Burkina : le parti de Blaise Compaoré déchiré par le duel fratricide entre Komboïgo et Tapsoba
Rien ne va plus au CDP. Tandis qu’une frange, rassemblée derrière Eddie Komboïgo, prône la refondation, y compris en changeant le nom du parti, une autre, dont la figure de proue est Achille Tapsoba, défend une fidélité sans faille à Blaise Compaoré.
Une nouvelle occurrence de la querelle des anciens contre les modernes ? L’ancien parti de Blaise Compaoré, qui a régné sans partage sur la vie politique burkinabè jusqu’à la chute de l’ancien chef de l’État, en 2014, est plongé dans une guerre de tranchées sans merci. D’un côté, les « futuristes », tenants de la rénovation radicale telle que la défend Eddie Komboïgo, président du parti. De l’autre, l’aile « historique » du parti, dirigée par Achille Tapsoba, qui défend bec et ongle un respect scrupuleux de l’héritage politique du président déchu.
Officiellement chef de file de l’opposition depuis mars dernier, Eddie Komboïgo peut se targuer d’avoir été l’artisan du retour de son parti sur le devant de la scène politique burkinabè. Mais un quart de siècle après que le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) ait été porté sur les fonts baptismaux, il entend mener le changement interne à marche forcée.
Changement de nom
Si les débats couvaient depuis plusieurs mois, c’est le congrès du parti des 18 et 19 décembre derniers qui a définitivement mis le feu aux poudres. Blaise Compaoré a été désigné président d’honneur du CDP, mais s’est vu privé de l’intégralité de ses prérogatives. En outre, Eddie Komboïgo a mis sur pied une commission chargée de réfléchir à un nouveau nom et à un nouveau logo pour le parti. « Nous lui avions suggéré le report du congrès en attendant une rencontre avec Blaise Compaoré, en vain », rapporte Achille Tapsoba. « Son refus nous montre qu’il veut récupérer le CDP pour lui-même, au détriment du fondateur. J’ai donc décidé à ce moment-là de rallier les camarades qui prônent la volonté de tenir compte des orientations données par le président Compaoré », continue-t-il.
En rejoignant l’aile historique, aux premiers rangs desquels on trouve notamment Mohamed Sané Topan, l’ancien directeur de campagne de Komboïgo, Tapsoba s’est attiré les foudres de la direction du parti. D’autant plus qu’il a été parmi ceux qui ont porté l’affaire devant les tribunaux, et ont purement et simplement boycotté le congrès, ne lui reconnaissant aucune légitimité. La sanction ne s’est pas fait attendre : lui et six autres vice-présidents du parti ont été suspendus de leurs fonctions.
« Eddie Komboïgo a tenu un bureau politique national qui nous a suspendu de manière irrégulière. Nous demeurons des militants du CDP ! », tonne-t-il aujourd’hui, affirmant que les statuts du parti sont clairs quant aux attributions qui doivent revenir à Blaise Compaoré « dans la gestion, l’orientation politique et la stratégie » du parti.
Des manœuvres de François Compaoré ?
Les futuristes, partisans de la ligne de la refondation défendue par Eddie Komboïgo, voient dans cette fronde des manœuvres orchestrées par François Compaoré, le frère cadet de l’ancien président burkinabè. Ils mettent également en avant la faible implication de Blaise Compaoré dans le parti. L’ex-chef de l’État, en exil en Côte d’Ivoire, serait en effet malade et mutique depuis plusieurs mois. « Blaise Compaoré n’est plus apte à diriger le parti », glisse un cadre du CDP. « Les contestataires avaient pour projet de prendre le contrôle du parti en se fondant sur les prérogatives de Compaoré. Mais nulle part, dans nos statuts, il n’est dit qu’une décision venant de lui aurait une force exécutoire, sans aucune discussion préalable. »
Quant à la levée de boucliers qu’a provoquée la perspective d’un changement de nom et de logo, « c’est un faux-prétexte », peste Boubacar Sanou, premier vice-président. « C’est Achille Tapsoba lui-même qui a présidé les travaux proposant d’évaluer l’image du parti dans la perspective du congrès, continue Sanou. Vingt-cinq ans après sa création, le nom de CDP nous rend-t-il service aujourd’hui ? Combien sont-ils, parmi les jeunes, à s’identifier à son logo ? »
Eddie Komboïgo, qui a affirmé dans un entretien accordé à RFI au lendemain du congrès contesté vouloir « tendre la main » à ses opposants au sein du parti, affiche de son côté sa sérénité. Et continue ses activités sans donner l’impression d’être affecté par les bisbilles internes. Jeudi 13 janvier, il était présent au Comité de suivi des recommandations politiques, lors duquel a été abordée la question d’un éventuel report des élections municipales prévue en mai prochain. Ce lundi, il était au chevet des déplacés internes à Kaya accompagné par d’autres leaders de l’opposition. Quelques jours plus tôt, dans le message de vœux qu’il a diffusé sur les réseaux sociaux, il n’a pas eu un mot pour l’aile « historique », mais il a, au contraire, salué Blaise Compaoré, ainsi que les « camarades arbitrairement détenus ou forcés à l’exil ».
Tapsoba et les six autres vice-présidents suspendus ont, eux, affirmé avoir saisi le Ministère chargé des Libertés publiques pour « faire constater l’irrégularité du congrès et annuler in fine les décisions prises ». Le feuilleton politique ne semble donc pas prêt de connaître son épilogue.