Mali: comment l’embargo a réactivé la relation spéciale avec la Guinée

 

Le 9 janvier dernier, la Cédéao a placé le Mali sous embargo. La Guinée est le seul pays de l’organisation sous-régionale à avoir refusé d’appliquer la mesure. Du côté guinéen de la frontière, dans la région limitrophe qui jouxte le voisin malien, les habitants ont les yeux rivés sur Bamako. Les sanctions ont réactivé la relation spéciale qu’entretiennent les deux pays.

Empilés sur un carton, des documents officiels portant le vert, jaune, rouge, du drapeau malien. Sur le marché de Siguiri, en attendant les clients qui se font rares, le vendeur de poissons séchés Mamadou Bah passe en revue le paquet de cartes consulaires apporté par son fils. Elles viennent d’arriver de Conakry. Rendre des petits services administratifs à la communauté, cela fait partie de ses attributions de président du Haut Conseil des Maliens de l’extérieur à Siguiri. Ils sont officiellement 600 dans cette cité plantée à 80 kilomètres de la frontière malienne où l’économie repose en grande partie sur le commerce.

L’embargo décidé par la Cédéao aurait pu menacer leurs moyens de subsistance mais pas seulement. « Ça nous aurait fatigué. Il aurait été impossible pour nous d’aller voir nos familles, lance le patriarche de 72 ans, très satisfait, Dieu merci la Guinée n’a pas accepté de fermer la frontière. » Il a « deux familles, une au Mali et une ici ». : originaire de la région de Nioro du Sahel, il est installé en Guinée depuis 40 ans où il a épousé deux femmes. Mais au Mali, il a toujours la famille de son grand frère et certains de ses enfants. L’un d’entre eux « s’est marié là-bas », les autres « y sont pour étudier ». Ils se voient souvent. À ses côtés, il y a d’ailleurs sa fille « arrivée du Mali il n’y a pas si longtemps ». Elle est venue lui rendre visite.      

Dans les allées encombrées du marché de Siguiri, c’est le grand écart émotionnel, entre les commerçants qui craignent de voir la frontière fermer un jour et la certitude des autres que cela ne se produira jamais. Alassane Bah, le fils de Mamadou, est né en Guinée, il y a grandi, fait ses études et n’a pas la nationalité malienne. Mais il est fier « d’être à la fois Malien et Guinéen » : « La Guinée et le Mali ce sont les mêmes familles, donc la fermeture des frontières, ça ne doit pas arriver. » 

Ces liens très forts entre les deux pays sont particulièrement visibles chez les habitants de Siguiri. À Kankan aussi, la capitale régionale, où les mariages transnationaux sont monnaie courante. « Nos anciens dirigeants disaient que nous étions deux poumons dans un même corps », renchérit Issiaka Samaké, le vice-président des reortissants maliens à Kankan.

Une histoire partagée       

Guinéens et Maliens entretiennent des liens familiaux très étroits, depuis des siècles, explique le professeur d’histoire Mamadou Dindé Diallo, chargé des études à la Faculté des sciences sociales de l'université de Kindia, auteur de plusieurs d’ouvrages sur la presse écrite en Guinée. « Ce sont les mêmes communautés qui se trouvent de part et d’autre de la frontière. Les peuples sont liés, au moins depuis le Moyen-Âge. Toutes les populations guinéennes ont transité par les royaumes qui se sont développés dans l’aire du Mali. De l’empire du Ghana jusqu’à l’empire songhaï. » Cela vaut pour toutes les ethnies présentes aujourd’hui en Guinée, assure ce spécialiste de l’histoire contemporaine de son pays. Et ce passé a laissé des traces : « Nous partageons beaucoup d’éléments culturels, nous avons en commun nos langues. » Cette proximité ancienne a été érigée, au lendemain des indépendances notamment, en roman transnational.

Ahmed Sékou Touré a largement contribué à la constitution de ce récit. Si le premier président guinéen de la période post-coloniale entretient des relations compliquées avec ses homologues sénégalais, ivoiriens notamment, il réussit à garder de bons contacts avec le voisin malien. Le professeur d’histoire rappelle l’une de ses phrases restée célèbre. Dans les années 70, il déclare que« le Mali s’arrête au palais du Peuple à Conakry, donc que les Maliens peuvent venir jusqu’au palais, car c’est le même territoire ». C’est lui qui a popularisé cette comparaison, faisant de la Guinée et du Mali les deux poumons du même corps. La citation est convoquée par plusieurs personnes près de la frontière et notamment à Kankan, où Issiaka Samaké l'actualise : « Si l’un [des poumons] va mal, l’autre doit le sauver et, à ce titre, on a beaucoup apprécié la réaction des autorités guinéennes. »   

Effet miroir

Cette idée d’un destin commun a été réactivée par le contexte actuel. À Conakry comme à Bamako, des militaires ont fait chuter récemment un pouvoir civil, en promettant de refonder l’État. Le 9 janvier, la Cédéao a décidé d’imposer au Mali un blocus, pour sanctionner la junte qui n’a pas respecté ses engagements ; elle aurait dû organiser des élections et rendre le pouvoir aux civils en ce mois de février.

En refusant d’appliquer la mesure, la Guinée a contenté une partie de l’opinion publique qui accuse l’organisation d’être l’instrument d’influence de l’ancienne puissance coloniale. « C’est pas l’embargo de la Cedeao, ce sont les Français qui l’ont mis en place, ce sont les Français qui ont voulu nous fatiguer… entame Mamadou Bah qui se lance dans une longue diatribe. Ils viennent exploiter nos ressources et ils ne veulent pas qu’on reste en paix pour pouvoir continuer à le faire. » Le processus de rupture avec Paris, dans lequel Bamako s’est engagé, entre en résonance avec l’histoire de Conakry, estime Mamadou Dindé Diallo : « Les Guinéens ont le sentiment que les Maliens sont en train de revivre ce que la Guinée a vécu dans les années 60-70, en allant vers la vraie indépendance. »    

L’un des épisodes les plus récents de cette relation mythifiée entre Mali et Guinée date de 2014-2016, avec l'épidémie d’Ebola. Quand Conakry s’était retrouvée isolée, seul le Mali avait accepté de garder sa frontière ouverte. Tous les voisins avaient préféré se barricader, craignant une propagation de la maladie. L’anecdote est ainsi racontée par des interlocuteurs différents, avec, à chaque fois, le même objectif : montrer le caractère inaltérable des liens entre les deux pays et comment dans cet espace, l’Afrique de l’Ouest, où on peut par moment les exclure, les bannir, chacun peut compter sur l’autre.

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