite sœur de la femme de Joseph Kabila, est un habitué des frasques sur les réseaux sociaux. Mais la vidéo fait tache même dans le cercle des amis de Soro. « Il ne donne aucune nouvelle et on le découvre prendre du bon temps dans un palace de Bruxelles. C’est scandaleux », commentait à l’époque l’un deux.

 

soro1

Avec Alassane Ouattara à Yamoussoukro, le 28 septembre 2011. © ISSOUF SANOGO/AFP

 

L’actualité a donc donné à Guillaume Soro l’occasion de refaire surface. Le 5 septembre, Alpha Condé est renversé par un coup d’État militaire. Deux jours plus tard, l’ancien chef rebelle s’exprime sur Twitter. Soro connaissait bien l’ancien président guinéen. Les deux hommes avaient été présentés par le Mauritanien Moustapha Chafi à la demande de l’ancien président burkinabè Blaise Compaoré. Soro avait ensuite aidé financièrement Alpha lorsque ce dernier était dans l’opposition, puis lors de la campagne présidentielle de 2010. Mais, comme tous les autres chefs d’État du continent dont il croyait avoir le soutien, Alpha Condé ne lui a pas apporté l’aide espérée quand sa brouille avec Alassane Ouattara a atteint son paroxysme.

La piste Denis Sassou Nguesso

Aujourd’hui, aucun des pairs d’ADO ne se risque à évoquer le cas de Guillaume Soro en sa présence. Compagnon de ce dernier depuis longtemps, l’ancien député ivoirien Alain Lobognon a néanmoins tenté récemment de solliciter la médiation de Denis Sassou Nguesso (DSN).

« Je lui ai fait parvenir deux lettres, en janvier et en juillet 2021, pour qu’il se saisisse de ce dossier car c’est le seul qui peut réconcilier Ouattara et Soro », explique l’ancien ministre des Sports, libéré en juin après dix-huit mois de prison. En déplacement en Suisse lorsque le courrier a été déposé à son cabinet, le président congolais s’est entretenu au téléphone avec Soro début août, précise Lobognon. Les deux hommes se sont ensuite vus à Genève début septembre.

Contacté par Jeune Afrique, Guillaume Soro n’a pas souhaité s’exprimer. « Sa rencontre avec le président Sassou n’est pas liée à l’initiative de Lobognon. Soro parle directement avec DSN qui, comme Macky Sall, lui avait d’ailleurs déconseillé de rentrer à Abidjan en décembre 2019. Lobognon veut simplement jouer sa carte personnelle. Il a voulu reprendre la tête de GPS à Abidjan, à la place de ceux qui y tiennent le parti depuis le début de l’exil de Guillaume », estime un ami de Soro.

Alain Lobognon dément : « Tout ceci est faux. J’ai déjà indiqué à Guillaume que je mettais fin à notre collaboration politique. GPS a été dissous par la justice ivoirienne et j’ai perdu mes droits politiques pour les cinq prochaines années. »

À 49 ans, que peut encore espérer Guillaume Soro ? Poursuivi pour complot et atteinte à la sécurité de l’État, il a été condamné le 23 juin à la perpétuité. Son mouvement a été dissous dans la foulée. Et il est pour le moment tenu à l’écart du processus de réconciliation entamé entre Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo.

Force tranquille

Les autorités françaises n’ont toujours pas répondu au mandat d’arrêt transmis par Abidjan en novembre 2020. Mais elles ont fait comprendre à l’ancien président de l’Assemblée nationale qu’il n’était plus le bienvenu sur leur sol. La raison : au lendemain de l’annonce de la victoire de Ouattara, Soro s’était adressé aux forces de défense et de sécurité dans un discours retransmis en direct sur internet, leur demandant « d’agir » pour faire barrage à Alassane Ouattara. La provocation de trop.

Devant ses proches, Soro tente malgré tout de maintenir un semblant de sérénité et d’entretenir son rêve de devenir un jour président de la République. « Je suis assis à la place de la force tranquille, leur répète-t-il. On ne peut pas envisager l’avenir de la Côte d’Ivoire dans les cinq, dix prochaines années sans moi. J’ai seulement 49 ans. Ouattara est devenu président à 69 ans. »

« Il m’a été rapporté que plusieurs parmi les potentiels successeurs ou candidats à l’élection présidentielle de 2025 se réjouissent du fait que monsieur Alassane Ouattara me retienne en exil pour leur bonheur (…) La politique est une course de fond et bien des prétentions finissent par être coiffées au poteau. Dieu n’a pas dit son dernier mot », a-t-il aussi déclaré le 6 octobre sur Twitter.

En attendant, il doit également déminer le terrain sur le plan juridique. Plusieurs procédures sont actuellement en cours : devant le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, devant la justice française pour un enregistrement diffusé par le procureur ivoirien Richard Adou, et devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

En juillet, Soro et plusieurs de ses proches ont par ailleurs porté plainte en se constituant partie civile pour torture et tentative d’assassinat devant la justice française contre une dizaine de personnalités de l’appareil sécuritaire ivoirien. Le directeur de la DST (Direction de la surveillance et du territoire), le commandant supérieur de la gendarmerie, ou le directeur de l’administration pénitentiaire sont ainsi visés. Selon nos sources, une juge d’instruction a été nommée le 2 août. Les avocats de l’État ivoirien tenteront de démontrer que la plainte est irrecevable.

« C’est un voyou »

soro2

 

Lors d’un meeting contre la candidature du président sortant au stade Félix Houphouët-Boigny, à Abidjan, le 10 octobre 2020. © SIA KAMBOU/AFP

 

« ADO a utilisé des méthodes moyenâgeuses pour détruire la carrière politique de Guillaume. Mais celui-ci joue sur l’usure des vieux, sur sa jeunesse. Ouattara sera tôt ou tard tenu de dialoguer avec la classe politique. Et on ne pourra pas exclure Soro. Car si celui-ci fait partie du problème, il est aussi un élément de la solution. Et puis, ADO n’a plus personne autour de lui. Il sera obligé de faire la paix », espère un collaborateur de l’ancien président de l’Assemblée nationale.

NOUS RÉPÉTONS DEPUIS LONGTEMPS QUE SORO NE PÈSE RIEN. (…) IL N’EST PLUS CRÉDIBLE, EXPLIQUE UN CADRE DU RHDP

Ces affirmations font doucement sourire l’entourage du chef de l’État. « Nous répétons depuis longtemps que Soro ne pèse rien. C’était le cas lorsqu’il était en Côte d’Ivoire c’est d’autant plus vrai maintenant. Il a promis qu’Alassane Ouattara ne serait pas président. Sa prophétie ne s’est pas réalisée. Il n’est plus crédible », explique un haut cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHPD).

« Soro fait passer le message qu’il est prêt à se réconcilier avec Ouattara. Mais ce dernier y est opposé tant que le premier n’est pas disposé à lui présenter des excuses publiques. Il considère la trahison de Guillaume envers lui comme étant de nature familiale », précise un intime d’ADO. « Rien n’a changé concernant Soro. C’est un voyou », a récemment confié le chef de l’État à un de ses visiteurs du soir.

Selon nos sources, Guillaume Soro a tenté à deux reprises de joindre Ouattara : après la mort de l’ancien Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, en juillet 2020, et plus récemment, en avril dernier. À chaque fois sans succès.