Hausse des prix alimentaires : pour les banques, un bénéfice mi-figue mi-raisin

Mis à jour le 20 février 2022 à 19:12

 

Opération de filtration d’huile d’olive (image d’illustration). © Francisco Seco/AP/SIPA

La brusque envolée des prix des produits alimentaires de base fait courir un risque de défaut aux clients des banques du continent qui pourraient être à leur tour ébranlées. Mais la situation peut aussi, à bien des égards, leur profiter. Décryptage.

En Algérie, tout a commencé avec l’huile, après la flambée des cours à l’international entre les mois d’octobre et novembre 2021 (+ 9,6 %). Puis la hausse des prix du sucre – dont le pays est le premier importateur en Afrique – a achevé de cristalliser les tensions. Du côté des ménages, comme de celui des entreprises, l’incidence sur le pouvoir d’achat et donc sur la consommation s’est fait rapidement ressentir.

Au cœur de la chaîne de valeur, les établissements bancaires. Détenteurs des comptes des particuliers, TPE, PME et grands groupes, ils seront tout autant ébranlés par le risque de défaut de leurs clients que dynamisés par l’opportunité d’accroître leurs revenus (plus de crédits octroyés, plus d’avances accordées…).

Mais, dans les faits, dans un pays comme l’Algérie où les produits de base sont subventionnés depuis six décennies, le schéma n’est pas aussi simple. Et ce, même si la loi de finances pour 2022 devait sonner le glas pour la subvention de ce type de marchandises qui pèsent sur les réserves de devises du pays. L’inflation galopante, qui a atteint le record historique de +9,2 % en octobre dernier, le contexte macroéconomique difficile depuis le début de la pandémie de Covid-19 et l’incertitude – aggravée ces dernières années – autour des revenus tirés du pétrole, ne jouent pas en faveur de ce grand importateur de matières premières alimentaires.

L’effet pervers des taxes

Sur la place d’Alger, le secteur bancaire scrute particulièrement le comportement des géants du négoce, dont – sans le nommer – Cevital. Rien que pour le sucre, que le groupe d’Issad Rebrab importe, raffine sur place, avant de le réexporter ou le vendre localement, la pression est forte. « Une nouvelle TVA de 9 % a été instaurée sur ce produit, ce qui entraîne, pour un groupe soumis aux droits de douane et à la TVA pour ses importations, et exonéré de TVA à l’export, une forte pression sur sa trésorerie », explique un banquier algérien qui souhaite préserver son anonymat. En effet, l’entreprise décaisse de la TVA sur ses importations, sans en collecter par ailleurs (ou trop peu) sur ses ventes.

LE RISQUE DE DÉFAUT N’EST PAS D’ACTUALITÉ, ILS DISPOSENT D’UNE TRÉSORERIE ENCORE CONFORTABLE

Toutefois, pour l’heure, la situation n’inquiète pas encore les banques pour ce type de grands opérateurs économiques. « Le risque de défaut n’est pas d’actualité, ils disposent d’une trésorerie encore confortable courant sur huit à dix mois pour supporter le différentiel de prix », poursuit notre financier. Quant à la tentation d’augmenter les taux d’intérêts en compensation des difficultés conjoncturels de leurs clients : « Ce n’est pas au programme, et nous n’avons aucun intérêt à risquer de les perdre. »

Des portefeuilles pouvant se dégrader

Plus au sud, en Afrique de l’Ouest, la brusque montée des prix des céréales notamment (blé, maïs) entraîne de longues séances de gymnastique entre les différentes lignes de crédit et de dépôt des clients des banques. Au Sénégal, les céréales représentent les deuxièmes denrées les plus importées, derrière les hydrocarbures. En Côte d’Ivoire, elles arrivent en troisième position. Outre « les perturbations des circuits de production induites par la pandémie », la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pointe dans son dernier rapport annuel la baisse de la production céréalière notée ces dernières années.

« Le renchérissement des produits alimentaires a été noté principalement pour les céréales locales au Burkina, au Mali et au Niger, les légumes frais ainsi que les tubercules et plantains dans la plupart des pays », souligne l’institution ouest-africaine. À la fin de septembre 2021, les produits alimentaires et boissons représentaient 3,4 points de pourcentage de l’inflation constatée dans la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa, +4,3 % en glissement annuel), contre 1,8 point en décembre 2020 et 2,6 point en août.

NOUS AVONS ENTIÈREMENT CONFIANCE EN NOS CLIENTS, MAIS LA VIGILANCE RESTE DE MISE

Pour les Agriculteurs, les minotiers, les grands et petits négociants, tout comme le consommateur final, la forte hausse des prix de ces produits alimentaires peut être lourde de conséquences. « Elle agit comme un multiplicateur de pauvreté », expliquait en avril 2021 Chris Nikoi, le directeur régional du Programme alimentaire mondial (PAM) pour l’Afrique de l’Ouest. Selon les données de la BCEAO, le commerce de gros représentait, à la fin 2020, le premier portefeuille de risques bancaires dans la zone Uemoa, avec 25,2 % des crédits recensés à la Centrale des risques, devant les services fournis à la collectivité (20,3 %), les industries manufacturières (14,5 %), les transports et les communications (11,5 %), les bâtiments et les travaux publics (11,3 %).

Et des clients « pauvres », aucune banque n’a intérêt à en avoir. « Nous avons entièrement confiance en nos clients, mais la vigilance reste de mise car une hausse prolongée pourrait à terme dégrader le portefeuille des banques de façon générale », décrit Alexandre N’Dri, directeur central d’exploitation, chez NSIA Banque Côte d’Ivoire.

Comme ailleurs sur le continent où l’inflation des commodités agroalimentaires se fait durement sentir, les importateurs et les grossistes de produits locaux, qui ont bénéficié de mesures de soutien de leur activité depuis le début de la crise sanitaire, sont particulièrement surveillés. « Du fait de la baisse de la demande, ils pourraient connaître des difficultés ou des retards d’écoulement sur le marché », poursuit le banquier ivoirien. Pour les établissements de crédit locaux, l’heure est donc au déploiement de solutions (délais de remboursement, produits de couverture, rééchelonnement). Un service qui n’est pas gratuit mais qui reste mesuré.