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ÉDITO
Entre deux rumeurs
Lundi 6 décembre, au retour de son voyage apostolique à Chypre et en Grèce, le pape François s’est adressé aux journalistes dans l’avion. Interrogé au sujet de la démission de Mgr Aupetit qu’il avait acceptée quelques jours plus tôt, le pape François a surtout dénoncé les « bavardages » qui ont « ruiné la renommée d’une personne », la rendant de fait inapte à gouverner un diocèse.
En lisant cette information, je me suis souvenu que le grand théologien Joseph Moingt commence son livre L’homme qui venait de Dieu (Cerf, 1994) par un long prologue intitulé : « La rumeur de Jésus ». « Toute l’affaire Jésus – et la religion chrétienne de cette fin du XXe siècle – a commencé par une rumeur qui voltigeait autour de lui, mélange d’interrogation, de suspicion et de confiance, et qui prit consistance et ampleur surtout quand elle fut relancée par l’annonce de ceux qui croyaient en lui. C’est par cette rumeur que Jésus est entré dans l’histoire, la vraie : celle qu’on raconte avant de l’écrire et qu’on ne cesse de raconter de vive voix longtemps après qu’elle a été écrite », notait le jésuite décédé en 2020 à l’âge de 104 ans.
À cette rumeur de disciples rapportant que Jésus, celui qui a été crucifié, est ressuscité des morts, les grands prêtres opposent une autre rumeur qu’ils s’attachent à propager en soudoyant les soldats : « Vous direz ceci : “Ses disciples sont venus de nuit et ont dérobé son corps pendant que nous dormions” […] Ce récit s’est propagé chez les Juifs jusqu’à ce jour » (Matthieu 28, 13-15). Comme quoi les fake news ne datent pas d’hier !
La plongée dans les débuts du christianisme nous rappelle que la vie humaine nous oblige à nous situer devant des rumeurs contradictoires. Certaines sont porteuses de vie, d’autres de mort. Dans cette dernière catégorie, il y a tout ce que la tradition appelle les « péchés de la langue » et ils sont nombreux : bavardage, commérage, médisance, calomnie, mensonge, duplicité, mauvaise foi, faux témoignage, flatterie, ambiguïté, parjure… Tout cela blesse le langage, la communication, les liens humains, les personnes qui en sont victimes, sans faire grandir la vérité.
Mais comment faire le tri entre les bonnes et les mauvaises rumeurs ? Le critère est simple à énoncer : telle rumeur sert-elle le bien ? Mais répondre à cette question, surtout « à une époque où la falsification devient de plus en plus sophistiquée », suppose sagesse, courage, patience, discernement, comme l'indique le pape François dans son message pour la 54e journée mondiale des communications sociales (24 janvier 2020). Repousser ce qui est faux et mauvais,faire la vérité sera toujours une tâche exigeante.