Du Mali au Burkina, les coups d’État, paradis des fake news

Mis à jour le 4 février 2022 à 15:27
 
Damien Glez
 

Par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

 


Damien Glez © Damien Glez

Les prises de pouvoir successives en Afrique suscitent la naissance de fausses nouvelles. La confusion enfantant la confusion, celles-ci se propagent sur les réseaux sociaux…

Incertitude en Afrique, en particulier dans l’Ouest du continent. Les tentatives de putschs se suivent, avec plus ou moins de succès, et se ressemblent parfois. Leur point commun ? La brèche qu’elles offrent aux fake news de tout poil. Contrairement aux grandes années des coups d’État militaires africains – d’avant le discours de la Baule –, le bouche-à-oreille est désormais fulgurant, amplifié en temps réel par des réseaux sociaux qu’il devient embarrassant de museler totalement.

La nature ayant peur du vide et la politique francophone étant faite d’incarnation forte, c’est d’abord l’identité des putschistes qui, dans la foulée des « décagnottages », fait l’objet d’hypothèses farfelues. Après l’arrestation du Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, à l’issue du week-end des 22 et 23 janvier, les mutins mettront un temps inhabituel à se dévoiler. Paul-Henri Sandaogo Damiba, l’autoproclamé nouveau maître des horloges, ne s’adressera à la nation que le 27 janvier.

Anachronismes et extrapolations

Dans un premier temps, peut-être conscients que le Burkina Faso 2.0 décerne ses lauriers d’audience à des scoops dont la fiabilité importe peu, les analystes politiques amateurs valident des intuitions. Militaire pour militaire, des posts échafaudent un lien entre le putsch de 2022 et celui de 2015. Sans conditionnel, ils annoncent la « libération du général Gilbert Diendéré » de la Maison d’arrêt et de correction des armées (Maca). Le procureur militaire dément rapidement.

Sur Twitter, un utilisateur affirme, capture d’écran à l’appui, que le pouvoir est désormais « entre les mains du Lt Colonel Isaac Zida », celui-là même qui attrapa au vol la présidence qui flottait dans l’air, en 2014, après le départ de Blaise Compaoré précipité par une foule au scénario inachevé. Zida n’est pas davantage revenu de son exil canadien que Diendéré n’a quitté sa prison…

En ce qui concerne le lieutenant-Colonel Damiba, dont le nom circule davantage que le visage dans les premières heures du putsch de 2022, les relayeurs d’infos les moins prudents affirment l’avoir identifié dans la première vidéo des mutins à la Télévision nationale. Mais le béret bleu qui entérine verbalement le départ de Kaboré n’est pas le béret rouge qu’un observateur avisé savait devoir attendre sur la tête de Damiba.

D’autres fausses nouvelles concerneront moins les hommes que les circonstances, entre plaquage de clichés anachroniques de manifestations et extrapolation de tâches rougeâtres – du sang ? – sur le fauteuil d’un véhicule criblé de projectiles.

Influenceurs menteurs

Certaines fake news résultent de l’analyse précipitée des amateurs, d’autres d’une manipulation intéressée, parfois pécuniairement. Au Mali, les cibles privilégiées des fabricants de fausses infos sont actuellement les forces armées étrangères comme Barkhane (France), Takuba (Union européenne) ou la Minusma (Nations unies). Pour précipiter une rupture diplomatique entre la junte et les partenaires occidentaux –rupture occasionnellement annoncée par anticipation–, des messages diffamatoires contre la France ou la Cedeao sont formulés en français, avant d’être méticuleusement traduits dans les différentes langues nationales, et diffusés via des réseaux de réseaux bien ficelés.

S’ils n’agissaient pas en secret, ces influenceurs menteurs dénieraient sans doute de mauvaises intentions, au nom de l’intérêt présumé d’un Mali indépendant. Mais les spécialistes de la désinformation soulignent que le populisme relève parfois d’une quête de rémunération. Pour l’heure, ceux qui profitent de la majorité des fake news de cet acabit – l’État ou les mercenaires russes – ont déjà été pris la main dans le sac de la manipulation numérique rémunérée, notamment en République centrafricaine. À la guerre comme à la guerre ? Fort heureusement, cet état de fait difficilement contrôlable en amont suscite des vocations de fact-checkeurs associatifs locaux.