Kaya : « David » burkinabè contre « Goliath » le drone français

Mis à jour le 23 novembre 2021 à 10:28
 
Damien Glez
 

Par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

 

Damien Glez © Damien Glez

 

Un drone abattu par un lance-pierre dans une ville burkinabè ? Ainsi naissent les légendes : l’appareil serait français et le sniper un manifestant d’une quinzaine d’années…

Dans un Burkina Faso devenu labyrinthe pour un convoi militaire français balloté entre Kaya et Ouagadougou, en passant par Laongo, le feuilleton offert, depuis la fin de semaine dernière, a tout d’un running-gag burlesque. Devant ce chassé-croisé entre militaires français figés, manifestants inflexibles et forces de l’ordre locales gênées aux entournures, un observateur extérieur aurait été bien incapable de comprendre tout à fait le comportement de chacune des trois parties.

Ce qui ajoute sans doute à l’enjaillement offert aux jihadistes qui récoltent les fruits des germes de chaos semés depuis des années. Surtout – climax ! –, lorsque deux camions appartenant à l’armée burkinabè auraient été pris à partie, par erreur, alors qu’ils devaient ravitailler des soldats engagés au Nord contre le terrorisme. L’opinion nationale venait, justement, de dénoncer le manque de nourriture des troupes au front…

Symbolique et exaltation

Au milieu de cette pagaille irrationnelle, advient soudain un instant de grâce que les meilleurs storytellers n’auraient jamais osé planifier. Au troisième jour du blocus imposé, dans la ville de Kaya, par des pourfendeurs de la présence militaire française au Faso, un enfant abat un drone avec un lance-pierre…

Porté en triomphe, l’adolescent qui serait âgé de 15 ans a tout d’un Gavroche, du nom de ce personnage des Misérables qui offrit sa poitrine juvénile aux forces armées contestées. Mais ce jeune burkinabè ne chute pas comme Gavroche. Plutôt comme David, le personnage de l’ancien testament, il terrasse un géant armé jusqu’aux dents. Une fronde pour l’un, pour l’autre : un lance-pierre. Le géant Goliath pour l’un, pour l’autre : rien de moins que l’armée de l’ancien colon… Si l’on en croit les premiers posts enflammés sur les réseaux sociaux.

Certes, le doute persisterait quant à l’enregistrement dudit drone à l’arsenal de l’opération Barkhane. Certes, l’aéronef télécommandé n’a rien d’un avion de combat. Certes, le bataillon français au Sahel n’est pas décapité comme Goliath. Mais la symbolique est trop forte pour résister à l’exaltation. Il n’y a pas plus africain et plus enfantin – censément fragile –  que le lance-pierre qui sert à chasser les margouillats. Il n’y pas plus « exotique » – entendez occidental – qu’un objet volant sans pilote.

Cliché et tee-shirts

En mal de galvanisation depuis l’insurrection populaire de 2014, la foule porte en triomphe l’enfant frondeur et son arme du pauvre : voici viralement investi « le petit qui a fait tomber le drone de l’armée française avec un lance-pierre ». À peine le cliché visionné par la plupart des internautes locaux, c’est le trophée du drone qui est exhibé sur Youtube, sous la forme d’une pièce de l’appareil déchiqueté déjà propulsé au rang de relique. Puis les graphistes en herbe du Faso diffusent une sorte de logotype où le manche et l’élastique du sniper adolescent remplacent le “Y” de “Kaya”. Second degré ou vénalité ? D’autres apposent déjà un prix, 5000 francs CFA, à un modèle de tee-shirt floqué d’un lance-pierre…

Beaucoup de bruit pour rien ? Le convoi militaire évaporé au Niger, il reste aux autorités burkinabè le soin d’expliquer comment une armée étrangère peut effectuer des tirs de sommation à quelques encablures de leurs oreilles et comment les « manipulateurs de réseaux sociaux » dénoncés par le ministre français des Affaires étrangères peuvent faire la loi, plus de 24 heures, dans une paisible ville d’Afrique de l’Ouest…