Mali : volley-ball et lits picots, la France vient de quitter la base de Tombouctou
Poursuivant son désengagement dans le nord du pays, l’opération française Barkhane a remis les clés aux forces maliennes ce mardi 14 décembre. Notre correspondante était présente.
Quelques soldats français improvisent une partie de volley-ball devant les roues des imposants griffons. Vingt-huit tonnes d’acier et de technologie qui prendront le soir même la route pour Gao, à plus de 300 kilomètres à l’Est. Sous le ciel ouaté de Tombouctou, le drapeau français vient de céder sa place aux couleurs du Mali, après huit années à flotter sur cette emprise.
Il est 14h30 ce mardi 14 décembre, et c’est la fin d’une ère pour la plus grande opération extérieure française. Un C130, en rase-motte, opère un baroud d’honneur au-dessus de militaires au garde à vous. Des 200 à 300 soldats français généralement basés ici, il n’en reste que quelques poignées. « Ceux qui font les derniers cartons ou le café », plaisante un jeune officier. Ils partiront quelques heures plus tard par la route ou les airs, avec le peu d’équipement qu’il reste à acheminer.
Le général Étienne du Peyroux, le représentant de l’opération Barkhane au Mali, a fait le déplacement. Après Kidal, en octobre, et Tessalit, en novembre, le gradé est venu « fermer » la dernière des bases françaises du nord du Mali à être rétrocédée dans le cadre de la « réorganisation profonde » de Barkhane annoncée par Emmanuel Macron en juin dernier.
Décor de cinéma déserté
Il accueille l’armée de l’air malienne qui va succéder aux Français derrière les murs de barbelés de cette base. Ce jour-là, le lieu a des allures de décor de cinéma déserté, dans lequel les Français ont pris soin de laisser quelques présents à ses homologues maliens, pour la bienséance et pour l’image. « Des tentes climatisables, avec huit lits picots et moustiquaires, un frigo, et une table. Et surtout, nous laissons un forage et un groupe électrogène », insiste un soldat français en charge de la visite.
C’est au commandant de zone des Forces armées maliennes (Famas), le colonel Mamadou Souleymane Koné, que le colonel François, chef de corps du groupement tactique des airs, remet symboliquement la clé du camp. Celui-ci salue « le chemin parcouru ensemble », remettant l’emprise avec « joie et sérénité ». Le second se garde de tout discours ou mot adressé à la presse.
De taille modeste, le camp est géographiquement stratégique. Installé à côté de la base de la Minusma – dix fois supérieure en capacité, elle héberge 2 200 civils et militaires onusiens -, il permet à l’armée malienne d’avoir un pied sur le tarmac de l’aéroport, situé à seulement 300 mètres.
Désengagement
La cession de Tombouctou « marque la fin de la présence de Barkhane dans le nord du Mali », assure l’état-major des armées françaises. Mais si « Barkhane retire son effectif au sol à Tombouctou, nous assurerons toujours un appui aérien si nécessaire », précise le colonel François. Quelques jours plus tôt, Français et Maliens ont participé à des exercices conjoints de reconnaissance aérienne.
« Une opération est faite pour évoluer, justifie le colonel François. Elle s’adapte à son environnement, d’une part, par rapport à son ennemi, de l’autre, par rapport à ses partenaires. Aujourd’hui, nos partenaires maliens connaissent de nombreux succès et sont en mesure de prendre le relais à Tombouctou. »
Cette réorganisation du dispositif répond surtout au souhait de l’exécutif français de concentrer ses efforts dans la région dite « des trois frontières », entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, et de réduire significativement le nombre de militaires français engagés au Mali. Comptant 4 800 hommes aujourd’hui, la force française ne devrait plus en avoir que 3 000 en 2022.
Besoin de partenaires
Bien loin des préoccupations stratégiques de l’état-major des armées françaises, nombre de Tombouctiens s’inquiètent de voir les Français partir. « Barkhane nous a amené une forme de stabilité. Nous avons connu l’occupation, puis la libération avec la France, on a pu organiser des élections…, dit un chauffeur de taxi souhaitant rester anonyme, par peur de représailles. Aujourd’hui, à Bamako, certains demandent le départ de la France, mais eux n’ont rien vécu de l’insécurité ! »
NOUS AVONS BESOIN DE PARTENAIRES, QUE CE SOIT LES FRANÇAIS, OU D’AUTRES »
« Bamako ne connaît pas les mêmes réalités que Tombouctou. On a l’impression que ceux qui se sentent en sécurité veulent parler à notre place », abonde Alex, jeune Tombouctien, en roulant le filtre de sa cigarette entre ses doigts. Derrière lui, un groupe de jeunes nuance : « l’insécurité existe encore à Tombouctou, il y a du banditisme, des vols de voiture et de moto, des gens qui se font tirer dessus. Barkhane n’a pas gagné la guerre ».
Beaucoup admettent ne pas bien savoir « ce que fait Barkhane » dans la zone, et ne pas tellement remarquer leur présence au quotidien, mais tous sont conscients que la situation à Tombouctou et dans la région reste volatile. « Nous savons que les Famas n’ont pas l’équipement nécessaire pour prendre le relais. Nous avons besoin de partenaires, que ce soit les Français, ou d’autres », conclut Alex.